journal intime
127 _ mardi 25 mars 2003

Mon père veut faire la guerre !

Hier soir, j'ai eu une petite conversation téléphonique avec mon père qui a bien failli mal tourner. Il a dit quelque chose qui m'a choquée, et pourtant il en faut beaucoup pour me choquer. Il a fallu qu'on parle de la guerre en Irak. Eh oui, tout le monde cause de ça, alors nous non plus on n'y échappe pas. Je ne sais plus comment c'est venu sur le tapis, mon père est militaire mais ce n'est pas une raison pour en parler. Je lui dit "heureusement que la France ne s'est pas engagée, sinon tu serais là-bas". Et lui il m'a répondu "justement j'aimerais bien y être !" Quand même…
Je préfère clarifier les choses tout de suite : mon père est anti-américain et encore plus anti-anglais. Ah ça les Anglais, il ne les aime pas… C'est une vieille histoire. Un jour on revenait de vacances et en passant par la Dordogne, on a doublé une voiture. Et au moment où on la dépassait, celle-ci a tourné à gauche. Alors évidemment il y a eu un choc. Pas de blessures, mais les voitures étaient bien amochées. Eh bien figurez-vous que dans l'autre voiture, le conducteur était anglais ! Déjà que mon père ne les aimait pas avant, maintenant c'est pire. Bref, mon père n'approuve pas ce qui se passe en ce moment.
Seulement voilà, il voudrait faire la guerre. Comme ça, juste pour le plaisir. Alors je lui ai dit qu'il pourrait bien être blessé ou tué, il m'a répondu "ah ben ça…" comme si c'était une fatalité, mais que ça ne le dérangeait pas plus que ça. Alors je lui ai répliqué qu'il serait amené à tuer, il n'a pas vraiment répondu… Heureusement que j'ai passé l'âge d'idéaliser mes parents, sinon j'aurais été extrêmement déçue. On a changé de conversation, il valait mieux.
En ce moment ça y va bon train, les discussions sur l'Irak. Tout le monde en parle, et la plupart ont une opinion bien arrêtée. Et certains se servent de ça pour défouler leurs frustrations en se mettant en colère ou en se révoltant. C'est d'autant plus stupide que pour une fois, dans notre pays, tout le monde est d'accord ou presque. Hier midi, je mangeais avec Caroline, à sa fac, après mon entretien avec le professeur. On était cinq ou six et l'un des gars disait des choses du genre "vous verrez, ça va se passer comme ça ! vous verrez ce que je vous dis !" Bon, apparemment il était mieux renseigné que nous, je sais pas, il devait avoir un cousin à Bagdad, ou un oncle soldat US, j'en sais rien. Toujours est-il qu'il était drôlement sûr de lui. Les gens comme ça sont très pénibles. Et si vous avez le malheur de les contredire, ils vous regardent avec de grands yeux en s'exclamant " meuh noooooonnn ! ! " Comme si vous veniez d'un autre monde avec vos opinions stupides. C'est quand même incroyable à quel point les gens ont des idées arrêtées et définitives, fondées sur rien du tout. Ca me rappelle la magnifique chanson de Noir Désir : un jour en France. Dommage que la plupart des gens n'en écoutent que la musique, car le texte en dit long sur la mentalité des être humains. Ils parlent, ils débattent, ils s'énervent, ils se révoltent, mais à la première occasion ils retourneraient leur veste si ça les arrangeait. Un peu comme un pauvre qui râle contre les riches, mais qui crève d'envie de le devenir. Et que s'il le devenait, ben il en profiterait bien.
Alors moi, j'ai l'impression d'être une zombie dans tout ça. La brebis galeuse qui n'a aucune opinion et qui ne se prononce pas. Faut pas m'en vouloir, c'est juste que j'ai arrêté de réfléchir. C'est bizarre, mais ça correspond à peu près au décès de ma sœur, ce n'est certainement pas une coïncidence. Sur le coup des dix ans, j'ai commencé à penser, dans la journée, comme ça, allongée sur mon lit et les yeux perdus dans le blanc du plafond. Je refaisais la philosophie dans ma tête, avec mes faibles connaissances et mes faibles moyens. Et c'est très mauvais de trop réfléchir, surtout quand on est petit. Et ça n'a fait qu'empirer par la suite. Je pense que c'était une façon de fuir la réalité, que de me réfugier dans mes réflexions et mes pensées. Mais à la mort de ma sœur, comme je l'ai déjà dit, j'ai l'impression que je me suis résignée. Résignée à tout, j'ai complètement baissé les bras. Et je crois que ce fut une bonne chose. Car entre autres j'ai arrêté de réfléchir. Plus ou moins consciemment je me suis dit " à quoi bon essayer de comprendre quelque chose à la vie ? " Eh oui, à quoi bon… c'est un combat perdu d'avance. Alors depuis je ne pense plus. C'est fou à quel point mon cerveau gauche (celui de la réflexion) s'est arrêté de fonctionner. Si bien qu'il y a des tas de conversations qui me laissent complètement indifférente, et qui me fatiguent rien que d'y penser. Entre autres, la guerre en Irak. Je suis contre, ça c'est sûr. Mais ne me demandez pas pourquoi, je ne saurai pas le dire. Je suis l'actualité, je vois tout ce qui se passe, mais je n'analyse rien. C'est ainsi. Les seules raisons que j'ai sont d'ordre sentimental, et en voici un exemple :
En juin dernier, pour fêter la fin de l'année scolaire, on était parti en grand nombre sur une plage près de La Rochelle. Et derrière cette plage c'était un camp de gitans, posés sur un grand terrain vague. C'est pour cette raison, entre autres, que j'adore la chanson de Mano Solo, c'est parce qu'elle me rappelle ce souvenir, fin de la parenthèse. Nous étions à même pas quinze mètres de la caravane la plus proche. Et il y avait une petite fille gitane qui nous tournait autour en sautant et en chantant, elle faisait vraiment plaisir à voir, pleine d'énergie et d'enthousiasme. Moi j'étais allongée, elle est venue derrière moi et a commencé à faire des tresses avec mes cheveux, ce qui était bien agréable. Quand j'y repense ça me fait chaud au cœur, elle respirait la vie. Ces gitans, tout le monde les détestent, et ils le rendent bien je crois. Je ne vais pas donner mon opinion là-dessus, ce serait hors-sujet. Mais cette petite fille, elle s'en foutait complètement. Et c'était beau. En ce moment j'étudie l'art en philosophie, sujet ô combien passionnant, je ne vois pas l'intérêt de comprendre pourquoi telle chose nous paraît belle et telle autre nous paraît moche. Ce que je sais, c'est que cette gitane qui nous tournait autour, eh bien c'était beau. Alors je me dis que des filles comme ça, il doit y en avoir à Bagdad. Et que les événements actuels risquent bien de la détruire, à tous les sens du terme, et d'y penser ça me fait mal. Voilà pourquoi je suis contre la guerre.
Allez… pour terminer sur une note plus joyeuse, j'ai contacté les responsables des deux associations de théâtre, et je vais assister à leur entraînement (ce n'est sûrement pas le bon mot !) ce soir. Du moins la première, parce que pour la seconde le responsable n'a pas répondu. Tiens d'ailleurs je vais de ce pas le rappeler.

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