journal intime
113 _ Lundi 3 mars 2003

Retourner dans le passé

Le texte que j'ai écrit samedi m'a fichu le moral à zéro. C'est fou, voilà que mon écriture me touche moi-même. Je me suis relue pendant vingt minutes, c'est bien la première fois que ça m'arrive. Je me relisais et je replongeais dans mon enfance, et des milliers d'images défilaient devant mes yeux. Des souvenirs de mon enfance, j'en ai des millions. Ils disparaissent, ils reviennent, comme si une force au fond de moi les retenait, au cas où ça re-servirait un jour… Je revois toutes ces images clignoter devant mes yeux. Il fait noir dehors, mais je suis bien au chaud à l'intérieur, et ma Maman n'est pas très loin. Ou bien je m'amuse dans le jardin avec ma sœur. Des millions d'images qui n'en finissent plus de défiler.
Je ne sais pas à quel âge se termine l'enfance, mais dans mon cas je crois que ce fut à dix ans. A cette époque, il y a vraiment eu un changement. Pour la première fois, je me suis allongée sur mon lit pour réfléchir à des questions sans réponses, pour la première fois j'ai ressassé en moi les belles choses du passé, pour la première fois j'ai cessé de prendre les jours les uns après les autres, comme ils se présentaient. A dix ans, je suis devenue adulte.
Et tout est parti en fumée. J'ai plus de souvenirs de mes dix premières années que des sept suivantes. Sept, bientôt huit. Eh oui, dans deux mois j'aurai dix-huit ans, et je serai adulte officiellement. Super… Je ressens cela comme un grand changement, mais je me disais déjà ça pour les quatorze ans, puis pour les seize, en gros tous les deux ans. Plus tard, je suppose que ce sera tous les cinq ans, puis tous les dix, puis jamais, quand je serai vieille et fatiguée de compter.
Je ne sais pas ce qui s'est passé. Quand j'avais dix ans, j'ai passé une semaine chez mes grands-parents avec mon petit frère. C'était chouette, comme à chaque fois. Oui, mais c'était plus pareil… Ma grand-mère n'était plus la même. Toujours aussi gentille, mais plus pareille, du moins c'est ce que j'ai ressenti.
Quelques temps plus tard, j'étais seule dans ma chambre à m'occuper de je ne sais quoi. La solitude ne m'a jamais pesée, j'ai toujours su m'occuper seule, enfin il ne faut pas que ça dure trop longtemps non plus. Et puis d'un coup, je n'ai plus réussi à jouer, ça y est, c'est là que tout a changé, à cet instant précis. Jamais je n'aurais cru que j'en reparlerais sept ans plus tard. Je me suis arrêtée de jouer et j'ai pensé à mon séjour chez ma grand-mère, et je l'ai comparé à toutes les autres fois que j'étais allée chez elle. C'était fini, je n'étais plus une petite fille, et tout ce que j'aimais s'envolait. Je repensais en particulier à une histoire que ma grand-mère m'avait racontée. J'étais trop petite pour m'en rappeler, mais comme elle raconte très bien, c'est comme si je m'en souvenais.
Un jour, d'ailleurs c'était la nuit, j'ai fait quelque chose qui l'avait énervée. Je ne sais plus quoi, sans doute une bêtise. En gros, j'avais été chiante. Alors elle s'était mise en colère après moi. Le monde à l'envers ! Ma grand-mère qui me disputait ! Je ne comprenais plus rien… Alors je me suis mise à pleurer en bredouillant " beh Mamie… " Et ma grand-mère, de me voir dans cet état, en avait été malade. Elle s'en était voulue à mort de s'être emportée de la sorte, alors est redevenue toute gentille. Et plus jamais elle ne m'a disputée par la suite…
Et donc je repensais à tout ça, assise sur le parquet de ma chambre, et je me disais que désormais c'était fini, les petites larmes et les " beh mamie ". Tout était fini.
Ma mère est passée devant ma chambre et m'a vue pensive. Alors on a parlé et elle m'a consolée. En quelques minutes j'ai retrouvé le moral. Eh oui, quand vous êtes triste pour la première fois, il suffit de quelques bonnes paroles pour tout arranger. La deuxième fois c'est un peu plus long, et plus le temps passe plus c'est difficile. Et aujourd'hui si je n'ai pas le moral, soit ça passe tout seul, soit ça ne passe pas. Mais je suis devenue complètement imperméable à toutes les douces paroles. C'est ainsi.
Cette envie de retourner dans le passé m'a rongée très longtemps. Avec des hauts et des bas. Le pire, c'est vers mes quinze ans, alors que ma sœur était gravement malade. Je ne sais pas, d'ailleurs, s'il y a un lien entre ma sœur et ce regret du passé. Je ne sais pas… D'autant que mon regret du passé date d'avant les problèmes de ma sœur. Quoique… D'une façon générale, j'ai vécu les douleurs de ma sœur en parallèle, enfin c'est une autre histoire. Je disais donc que cette nostalgie est revenue de plein fouet vers mes quinze ans. J'ai épluché tous les albums de famille et j'ai sélectionné une centaine de photos de mon enfance. De mon plus jeune âge jusqu'à mes dix ans. Et je les ai classées dans un autre album avec beaucoup de soin. Ne croyez pas que ce fut un plaisir, chaque photo m'arrachait des sanglots. Je n'arrivais pas à y croire. Je me disais " Mais c'est pas possible… j'ai tout perdu. J'étais heureuse et voilà le résultat. On m'a tout pris ". En gros c'était ça.
Pourtant j'avais bon fond, étant petite, c'est pas juste… Oui, j'avais bon fond, je vous jure que c'est vrai. La preuve cette petite anecdote :
Un jour, d'ailleurs c'était la nuit, j'étais assise dans mon lit à feuilleter un livre d'images d'animaux. Il y en avait une très grande représentant une espèce de gros animal, genre bison, qui pourchassait une petite brebis. Et moi, je n'arrivais pas à accepter cette image. Elle me mettait très en colère et me faisait beaucoup de peine. Je n'acceptais pas que le fort poursuive le faible. Alors je faisais des caresses sur le papier à l'endroit de la brebis, et je donnais des coups de poing sur le bison. C'est incroyable, le pouvoir des images.
Ca me rend triste, la vie est mal fichue. L'autre jour je disais qu'en devenant adulte, on découvrait des choses magnifiques. A commencer par faire l'amour, et apprécier une belle chanson. Il faut de l'âge pour tout ça, alors oui, c'est incontestable, être adulte a du bon. Mais le prix a payer était trop fort pour moi. J'ai perdu au change.

Souvenirs d'enfancetexte précédent texte suivant La dictée