journal intime
130 _ vendredi 28 mars 2003

Le deuxième atelier

J'ai été assez déçue par la soirée théâtre d'hier soir. Tout d'abord, le professeur était assez antipathique, il se la jouait intellectuel, inaccessible, possédé par son Art avec un grand A. Je suis arrivée là-bas, il ne m'a même pas présentée aux autres, il a fallu que ce soit eux qui viennent me demander qui j'étais et ce que je faisais là avec mon petit carnet. Non, lui, le professeur, il a commencé par râler un quart d'heure sur l'association dont il fait partie, comme quoi la présidente n'est pas compréhensive, qu'elle est près de ses sous et fait du favoritisme. Si bien qu'après quinze minutes, j'étais au courant de tous leurs petits déboires, qui pourtant ne m'intéressaient pas le moins du monde, surtout pour l'article que j'ai à rédiger.
Après ça je me suis assise dans un coin et on ne m'a plus adressé la parole de toute la séance. Et c'était long… mais long ! Et ennuyeux ! Déjà, ce n'est pas une comédie qu'ils présentent mais un drame. L'avantage du drame, c'est que quand c'est nul, eh bien on ne s'en aperçoit pas. Alors qu'une comédie, quand personne ne rigole dans la salle, c'est que peut-être ce n'est pas très drôle. Mais à choisir entre une comédie pas marrante et un drame endormant, je crois que j'aime encore mieux la comédie. En plus, ils vont présenter une histoire complète et non un ensemble de sketches, alors tant mieux pour les acteurs principaux, et dommage pour ceux qui n'ont que trois mots à réciter de toute la pièce. Enfin ça encore, c'est un choix.
J'ai eu droit à un cours de théorie théâtrale, et c'était d'autant plus intéressant que Cécile, mardi soir, dans le premier atelier, avait parlé de cette fameuse théorie, à laquelle elle n'adhérait pas du tout d'ailleurs. J'ai eu la thèse et l'anti-thèse, et moi je penche du côté de l'anti-thèse. L'idée est la suivante : quand un acteur joue un rôle, il doit se rappeler des instants vécus qui vont l'aider à se mettre dans la peau du personnage. Par exemple si je suis amoureuse dans la pièce, je dois me rappeler la dernière fois que j'ai été amoureuse, et le reproduire. Pareil si je suis en colère, je dois me rappeler ma dernière crise de nerfs. Eh bien non, ça ne me plaît pas du tout comme système. Cécile disait au contraire que si on fait du théâtre, c'est entre autres pour oublier un peu la vie de tous les jours et les soucis qui nous rongent à longueur de journées. Alors si on doit y repenser au moment de jouer, ce n'est pas valable… Moi par exemple, imaginons que je joue le rôle de quelqu'un qui vient de perdre un être cher. Il suffira que je pense très fort à ma sœur pour jouer remarquablement bien, pleurer sur les planches, et à coup sûr je toucherai le public. Mais est-ce pour autant que je serai une bonne actrice ? Certainement pas. Au mieux, ça me plongera dans le cafard.
Eux aussi ils répétaient pour lundi soir, la séance fut donc très longue et j'ai dû partir avant la fin. En effet, je devais attraper un métro, et au-delà de minuit il n'y en a plus. J'ai donc quitté les lieux vers 23H30, et au moment de sortir le professeur m'a dit : " n'hésite pas à me téléphoner si tu as des questions ". Quand même, j'aurai au moins eu droit à une phrase gentille. Dommage, je m'en allais. Et puis je n'ai pas vraiment l'intention de lui téléphoner.
Quand je suis arrivée chez David, il m'avait attendu pour manger. C'était vraiment très gentil de sa part, j'ai beaucoup apprécié. Puis on est allé au lit, on a fait l'amour, et on est parti dans des discussions passionnantes qui nous ont fait endormir très tard. Je lui ai raconté ma soirée au théâtre. Et puis, à force de passer du coq à l'âne dans la conversation, on a dérivé sur divers sujets jusqu'à arriver sur la guerre. Pas celle de l'Irak, non, celle de 14-18, la première mondiale. Celle à laquelle mon arrière-grand-père a participé. David était passionné par mes récits, et je regrettais bien d'avoir laissé la légion d'honneur dans l'appartement de mon cousin, j'aurais été fière de la lui montrer. Mais ce n'est que partie remise. Ensuite on a discuté de ma sœur, et maintenant il sait tout. Mais c'est étrange, je ne ressens plus aucun chagrin à en parler depuis que je suis à Paris. Avant ça m'arrachait toujours quelques larmes, maintenant ce n'est plus le cas. Je n'ai pas fait une croix sur elle, je continue d'y penser au moins une fois chaque jour, car il y tout le temps un petit instant qui me rappelle un moment vécu avec elle. Parfois triste, parfois joyeux. C'est étonnant, mais je ne m'en porte pas plus mal, dans le fond…
Et puis David m'a raconté des choses, lui aussi, très intéressantes. Il a vécu un moment douloureux l'année derinère : perte de sa grand-mère, et grande dispute avec son grand-père. Il était vraiment malheureux, en me parlant de ça. Et il y a de quoi car c'est une bien triste histoire, et la blessure n'est pas refermée.
Sa grand-mère est morte d'un cancer du sein. Pourtant ça se soigne de nos jours, mais elle s'en est inquiétée beaucoup trop tard. Et son mari ne s'en est pas inquiété du tout. Il est très bête apparemment, ça a l'air d'être un énorme abruti, excusez mon vocabulaire, mais vous allez vous rendre compte vous-mêmes. Dans ses dernières semaines de vie, un soir, elle a eu une crise plutôt alarmante et inquiétante. Le mari a dit, résigné et pas trop stressé, qu'il partait chercher le docteur. Il est monté en voiture. Une demi-heure a passé, une heure… toujours pas de retour. Alors la maman de David a pris les choses en main et a téléphoné à un autre médecin. Celui-ci est arrivé, s'est occupé de la malade, a réussi à la calmer avec des médicaments, et les choses se sont arrangées ainsi, la grand-mère s'est endormie à peu près paisiblement. Au petit matin, le grand-père revient. Alors la maman de David s'écrie " mais vous étiez où ? " L'autre : " beh le docteur répondait pas alors j'ai attendu devant la porte ". Incroyable de mentir ainsi… La maman de David a donc répondu " c'est bon j'en ai appelé un autre, Josette a réussi à s'endormir, elle va beaucoup mieux ". Et l'autre à répondu : " beh elle a bien de la chance parce que moi j'ai pas dormi de la nuit ". Ca c'est énorme ! David, qui déjà était très furieux, lui a mis son poing dans la figure, carrément… Oui, c'est triste. Et bien sûr, il s'est fait virer de la maison et son grand-père n'a plus jamais accepté de le revoir.
David avait presque les larmes aux yeux en me racontant ça. J'ai essayé de le consoler comme j'ai pu, mais moi-même j'étais très troublée. Il était bien tard, on s'est caressé pour le plaisir, et on s'est endormi.
Mon petit frère arrive en gare Montparnasse à 23H00 et des poussières. Il passe le week-end ici. Je suis très contente de l'accueillir. A lundi. Zioup.

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