Quand j'étais
petite, il m'arrivait parfois de me disputer avec
les autres, comme tous les enfants je suppose.
Et dans ces moments-là on se disait des
choses du genre "ben mon père il est
policier il va te mettre en prison", ou encore
"ben mon père il est sherrif il va
venir te tirer dessus". Et bien sûr
on croyait nous-mêmes à nos propres
mensonges. Et puis un jour, j'ai réalisé
que mon père était militaire. Eh
oui, un vrai, celui qui fait la guerre quand c'est
la guerre, et qui protège la paix quand
c'est la paix. Il y avait de quoi impressionner
! Alors je me suis dit qu'il était inutile
de mentir aux autres, et dans les disputes je
disais : "ben mon père il est militaire
il va venir te faire la guerre !" Alors on
me répondait "ouais c'est même
pas vrai". Et moi : "si !", énervée
qu'on ne me croit pas alors que, pour une fois,
je disais la vérité
Mais finalement, c'était beaucoup moins
marrant de dire la vérité, et beaucoup
plus vexant de ne pas être crue. Alors je
me suis rabattue sur les "ben mon père
il est ceinture noire de judo il va te faire des
prises". Bien plus amusant.
L'autre jour j'ai raconté ça à
mon père. C'était dimanche matin,
dans le hall de la gare Montparnasse. Il avait
son train à prendre, alors en attendant
on prenait un petit café dans un bistrot
du hall, parmi tous ces voyageurs et tous ces
commerçants. Je lui ai raconté cette
petite anecdote et il a rigolé. Je lui
ai aussi parlé du sabre. Ce fameux sabre
qui est chez nous, à La Rochelle, dans
un placard. Bien sûr mon père ne
s'en est jamais servi, il y a longtemps qu'on
n'apprend plus à manier le sabre dans l'armée,
et heureusement. Ou plutôt malheureusement,
vu par quoi on l'a remplacé. Il le sort
une ou deux fois par an, pour les défilés
militaires. Moi j'ouvrais de grands yeux devant
cette chose qui me faisait fantasmer. Aujourd'hui
ça aurait plutôt tendance à
me repousser, mais à l'époque j'avais
vite fait d'assimiler tout ça aux aventures
des livres et de la télé. C'était
tout un mythe, ce sabre. Mon père était
très intéressé par toutes
ces petites choses que je lui racontais, comme
s'il se voyait lui-même sous un autre angle,
d'un seul coup. J'espère qu'on aura l'occasion
d'avoir d'autres discussions de ce genre, à
l'avenir.
Il est monté dans son train et je me suis
retrouvée seule sur le quai. C'est vraiment
triste de se retrouver seul sur un quai de gare.
Mais je crois que c'est encore plus triste pour
celui ou celle qui est dans le train.
Malgré qu'on fût dimanche matin,
de nombreuses boutiques étaient ouvertes,
et surtout les marchands de journaux. Chez l'un
d'eux il y avait un petit coin cadeaux, alors
j'ai cherché pour voir si je trouverais
quelque chose pour Julie. Comme je l'ai dit hier,
demain elle fête ses seize ans.
Ca me fait un peu drôle, d'ailleurs
On n'arrêtera donc jamais le temps de passer,
ça fait peur. Elle et moi, on continue
de s'échanger de nombreuses lettres. Elle
semble aller très bien, peu à peu
elle s'habitue à sa nouvelle vie à
Lille, et son père fait toujours le même
boulot. Il paraît qu'il râle beaucoup
sur son travail, mais que dans l'ensemble ça
se passe plutôt bien. Et puis s'il ne râlait
pas, ce serait plutôt mauvais signe. Julie
m'écrit qu'elle a un copain. Enfin je crois,
c'est pas sûr, parce que ses lettres il
faut les interpréter, les lire entre les
lignes. Elle me dit qu'elle a un copain, ça
c'est sûr, c'est écrit en turquoise
sur blanc. Mais à savoir ce qu'elle appelle
un "copain", c'est une autre histoire.
J'en apprendrai certainement un peu plus dans
ses prochains courriers. N'empêche que j'aurais
bien aimé le voir, moi, le copain en question.
Il a intérêt à être
sympa et gentil avec elle sinon il aura affaire
à moi ! Enfin, ne pleurons pas avant d'avoir
mal, il est peut-être très bien.
Je viens de m'apercevoir qu'elle était
du signe du Poissons. Ca ne m'étonne pas,
c'est quelqu'un de gentil, ça, un poisson.
Tranquille, ça nage doucement dans l'eau
sans rien demander à personne, comme Julie.
J'ai toujours le bracelet brésilien bleu
marine et noir qu'elle m'a offert en novembre,
mais il ne tient presque plus. Le jour où
il va se décrocher arrive à grands
pas, tin tin
Je ne sais plus quel vu
j'ai fait quand elle me l'a mis. Attendez je vais
voir dans le texte de ce jour-là.
Le retour. Ben j'avais même pas fait de
vu, j'ai écrit, je cite "Mais
moi je ne savais pas quoi faire comme voeu car
en ce moment je n'attends rien de spécial
de la vie" (texte n° 51). N'importe quoi
! Maintenant qu'il est sur le point de tomber,
j'ai plein de vux en tête. Mmmh
Le premier serait que Georges Bush tombe en syncope
au moment d'attaquer l'Irak. Et que quand il se
réveille trois jours plus tard, il soit
devenu gentil comme un poisson dans l'eau. Comme
deuxième vu je ne sais pas trop.
Que le père de Julie devienne lui aussi
gentil comme un poisson, ou comme Bush après
sa syncope. Mouais, tout ça c'est pas très
réalisable, finalement j'ai bien fait de
ne pas faire de vux.
Je lui ai préparé un petit colis
que j'ai posté cet après-midi. J'ai
mis une petite carte postale dedans, un petit
livre, et un petit bracelet. Que des trucs petits,
en gros
Le bouquin n'est pas politique ni
philosophique ni psychologique ni rien du tout,
c'est une histoire simple, celle d'un homme prisonnier
en Amérique du Sud et qui se remémore
ses dernières années passées
sur les traces de son père, dans le vignoble
bordelais. Moi j'ai bien aimé, c'est de
Claude Michelet. Le petit bracelet est orné
d'un petit dauphin, comme ça ça
lui rappellera la vue sur la mer dans sa chambre
à La Rochelle (ça c'est de la super
blague, mais il faut avoir lu tout mon journal
pour la comprendre, et même en ayant tout
lu c'est pas gagné).
Et la cerise sur le gâteau, c'est que je
vais lui passer un coup de fil. Elle m'a déconseillé
de le faire, à cause de son père,
mais elle m'a quand même donné le
numéro du portable. Donc j'en déduis
que quelque part, si elle m'a donné le
numéro, c'est pas juste pour le plaisir
d'aligner des nombres sur du papier. Et puis zut,
c'est l'anniversaire de mon amie, je peux quand
même bien lui téléphoner !
En parlant de téléphone, Caroline
m'a donné un coup de fil hier après-midi.
Je vais passer la journée chez elle, demain.
Pour la première fois j'emprunterai le
RER, et je verrai à quoi ressemble une
ville de la périphérie parisienne
(Etampes). J'aurais bien aimé que David
m'accompagne, mais il a cours toute la journée.
Parfois j'arrive à lui faire manquer deux
heures le matin pour qu'il reste au lit avec moi,
mais toute une journée, c'est plus dur.
|