journal intime
152 _ mercredi 7 mai 2003

Mon unique amie

Une musique me court dans la tête. Je crois que c'est du piano, mais je n'en suis pas sûre. Et cette musique ne vient de nulle part, alors si ça se trouve c'est moi qui l'ai composée sans le faire exprès. Et si je devais lui donner un nom je l'appellerais : Julie. Car je n'ai plus que ce prénom sur les lèvres depuis dix jours.
Julie m'entends-tu ? Là-haut dans ta ville, au milieu de cette famille qui n'a rien compris à ce que tu étais ? Sache que tu obsèdes mon esprit depuis dix jours. Alors je te prierai de bien vouloir arrêter. Non… n'arrête surtout pas. Et de toutes façons tu n'y es pour rien, ce n'est pas ta faute si tu es un ange. Et pas ta faute non plus si nos chemins se sont croisés. Mais je n'ai plus que toi autour de moi. C'est étrange, il y a longtemps que je n'avais pas ressenti ça. Et jamais pour une fille, ou alors pas à ce point. Je n'y comprends plus grand chose…
J'écris ton prénom sur un bout de papier et le prononce à voix basse. Et ces quelques lettres alignées me reposent le cœur. Ca doit être ça le pouvoir des mots. Le son de leur lecture te transporte près de moi. Ton prénom, je l'écris un peu partout, sur mes feuilles de cours, sur des bouts de papier que je griffonne et jette aussitôt à la poubelle. Ce matin, je l'ai même tracé du doigt sur la buée de la glace. Mais j'ai bien nettoyé, pour pas qu'il apparaisse en séchant. Parce que rassure-toi : personne ne le sait et personne ne le voit. J'ai même presque honte à quel point je suis malhonnête avec ces gens qui m'entourent et qui m'aiment, et que j'aime. Si je m'écoutais, j'irais tout suite vers toi.
Je revois tous ces mois où nous étions loin l'une de l'autre. Dire que je pensais à toi comme une simple copine… Et pourtant tu es si jolie, comment j'ai pu m'imaginer… que je pourrais vivre ma vie loin de tes jolis yeux mouillés. Si ma mère savait ça, elle tomberait des nues. Et si toi tu le savais…
Pour te connaître ne serait-ce qu'un tout petit peu, il faudrait déjà une vie entière. Alors pour te connaître entièrement, ben il faudrait s'appeler Dieu. Ca doit être pour ça que tu t'entends si bien avec lui. Quand tu étais à mes côtés le soir et que tu récitais tes prières, le son de ta voix résonnait en moi. Et je croyais entendre ma mère quand elle me racontait des histoires pour m'endormir le soir. Oui, tu es ma mère. Et quand tu me poses tes petites questions indiscrètes et curieuses, alors tu es ma fille. Et quand on part ensemble d'un même éclat de rire, alors tu es ma sœur, ma petite sœur que j'aime pour toujours de mon cœur. Tu es tout ça à la fois, ma mère, ma fille, et ma sœur. Et mon amie, la meilleure de toutes.
Seul Dieu peut te comprendre, face à lui je ne peux pas rivaliser. Alors je me laisse allée à rêver, parce que c'est facile et que ça fait du bien. Je rêve à toi et les mots me viennent par milliers pour te parler. Des milliers de mots comme une nuée d'oiseaux qui tournoient autour de toi. De temps en temps, l'un d'eux vient se poser sur ton épaule nue. Et tu es dans un petit jardin silencieux et ombragé. Et ces mots s'alignent ensemble pour te composer des poèmes.
Des poèmes, je t'en écrirai par centaines, tu verras. Des poèmes doux comme tes yeux bleus, des poèmes légers comme tes mèches blondes, et d'autres délicieux comme tes lèvres, j'en suis sûre.
Je rêve et je me sens pousser des ailes. Je me dis que je pourrai tout faire aujourd'hui. Pour toi je me sacrifierai comme un vieux chien pour sa maîtresse. J'essuierai de mes mains blanches tes yeux rougissants de tendresse. Le cœur blotti entre tes hanches, je te couvrirai de caresses. Et je consolerai tes peines et tes chagrins les plus profonds. D'un regard, d'un sourire à peine, je t'emmènerai dans mes chansons. Quand ce jour viendra, je le sais, je pleurerai à tes genoux. Et mon cœur d'enfant retrouvé je serai libre enfin de tout.
Si ce jour vient… Je fleurirai le ciel au-dessus des armées, pour un monde sans guerre où tu pourras régner. Et guidés par ta voix, les hommes pourront s'aimer. Le ciel sera plus bleu au-dessus de leurs yeux. Leur parole plus douce, leurs vers plus délicats. Et les obus à l'eau tomberont en éclats. Toi qui a compris de la vie que seuls les fous pouvaient l'aimer, tu cultives cette folie que la nature t'a donnée.
Six mois qu'on se connaît, t'en souviens-tu Julie ?
Ce jour-là dans le ciel flottait comme un refrain
J'ai suivi le chemin que m'indiquait ton rire
Et j'ai cueilli la vie dans le creux de ta main
O mon unique amie et mon plus doux chagrin

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