Je me suis retrouvée
seule deux ou trois heures hier. Alors j'ai demandé
à mon chien s'il voulait sortir. Il m'a
regardée tout content mais sans me répondre
: j'ai pris ça pour un oui. Je lui ai passé
sa laisse, et nous sommes sortis nous promener
dans quelque rue aux alentours.
Il faisait gris, j'aime bien ce temps. Je pense
continuellement à Julie. Elle obsède
mes pensées et refuse de s'en aller. Je
ne sais pas si c'est de l'amitié très
forte que je ressens pour elle ou si c'est encore
plus que ça, mais c'est étrange
et agréable à la fois. Je suis heureuse
en ce moment, rien qu'à penser à
elle. Je sais déjà hélas
que ça ne durera pas, et que ces instants
de bien-être seront suivis d'un pétage
de plomb, un peu comme la pluie suit le beau temps.
Car je me connais, c'est toujours ainsi. Non,
pas toujours, mais c'est souvent le cas quand
ce bonheur n'est que dans ma tête. Car il
n'y a rien de concret, je ne fais qu'imaginer.
Mon imagination n'avait pas autant travaillé
depuis bien longtemps.
Je m'invente plein de décors et plein d'histoires
que je vis avec Julie. Je ne sais pas ce qu'on
se dit, mais je sais de quelle manière
on se le dit. On est à La Rochelle ou bien
à Paris, on discute elle et moi, on s'en
va respirer l'air marin, on rentre
Il ne
se passe rien mais c'est tout bon. Je peux penser
comme ça plusieurs heures d'affilée,
comme si je quittais cette vie pour en pénétrer
une autre où je serais près d'elle.
A tel point que j'en viens à me demander
si mon rêve n'est pas plus beau que la réalité,
si elle devait se produire. Mais je sais que ça
ne durera pas, et que je ne pourrai pas me contenter
éternellement de rêver et d'imaginer.
Tôt ou tard, bientôt, il faudra que
je la retrouve, tout de suite et maintenant. J'aurai
soif de la vie, il faudra qu'on m'en apporte !
Je repense à cette semaine passée
avec elle dernièrement. Je la revois comme
un souvenir lointain. Et je la place au même
niveau que les plus beaux instants vécus
avec ma chère sur autrefois, quand
mes parents partaient en vacances et qu'ils nous
laissaient chez mes grands-parents sur l'île.
Evidemment je suis un peu triste car Julie n'est
pas là, mais c'est fou comme il est agréable
d'être triste en pensant à elle.
En attendant je me sens bien, je plane tranquillement.
David m'a dit que j'avais encore plus le sourire
que d'habitude. Et pourtant il me le disait déjà
avant
Le problème c'est qu'avant
c'est pour lui que je souriais, et maintenant
c'est de penser à Julie. S'il le savait,
il aurait certainement de la peine. Mais personne
ne le sait, je me garde bien d'en parler à
qui que ce soit. Même mon cousin, depuis
qu'il sort avec sa copine il ne lit plus mon journal,
enfin je crois. Je sais qu'il rattrapera son retard
un jour, mais pour le moment il n'en est rien
et c'est tant mieux.
Je suis rentrée un peu plus tard, et je
me suis passée de la musique classique,
chose très rare. Ca ne m'arrive jamais
ou presque, d'ailleurs je n'ai qu'un seul disque
de ce genre de musique. Mais hier, c'est cela
que je voulais entendre. Il y avait tout d'abord
du piano, et ça tombe bien car cet instrument
me hante depuis plusieurs jours. J'ai une musique
en moi qui n'en finit plus de jouer. Donnée
par un pianiste qui n'aurait que sa main gauche,
car toutes les notes sont graves. C'est un concerto
infini qui n'a ni début ni fin. A peine
s'enflamme-t-il de temps en temps, et encore ce
n'est peut-être qu'une impression.
Moi j'étais allongée sur le côté,
sur le lit. Mes pieds se frottaient l'un à
l'autre, et mes mains étaient jointes sous
ma joue. Je me sentais heureuse et légère
comme une plume. Ensuite c'était tout un
orchestre, toutes ces dizaines d'instruments qui
jouent ensemble une même musique. Jusqu'à
hier, je ne comprenais rien à la musique
classique. Mais hier, je crois que j'ai saisi
un petit quelque chose. J'ai écouté
différemment. J'ai écouté
cette musique comme si elle avait été
composée pour Julie. Alors elle prenait
toute son ampleur, et tout était clair
comme de l'eau de roche, chaque note avait sa
place. Je collais des images sur ces notes qui
me trottaient en tête. Je voyais Julie dans
un décor irréel et flou, à
moitié dévêtue, et la lumière
jouait sur son corps.
Mon chien s'est approché et m'a regardée,
hésitant à sauter sur le lit près
de moi. Mais il sait quand c'est le moment et
quand ça ne l'est pas, aussi est-il resté
au sol. Il s'est couché et m'a regardée
droit dans les yeux. J'aime beaucoup ça,
le fixer bien en face pendant plusieurs longues
minutes, sans décrocher la moindre parole
alors qu'il n'attend que ça. Finalement
je lui ai murmuré doucement "Ca va
?" Alors il a redressé la tête
tout content pour me répondre du regard.
David est rentré peu après. Il m'a
vue allongée là sur le lit, s'est
assis à côté de moi et m'a
caressée. Moi j'imaginais que c'était
la main de Julie qui passait sur mon corps, mais
j'ai tout de suite arrêté. Etre malhonnête
avec les autres est une chose, l'être avec
soi-même en est une autre et je ne le veux
pas. Alors c'était bien la main de David
qui me caressait. Puis on a fait l'amour. Mais
je ne sais pas si le terme "faire l'amour"
est bien approprié

|