journal intime
153 _ vendredi 9 mai 2003

Douce musique

Je me suis retrouvée seule deux ou trois heures hier. Alors j'ai demandé à mon chien s'il voulait sortir. Il m'a regardée tout content mais sans me répondre : j'ai pris ça pour un oui. Je lui ai passé sa laisse, et nous sommes sortis nous promener dans quelque rue aux alentours.
Il faisait gris, j'aime bien ce temps. Je pense continuellement à Julie. Elle obsède mes pensées et refuse de s'en aller. Je ne sais pas si c'est de l'amitié très forte que je ressens pour elle ou si c'est encore plus que ça, mais c'est étrange et agréable à la fois. Je suis heureuse en ce moment, rien qu'à penser à elle. Je sais déjà hélas que ça ne durera pas, et que ces instants de bien-être seront suivis d'un pétage de plomb, un peu comme la pluie suit le beau temps. Car je me connais, c'est toujours ainsi. Non, pas toujours, mais c'est souvent le cas quand ce bonheur n'est que dans ma tête. Car il n'y a rien de concret, je ne fais qu'imaginer. Mon imagination n'avait pas autant travaillé depuis bien longtemps.
Je m'invente plein de décors et plein d'histoires que je vis avec Julie. Je ne sais pas ce qu'on se dit, mais je sais de quelle manière on se le dit. On est à La Rochelle ou bien à Paris, on discute elle et moi, on s'en va respirer l'air marin, on rentre… Il ne se passe rien mais c'est tout bon. Je peux penser comme ça plusieurs heures d'affilée, comme si je quittais cette vie pour en pénétrer une autre où je serais près d'elle. A tel point que j'en viens à me demander si mon rêve n'est pas plus beau que la réalité, si elle devait se produire. Mais je sais que ça ne durera pas, et que je ne pourrai pas me contenter éternellement de rêver et d'imaginer. Tôt ou tard, bientôt, il faudra que je la retrouve, tout de suite et maintenant. J'aurai soif de la vie, il faudra qu'on m'en apporte !
Je repense à cette semaine passée avec elle dernièrement. Je la revois comme un souvenir lointain. Et je la place au même niveau que les plus beaux instants vécus avec ma chère sœur autrefois, quand mes parents partaient en vacances et qu'ils nous laissaient chez mes grands-parents sur l'île. Evidemment je suis un peu triste car Julie n'est pas là, mais c'est fou comme il est agréable d'être triste en pensant à elle.
En attendant je me sens bien, je plane tranquillement. David m'a dit que j'avais encore plus le sourire que d'habitude. Et pourtant il me le disait déjà avant… Le problème c'est qu'avant c'est pour lui que je souriais, et maintenant c'est de penser à Julie. S'il le savait, il aurait certainement de la peine. Mais personne ne le sait, je me garde bien d'en parler à qui que ce soit. Même mon cousin, depuis qu'il sort avec sa copine il ne lit plus mon journal, enfin je crois. Je sais qu'il rattrapera son retard un jour, mais pour le moment il n'en est rien et c'est tant mieux.
Je suis rentrée un peu plus tard, et je me suis passée de la musique classique, chose très rare. Ca ne m'arrive jamais ou presque, d'ailleurs je n'ai qu'un seul disque de ce genre de musique. Mais hier, c'est cela que je voulais entendre. Il y avait tout d'abord du piano, et ça tombe bien car cet instrument me hante depuis plusieurs jours. J'ai une musique en moi qui n'en finit plus de jouer. Donnée par un pianiste qui n'aurait que sa main gauche, car toutes les notes sont graves. C'est un concerto infini qui n'a ni début ni fin. A peine s'enflamme-t-il de temps en temps, et encore ce n'est peut-être qu'une impression.
Moi j'étais allongée sur le côté, sur le lit. Mes pieds se frottaient l'un à l'autre, et mes mains étaient jointes sous ma joue. Je me sentais heureuse et légère comme une plume. Ensuite c'était tout un orchestre, toutes ces dizaines d'instruments qui jouent ensemble une même musique. Jusqu'à hier, je ne comprenais rien à la musique classique. Mais hier, je crois que j'ai saisi un petit quelque chose. J'ai écouté différemment. J'ai écouté cette musique comme si elle avait été composée pour Julie. Alors elle prenait toute son ampleur, et tout était clair comme de l'eau de roche, chaque note avait sa place. Je collais des images sur ces notes qui me trottaient en tête. Je voyais Julie dans un décor irréel et flou, à moitié dévêtue, et la lumière jouait sur son corps.
Mon chien s'est approché et m'a regardée, hésitant à sauter sur le lit près de moi. Mais il sait quand c'est le moment et quand ça ne l'est pas, aussi est-il resté au sol. Il s'est couché et m'a regardée droit dans les yeux. J'aime beaucoup ça, le fixer bien en face pendant plusieurs longues minutes, sans décrocher la moindre parole alors qu'il n'attend que ça. Finalement je lui ai murmuré doucement "Ca va ?" Alors il a redressé la tête tout content pour me répondre du regard.
David est rentré peu après. Il m'a vue allongée là sur le lit, s'est assis à côté de moi et m'a caressée. Moi j'imaginais que c'était la main de Julie qui passait sur mon corps, mais j'ai tout de suite arrêté. Etre malhonnête avec les autres est une chose, l'être avec soi-même en est une autre et je ne le veux pas. Alors c'était bien la main de David qui me caressait. Puis on a fait l'amour. Mais je ne sais pas si le terme "faire l'amour" est bien approprié…

Nues
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