journal intime
154 _ lundi 12 mai 2003

Comme du miel

Moi qui aimais tant le joli mois de mai étant enfant, il commence à m'échauffer les oreilles depuis quelques années. Tous ces jours fériés et ces week-ends qui se prolongent ne sont pas faits pour moi. Ces jours-là les gens sortent et les gens se promènent, et ça me donne l'impression de ne plus avoir le monopole de toutes ces rues et ces quartiers. Moi je me promène du lundi au dimanche, en plein été comme en plein hiver. Je n'ai pas attendu qu'ils ferment la circulation aux voitures en centre-ville le premier dimanche de chaque mois (je crois), pas attendu non plus d'avoir une jolie paire de rollers ni un beau vélo pour découvrir Paris. Mon chien, et voilà. Pas besoin de pédaler ni de rolleriser.
Et puis cette année, le mois de mai m'approche encore plus du bac. Il vient à grands pas, et pourtant je n'arrive pas à me mettre la pression. Je suis toute décontractée, je ne travaille guère plus qu'avant, et presque… je m'en fous. Non quand même pas, j'ai envie de l'obtenir. Mais je n'arrive pas à me persuader que c'est du sérieux. C'est dans ces moments-là que je suis heureuse d'avoir quitté le lycée pour les cours par correspondance. Car je devine très bien que là-bas, au lycée, ils ne doivent plus avoir que ce mot sur les lèvres. Bac bac bac… Mais même ici je suis cernée. Quand je fais la connaissance de quelqu'un et qu'il me demande en quoi je suis, je réponds terminale. Alors la plupart du temps on me répond : " Ah ! Bientôt le bac ! " Mais bon sang de bonsoir, n'ont-ils rien d'autre à me raconter pour me parler de ça ? Je sens que je vais mettre un écriteau sur la porte d'entrée : " Ici on ne cause pas du bac ".
Alors aujourd'hui, afin de marquer haut et fort mon mécontentement, j'ai décidé de faire la grève et de ne pas travailler une seule seconde. Et je dois dire que ça fait du bien. Je me suis levée à 7H00 en même temps que David, et suis sortie en même temps que lui également. Mais je l'ai quitté au métro et suis partie en balade dans ces bonnes vieilles rues deux heures d'affilée. Deux heures à user mes tennis sur le pavé de Paris. J'aurais aimé prolonger jusqu'à midi au moins, mais je savais qu'une lettre de Julie m'attendait dans la matinée. Alors j'ai fait court. L'autre jour en marchant je ne sais plus où, j'ai croisé deux filles qui se tenaient par la main et qui avaient l'air de s'aimer. J'avais comme envie de les interpeller et de leur poser des milliers de questions, mais je suis trop timide pour ça. Et puis ça ne se fait pas d'accoster ainsi les gens dans la rue. Et puis mes pauvres petites questions, ce sont certainement pour elles des choses acquises, ça les aurait ennuyées… N'empêche ça travaille pas mal à ce sujet dans mon esprit en ce moment. Je ne me préoccupe pas trop, je ne me cache rien car je sais que c'est meilleure façon pour être mal dans sa peau. J'ai des sentiments, je ne veux pas faire semblant de ne pas les avoir. Ca m'a gâché la vie ils y a quelques années, alors maintenant j'accepte tout ce qui est en moi. Et je ne rougirai de rien. Cependant… c'est pas pour ça que je ne me pose pas certaines questions…
En rentrant, j'avais effectivement une lettre de Julie. Mon cœur a fait comme un bond quand je l'ai vue dans la boîte. J'ai même bien failli laisser au fond de la boîte une autre lettre que m'a envoyée Noémie. Si elle savait, elle ne serait pas contente. Et encore moins contente de savoir que sa lettre, je l'ai laissée traîner une demi-heure sur le bureau avant de l'ouvrir. Mais c'est celle de Julie que je voulais lire et tout de suite !
Sa lettre est bien agréable, encore une fois… Elle me parle de tout et de rien, de son quotidien, de ses parents et de son lycée. C'est bizarre… j'étais presque déçue qu'elle ne réponde pas aux questions que je me pose. C'est vrai, je ne lui ai rien dit, et elle ne sait pas tout ce que je ressens. Mais je l'ai pensé tellement fort que naïvement, j'espérais qu'elle l'entendrait, même à plusieurs centaines de kilomètres de moi.
Encore une fois, elle a utilisé une encre bleue turquoise, ce qui m'a fait décrocher un petit sourire. Elle ne changera pas… Son écriture est incroyablement soignée. Je ne sais pas si elle s'applique toujours à ce point ou si c'est juste quand elle m'écrit, mais ses lettres sont sacrément belles. Surtout ses majuscules d'ailleurs. C'est une vraie petite artiste ma Julie. Elle me joint encore quelques photos de chez elle, sa maison, sa rue, son chat, tout ça… Mais vu que c'est elle qui les a prises on ne la voit pas. Et une photo n'a pas vraiment de valeur si Julie n'est pas dessus. Comme j'avais relu plusieurs fois sa lettre et que je finissais par la connaître par cœur, pour prolonger un peu ce délicieux moment j'ai pris chacune des photos, et au dos j'ai écrit soigneusement son prénom et la date. J'ai pris tout mon temps mais après ça il n'y avait plus rien à faire. Tout était dit, hélas.
J'ai attaqué la lettre de Noémie. Elle me parle du bac…
Quand je pense à Julie, je vois du blanc et du bleu clair. C'est tendre et doré, c'est doux et sucré, comme du miel que j'aurais bien envie de butiner.

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