Une musique me
court dans la tête. Je crois que c'est du
piano, mais je n'en suis pas sûre. Et cette
musique ne vient de nulle part, alors si ça
se trouve c'est moi qui l'ai composée sans
le faire exprès. Et si je devais lui donner
un nom je l'appellerais : Julie. Car je n'ai plus
que ce prénom sur les lèvres depuis
dix jours.
Julie m'entends-tu ? Là-haut dans ta ville,
au milieu de cette famille qui n'a rien compris
à ce que tu étais ? Sache que tu
obsèdes mon esprit depuis dix jours. Alors
je te prierai de bien vouloir arrêter. Non
n'arrête surtout pas. Et de toutes façons
tu n'y es pour rien, ce n'est pas ta faute si
tu es un ange. Et pas ta faute non plus si nos
chemins se sont croisés. Mais je n'ai plus
que toi autour de moi. C'est étrange, il
y a longtemps que je n'avais pas ressenti ça.
Et jamais pour une fille, ou alors pas à
ce point. Je n'y comprends plus grand chose
J'écris ton prénom sur un bout de
papier et le prononce à voix basse. Et
ces quelques lettres alignées me reposent
le cur. Ca doit être ça le
pouvoir des mots. Le son de leur lecture te transporte
près de moi. Ton prénom, je l'écris
un peu partout, sur mes feuilles de cours, sur
des bouts de papier que je griffonne et jette
aussitôt à la poubelle. Ce matin,
je l'ai même tracé du doigt sur la
buée de la glace. Mais j'ai bien nettoyé,
pour pas qu'il apparaisse en séchant. Parce
que rassure-toi : personne ne le sait et personne
ne le voit. J'ai même presque honte à
quel point je suis malhonnête avec ces gens
qui m'entourent et qui m'aiment, et que j'aime.
Si je m'écoutais, j'irais tout suite vers
toi.
Je revois tous ces mois où nous étions
loin l'une de l'autre. Dire que je pensais à
toi comme une simple copine
Et pourtant
tu es si jolie, comment j'ai pu m'imaginer
que je pourrais vivre ma vie loin de tes jolis
yeux mouillés. Si ma mère savait
ça, elle tomberait des nues. Et si toi
tu le savais
Pour te connaître ne serait-ce qu'un tout
petit peu, il faudrait déjà une
vie entière. Alors pour te connaître
entièrement, ben il faudrait s'appeler
Dieu. Ca doit être pour ça que tu
t'entends si bien avec lui. Quand tu étais
à mes côtés le soir et que
tu récitais tes prières, le son
de ta voix résonnait en moi. Et je croyais
entendre ma mère quand elle me racontait
des histoires pour m'endormir le soir. Oui, tu
es ma mère. Et quand tu me poses tes petites
questions indiscrètes et curieuses, alors
tu es ma fille. Et quand on part ensemble d'un
même éclat de rire, alors tu es ma
sur, ma petite sur que j'aime pour
toujours de mon cur. Tu es tout ça
à la fois, ma mère, ma fille, et
ma sur. Et mon amie, la meilleure de toutes.
Seul Dieu peut te comprendre, face à lui
je ne peux pas rivaliser. Alors je me laisse allée
à rêver, parce que c'est facile et
que ça fait du bien. Je rêve à
toi et les mots me viennent par milliers pour
te parler. Des milliers de mots comme une nuée
d'oiseaux qui tournoient autour de toi. De temps
en temps, l'un d'eux vient se poser sur ton épaule
nue. Et tu es dans un petit jardin silencieux
et ombragé. Et ces mots s'alignent ensemble
pour te composer des poèmes.
Des poèmes, je t'en écrirai par
centaines, tu verras. Des poèmes doux comme
tes yeux bleus, des poèmes légers
comme tes mèches blondes, et d'autres délicieux
comme tes lèvres, j'en suis sûre.
Je rêve et je me sens pousser des ailes.
Je me dis que je pourrai tout faire aujourd'hui.
Pour toi je me sacrifierai comme un vieux chien
pour sa maîtresse. J'essuierai de mes mains
blanches tes yeux rougissants de tendresse. Le
cur blotti entre tes hanches, je te couvrirai
de caresses. Et je consolerai tes peines et tes
chagrins les plus profonds. D'un regard, d'un
sourire à peine, je t'emmènerai
dans mes chansons. Quand ce jour viendra, je le
sais, je pleurerai à tes genoux. Et mon
cur d'enfant retrouvé je serai libre
enfin de tout.
Si ce jour vient
Je fleurirai le ciel au-dessus
des armées, pour un monde sans guerre où
tu pourras régner. Et guidés par
ta voix, les hommes pourront s'aimer. Le ciel
sera plus bleu au-dessus de leurs yeux. Leur parole
plus douce, leurs vers plus délicats. Et
les obus à l'eau tomberont en éclats.
Toi qui a compris de la vie que seuls les fous
pouvaient l'aimer, tu cultives cette folie que
la nature t'a donnée.
Six mois qu'on se connaît, t'en souviens-tu
Julie ?
Ce jour-là dans le ciel flottait comme
un refrain
J'ai suivi le chemin que m'indiquait ton rire
Et j'ai cueilli la vie dans le creux de ta main
O mon unique amie et mon plus doux chagrin
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