Hier soir, j'ai
eu une petite conversation téléphonique
avec mon père qui a bien failli mal tourner.
Il a dit quelque chose qui m'a choquée,
et pourtant il en faut beaucoup pour me choquer.
Il a fallu qu'on parle de la guerre en Irak. Eh
oui, tout le monde cause de ça, alors nous
non plus on n'y échappe pas. Je ne sais
plus comment c'est venu sur le tapis, mon père
est militaire mais ce n'est pas une raison pour
en parler. Je lui dit "heureusement que la
France ne s'est pas engagée, sinon tu serais
là-bas". Et lui il m'a répondu
"justement j'aimerais bien y être !"
Quand même
Je préfère clarifier les choses
tout de suite : mon père est anti-américain
et encore plus anti-anglais. Ah ça les
Anglais, il ne les aime pas
C'est une vieille
histoire. Un jour on revenait de vacances et en
passant par la Dordogne, on a doublé une
voiture. Et au moment où on la dépassait,
celle-ci a tourné à gauche. Alors
évidemment il y a eu un choc. Pas de blessures,
mais les voitures étaient bien amochées.
Eh bien figurez-vous que dans l'autre voiture,
le conducteur était anglais ! Déjà
que mon père ne les aimait pas avant, maintenant
c'est pire. Bref, mon père n'approuve pas
ce qui se passe en ce moment.
Seulement voilà, il voudrait faire la guerre.
Comme ça, juste pour le plaisir. Alors
je lui ai dit qu'il pourrait bien être blessé
ou tué, il m'a répondu "ah
ben ça
" comme si c'était
une fatalité, mais que ça ne le
dérangeait pas plus que ça. Alors
je lui ai répliqué qu'il serait
amené à tuer, il n'a pas vraiment
répondu
Heureusement que j'ai passé
l'âge d'idéaliser mes parents, sinon
j'aurais été extrêmement déçue.
On a changé de conversation, il valait
mieux.
En ce moment ça y va bon train, les discussions
sur l'Irak. Tout le monde en parle, et la plupart
ont une opinion bien arrêtée. Et
certains se servent de ça pour défouler
leurs frustrations en se mettant en colère
ou en se révoltant. C'est d'autant plus
stupide que pour une fois, dans notre pays, tout
le monde est d'accord ou presque. Hier midi, je
mangeais avec Caroline, à sa fac, après
mon entretien avec le professeur. On était
cinq ou six et l'un des gars disait des choses
du genre "vous verrez, ça va se passer
comme ça ! vous verrez ce que je vous dis
!" Bon, apparemment il était mieux
renseigné que nous, je sais pas, il devait
avoir un cousin à Bagdad, ou un oncle soldat
US, j'en sais rien. Toujours est-il qu'il était
drôlement sûr de lui. Les gens comme
ça sont très pénibles. Et
si vous avez le malheur de les contredire, ils
vous regardent avec de grands yeux en s'exclamant
" meuh noooooonnn ! ! " Comme si vous
veniez d'un autre monde avec vos opinions stupides.
C'est quand même incroyable à quel
point les gens ont des idées arrêtées
et définitives, fondées sur rien
du tout. Ca me rappelle la magnifique chanson
de Noir Désir : un jour en France. Dommage
que la plupart des gens n'en écoutent que
la musique, car le texte en dit long sur la mentalité
des être humains. Ils parlent, ils débattent,
ils s'énervent, ils se révoltent,
mais à la première occasion ils
retourneraient leur veste si ça les arrangeait.
Un peu comme un pauvre qui râle contre les
riches, mais qui crève d'envie de le devenir.
Et que s'il le devenait, ben il en profiterait
bien.
Alors moi, j'ai l'impression d'être une
zombie dans tout ça. La brebis galeuse
qui n'a aucune opinion et qui ne se prononce pas.
Faut pas m'en vouloir, c'est juste que j'ai arrêté
de réfléchir. C'est bizarre, mais
ça correspond à peu près
au décès de ma sur, ce n'est
certainement pas une coïncidence. Sur le
coup des dix ans, j'ai commencé à
penser, dans la journée, comme ça,
allongée sur mon lit et les yeux perdus
dans le blanc du plafond. Je refaisais la philosophie
dans ma tête, avec mes faibles connaissances
et mes faibles moyens. Et c'est très mauvais
de trop réfléchir, surtout quand
on est petit. Et ça n'a fait qu'empirer
par la suite. Je pense que c'était une
façon de fuir la réalité,
que de me réfugier dans mes réflexions
et mes pensées. Mais à la mort de
ma sur, comme je l'ai déjà
dit, j'ai l'impression que je me suis résignée.
Résignée à tout, j'ai complètement
baissé les bras. Et je crois que ce fut
une bonne chose. Car entre autres j'ai arrêté
de réfléchir. Plus ou moins consciemment
je me suis dit " à quoi bon essayer
de comprendre quelque chose à la vie ?
" Eh oui, à quoi bon
c'est un
combat perdu d'avance. Alors depuis je ne pense
plus. C'est fou à quel point mon cerveau
gauche (celui de la réflexion) s'est arrêté
de fonctionner. Si bien qu'il y a des tas de conversations
qui me laissent complètement indifférente,
et qui me fatiguent rien que d'y penser. Entre
autres, la guerre en Irak. Je suis contre, ça
c'est sûr. Mais ne me demandez pas pourquoi,
je ne saurai pas le dire. Je suis l'actualité,
je vois tout ce qui se passe, mais je n'analyse
rien. C'est ainsi. Les seules raisons que j'ai
sont d'ordre sentimental, et en voici un exemple
:
En juin dernier, pour fêter la fin de l'année
scolaire, on était parti en grand nombre
sur une plage près de La Rochelle. Et derrière
cette plage c'était un camp de gitans,
posés sur un grand terrain vague. C'est
pour cette raison, entre autres, que j'adore la
chanson de Mano Solo, c'est parce qu'elle me rappelle
ce souvenir, fin de la parenthèse. Nous
étions à même pas quinze mètres
de la caravane la plus proche. Et il y avait une
petite fille gitane qui nous tournait autour en
sautant et en chantant, elle faisait vraiment
plaisir à voir, pleine d'énergie
et d'enthousiasme. Moi j'étais allongée,
elle est venue derrière moi et a commencé
à faire des tresses avec mes cheveux, ce
qui était bien agréable. Quand j'y
repense ça me fait chaud au cur,
elle respirait la vie. Ces gitans, tout le monde
les détestent, et ils le rendent bien je
crois. Je ne vais pas donner mon opinion là-dessus,
ce serait hors-sujet. Mais cette petite fille,
elle s'en foutait complètement. Et c'était
beau. En ce moment j'étudie l'art en philosophie,
sujet ô combien passionnant, je ne vois
pas l'intérêt de comprendre pourquoi
telle chose nous paraît belle et telle autre
nous paraît moche. Ce que je sais, c'est
que cette gitane qui nous tournait autour, eh
bien c'était beau. Alors je me dis que
des filles comme ça, il doit y en avoir
à Bagdad. Et que les événements
actuels risquent bien de la détruire, à
tous les sens du terme, et d'y penser ça
me fait mal. Voilà pourquoi je suis contre
la guerre.
Allez
pour terminer sur une note plus joyeuse,
j'ai contacté les responsables des deux
associations de théâtre, et je vais
assister à leur entraînement (ce
n'est sûrement pas le bon mot !) ce soir.
Du moins la première, parce que pour la
seconde le responsable n'a pas répondu.
Tiens d'ailleurs je vais de ce pas le rappeler.
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