J'ai été
assez déçue par la soirée
théâtre d'hier soir. Tout d'abord,
le professeur était assez antipathique,
il se la jouait intellectuel, inaccessible, possédé
par son Art avec un grand A. Je suis arrivée
là-bas, il ne m'a même pas présentée
aux autres, il a fallu que ce soit eux qui viennent
me demander qui j'étais et ce que je faisais
là avec mon petit carnet. Non, lui, le
professeur, il a commencé par râler
un quart d'heure sur l'association dont il fait
partie, comme quoi la présidente n'est
pas compréhensive, qu'elle est près
de ses sous et fait du favoritisme. Si bien qu'après
quinze minutes, j'étais au courant de tous
leurs petits déboires, qui pourtant ne
m'intéressaient pas le moins du monde,
surtout pour l'article que j'ai à rédiger.
Après ça je me suis assise dans
un coin et on ne m'a plus adressé la parole
de toute la séance. Et c'était long
mais long ! Et ennuyeux ! Déjà,
ce n'est pas une comédie qu'ils présentent
mais un drame. L'avantage du drame, c'est que
quand c'est nul, eh bien on ne s'en aperçoit
pas. Alors qu'une comédie, quand personne
ne rigole dans la salle, c'est que peut-être
ce n'est pas très drôle. Mais à
choisir entre une comédie pas marrante
et un drame endormant, je crois que j'aime encore
mieux la comédie. En plus, ils vont présenter
une histoire complète et non un ensemble
de sketches, alors tant mieux pour les acteurs
principaux, et dommage pour ceux qui n'ont que
trois mots à réciter de toute la
pièce. Enfin ça encore, c'est un
choix.
J'ai eu droit à un cours de théorie
théâtrale, et c'était d'autant
plus intéressant que Cécile, mardi
soir, dans le premier atelier, avait parlé
de cette fameuse théorie, à laquelle
elle n'adhérait pas du tout d'ailleurs.
J'ai eu la thèse et l'anti-thèse,
et moi je penche du côté de l'anti-thèse.
L'idée est la suivante : quand un acteur
joue un rôle, il doit se rappeler des instants
vécus qui vont l'aider à se mettre
dans la peau du personnage. Par exemple si je
suis amoureuse dans la pièce, je dois me
rappeler la dernière fois que j'ai été
amoureuse, et le reproduire. Pareil si je suis
en colère, je dois me rappeler ma dernière
crise de nerfs. Eh bien non, ça ne me plaît
pas du tout comme système. Cécile
disait au contraire que si on fait du théâtre,
c'est entre autres pour oublier un peu la vie
de tous les jours et les soucis qui nous rongent
à longueur de journées. Alors si
on doit y repenser au moment de jouer, ce n'est
pas valable
Moi par exemple, imaginons que
je joue le rôle de quelqu'un qui vient de
perdre un être cher. Il suffira que je pense
très fort à ma sur pour jouer
remarquablement bien, pleurer sur les planches,
et à coup sûr je toucherai le public.
Mais est-ce pour autant que je serai une bonne
actrice ? Certainement pas. Au mieux, ça
me plongera dans le cafard.
Eux aussi ils répétaient pour lundi
soir, la séance fut donc très longue
et j'ai dû partir avant la fin. En effet,
je devais attraper un métro, et au-delà
de minuit il n'y en a plus. J'ai donc quitté
les lieux vers 23H30, et au moment de sortir le
professeur m'a dit : " n'hésite pas
à me téléphoner si tu as
des questions ". Quand même, j'aurai
au moins eu droit à une phrase gentille.
Dommage, je m'en allais. Et puis je n'ai pas vraiment
l'intention de lui téléphoner.
Quand je suis arrivée chez David, il m'avait
attendu pour manger. C'était vraiment très
gentil de sa part, j'ai beaucoup apprécié.
Puis on est allé au lit, on a fait l'amour,
et on est parti dans des discussions passionnantes
qui nous ont fait endormir très tard. Je
lui ai raconté ma soirée au théâtre.
Et puis, à force de passer du coq à
l'âne dans la conversation, on a dérivé
sur divers sujets jusqu'à arriver sur la
guerre. Pas celle de l'Irak, non, celle de 14-18,
la première mondiale. Celle à laquelle
mon arrière-grand-père a participé.
David était passionné par mes récits,
et je regrettais bien d'avoir laissé la
légion d'honneur dans l'appartement de
mon cousin, j'aurais été fière
de la lui montrer. Mais ce n'est que partie remise.
Ensuite on a discuté de ma sur, et
maintenant il sait tout. Mais c'est étrange,
je ne ressens plus aucun chagrin à en parler
depuis que je suis à Paris. Avant ça
m'arrachait toujours quelques larmes, maintenant
ce n'est plus le cas. Je n'ai pas fait une croix
sur elle, je continue d'y penser au moins une
fois chaque jour, car il y tout le temps un petit
instant qui me rappelle un moment vécu
avec elle. Parfois triste, parfois joyeux. C'est
étonnant, mais je ne m'en porte pas plus
mal, dans le fond
Et puis David m'a raconté des choses, lui
aussi, très intéressantes. Il a
vécu un moment douloureux l'année
derinère : perte de sa grand-mère,
et grande dispute avec son grand-père.
Il était vraiment malheureux, en me parlant
de ça. Et il y a de quoi car c'est une
bien triste histoire, et la blessure n'est pas
refermée.
Sa grand-mère est morte d'un cancer du
sein. Pourtant ça se soigne de nos jours,
mais elle s'en est inquiétée beaucoup
trop tard. Et son mari ne s'en est pas inquiété
du tout. Il est très bête apparemment,
ça a l'air d'être un énorme
abruti, excusez mon vocabulaire, mais vous allez
vous rendre compte vous-mêmes. Dans ses
dernières semaines de vie, un soir, elle
a eu une crise plutôt alarmante et inquiétante.
Le mari a dit, résigné et pas trop
stressé, qu'il partait chercher le docteur.
Il est monté en voiture. Une demi-heure
a passé, une heure
toujours pas de
retour. Alors la maman de David a pris les choses
en main et a téléphoné à
un autre médecin. Celui-ci est arrivé,
s'est occupé de la malade, a réussi
à la calmer avec des médicaments,
et les choses se sont arrangées ainsi,
la grand-mère s'est endormie à peu
près paisiblement. Au petit matin, le grand-père
revient. Alors la maman de David s'écrie
" mais vous étiez où ? "
L'autre : " beh le docteur répondait
pas alors j'ai attendu devant la porte ".
Incroyable de mentir ainsi
La maman de David
a donc répondu " c'est bon j'en ai
appelé un autre, Josette a réussi
à s'endormir, elle va beaucoup mieux ".
Et l'autre à répondu : " beh
elle a bien de la chance parce que moi j'ai pas
dormi de la nuit ". Ca c'est énorme
! David, qui déjà était très
furieux, lui a mis son poing dans la figure, carrément
Oui, c'est triste. Et bien sûr, il s'est
fait virer de la maison et son grand-père
n'a plus jamais accepté de le revoir.
David avait presque les larmes aux yeux en me
racontant ça. J'ai essayé de le
consoler comme j'ai pu, mais moi-même j'étais
très troublée. Il était bien
tard, on s'est caressé pour le plaisir,
et on s'est endormi.
Mon petit frère arrive en gare Montparnasse
à 23H00 et des poussières. Il passe
le week-end ici. Je suis très contente
de l'accueillir. A lundi. Zioup.
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