Ce matin sur le
coup des neuf heures, j'étais sagement
assise en bonne compagnie dans le hall de la fac.
J'attendais que Caroline sorte de cours, afin
qu'elle me présente au professeur chargé
de la direction du journal, comme prévu.
Je suis arrivée très en avance mais
j'avais emmené avec moi mon bouquin de
géographie. Eh oui, il fallait que je fignole
mes connaissances sur l'agriculture des Etats-Unis,
sujet ô combien passionnant. Pourtant en
ce moment, je me moque de tout ce qui touche à
ce pays. Mais ce n'est pas moi qui dicte les programmes,
hélas.
Pauvre petite lycéenne de province perdue,
j'ai cherché l'amphi qu'elle m'avait indiqué.
Le hall était presque désert, il
y avait simplement un escalier près des
portes de l'amphi, avec un jeune étudiant
dessus. D'ailleurs il fumait, je lui ai "emprunté"
une blonde pour me changer des roulées,
et me suis assise à côté de
lui, sur les marches. Et j'ai commencé
à bouquiner, studieuse. Mais je sentais
le gars à côté de moi et ça
me déconcentrait : quelque chose me disait
qu'il allait me parler. Et déjà,
je regrettais de lui avoir taxé une cigarette,
et d'avoir ainsi établi le contact avec
l'inconnu. Je sentais qu'il regardait de mon côté,
et pire, qu'il lisait de loin mon livre, ce qui
est très désagréable. Ca
n'a pas loupé : il m'a demandé si
moi aussi j'attendais pour le cours. Je lui ai
répondu que non, que j'avais rendez-vous
avec une amie. Il a dit "ah d'accord
"
En moi-même, je pensais que ça m'était
bien égal qu'il soit d'accord ou non. Puis
il m'a demandé ma filière. Alors
j'ai répondu économie, ce qui est
vrai ma foi, même si je ne suis qu'en terminale.
C'est après que j'ai menti
Oui j'ai
honte, enfin c'est pas bien méchant non
plus. Il a insisté et voulait connaître
ma filière exacte : "machin a ? truc
B ? chose C ?" Truc B, ai-je répondu
Je ne suis pas mythomane, et je ne mens jamais,
mais je sais pas
là j'avais envie
de m'amuser un petit peu, et de me faire passer
pour une étudiante, juste une seule fois,
pour rire, avec ce gars que je ne reverrais sans
doute jamais par la suite.
Il m'a demandé si j'avais eu mes résultats
du premier semestre. Oui, j'ai eu onze de moyenne.
Il m'a félicitée, que c'était
très bien d'avoir le premier semestre du
premier coup, que lui il l'avait fait deux fois.
Puis il a voulu voir mon bouquin. Evidemment ça
me trahissait : un livre de géographie
de lycée
Mais je lui ai dit que c'était
pour le plaisir que je parcourais ça, que
c'était un manuel que j'avais l'an dernier.
Eh eh
je suis gonflée quand même.
Il était très étonné
que je m'intéresse à ça.
Je pensais en moi-même "si tu savais
à quel point je me fous de l'agriculture
des Etats-Unis
ça te donnerait une
idée de l'infini ! " Mais après
ça j'ai arrêté, finalement
on a parlé vingt minutes et c'était
chouette. Par contre, ce n'est pas avec ça
que j'ai progressé en géo.
Les portes de l'amphi se sont ouvertes et le flot
d'étudiants est sorti tout d'un bloc. J'ai
retrouvé Caroline, et ensemble on a traversé
le petit parc pour rejoindre un autre bâtiment.
On marchait assez vite : elle avait un autre cours
juste après cette pause. Nous voilà
au bâtiment. On monte l'escalier et on frappe
à la porte. Toc toc toc ! On entre. Le
professeur est très gentil. Pas tout jeune,
la soixantaine, presque chauve avec des lunettes.
Et très rêveur, un peu dans son monde.
Mais c'est souvent comme ça avec ces gens
qui ont fait des études ultra poussées,
et qui passent leurs journées dans leurs
bouquins et dans leur science. Et puis vu le salaire
qu'ils touchent, c'est pas trop dur pour eux d'être
détaché des choses matérielles.
Caroline m'a présentée et s'en est
allée. Alors il m'a dit : " Alors
comme ça vous voulez entrer dans notre
équipe ". J'ai dit oui, s'il y avait
une petite place pour moi. Il m'a répondu
" ah oui oui, ça y a de la place
plus on est de fous, plus on
plus on
" et il n'a pas fini sa phrase. Dans son
monde, vous dis-je.
Il m'a invitée à m'asseoir à
côté de lui, devant l'ordinateur.
Et pendant une demi-heure il a navigué
sur le net, à partir de ses favoris, en
me faisant des commentaires. Ce n'était
pas inintéressant, mais très éloigné
du sujet de ma visite
En moi-même,
je pensais que ce serait marrant que mon site
soit dans ses favoris. Il y avait infiniment peu
de chances, mais sait-on jamais. Ca me plairait
beaucoup, ça, qu'un jour je voie quelqu'un
visiter mon site juste à côté
de moi. Mais non, je n'étais pas dans ses
favoris. Tant pis pour lui, il ne sait pas ce
qu'il perd.
Puis nous sommes entrés dans le vif du
sujet. Pour le prochain numéro, je n'aurai
pas d'article à écrire toute seule
: j'aiderai Caroline. Elle ne l'a pas commencé,
et c'est tant mieux. Pour résumer, nous
serons chargées d'écrire un petit
article sur deux associations qui font du théâtre.
Elles donneront un petit bout de présentation
la semaine prochaine. Ce sera un truc avec plein
d'ateliers, dont ces deux-là. Alors on
ira assister à tout ça avec Caro,
et on en fera un article. Du moins, c'est que
m'a conseillé le professeur. Mais moi je
trouvais ça un peu trop rapide, alors je
lui ai dit que ce serait carrément plus
efficace si on allait sur le terrain, si plutôt
que de se contenter de raconter la représentation
on allait assister à une répétition
et qu'on interviewait le responsable et tout et
tout !
Ca a amusé le professeur. Il m'a dit qu'effectivement
ce serait mieux, mais que ça allait nous
prendre beaucoup de temps. Ca tombe bien : je
n'ai que ça à faire. Et voilà
Je suis très impatiente de commencer. J'ai
déjà téléphoné
aux responsables de ces deux associations, mais
ça n'a pas répondu. Je re-essaierai
ce soir. Ce qui m'amuse dans tout ça, c'est
que ce magazine sera tiré à moins
d'exemplaires qu'il n'y a de visiteurs chaque
jour sur mon site. Mais la démarche est
différente, et tout aussi intéressante.
Si je m'écoutais, je commencerais déjà
l'article. Mais bon
ce serait stupide, puisque
je n'ai encore rien vu. Quoique certains journalistes
ne se gênent pas pour parler de ce qu'ils
ne connaissent pas, comme j'ai pu le vérifier
à mes dépens en janvier dernier
et comme on le voit tous les jours en ce moment
à la télé.
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