journal intime
155 _ mardi 13 mai 2003

Ma réponse

Que répondre à la lettre de Julie ? Pas facile de répondre à cette question. C'est quand même incroyable de penser si fort à quelqu'un pendant une semaine, pour ne plus savoir quoi lui écrire quand on se retrouve devant sa feuille blanche.
Depuis une semaine, les mots se bousculent par milliers pour lui parler ou pour parler d'elle. Et maintenant le stylo s'échappe de mes doigts, je ne fais que raturer, recommencer, et me désespérer de ne rien réussir à faire passer. Pourtant elle est bien là. Quand je me réveille le matin, ma première pensée est pour elle. La plupart du temps j'ouvre les yeux quelques minutes avant la sonnerie. Il n'y a pas si longtemps, je profitais de ces quelques minutes pour réveiller doucement David par quelques petits bisous, et plus si affinités. Mais maintenant, j'attends simplement que ça sonne en pensant à elle. Et je n'y peux rien : s'il y a un moment où je ne contrôle pas mon esprit, c'est bien après une nuit de sommeil. Le soir c'est pareil. Avant je m'endormais sitôt qu'on avait fait l'amour, maintenant je reste quelques minutes à rêvasser et à m'inventer une petite histoire. Idem dans la journée : tout me fait penser à Julie. Les gens que je croise et les rues que je fréquente. Il suffit que je me retrouve par hasard dans une rue où nous avons traîné elle et moi, pour que les souvenirs reviennent à moi et que je me replonge dans ces délicieux moments vécus ensemble. Tout ça pour ne plus savoir quoi dire une fois devant ma feuille blanche.
David ne se rend compte de rien, à part de temps en temps, quand il voit que je décroche alors qu'il me parle, il me rappelle : " Eh tu m'entends ? " Alors je reviens aussitôt à notre conversation. Mais ça ne l'étonne pas plus que ça car j'ai toujours été ainsi. Incapable de me concentrer plus de dix minutes sur un sujet. Quand j'étais petite, à l'école, j'avais toujours les yeux rivés à la fenêtre, je regardais les champs de l'autre côté. Alors ma mère me rappelait : " Eh descends de ton nuage ! " En seconde, ma professeur principale a écrit sur mon bulletin : " Grave manque de concentration ". C'est pas très gentil d'écrire des choses pareilles. J'y peux rien, moi…si les fils se débranchent. Et c'est encore pire quand des pensées m'obsèdent. Et en ce moment Julie m'obsède. Mais c'est tellement agréable. Il y a quelques années c'est la maladie de ma sœur qui accaparait mes pensées, maintenant c'est Julie. Je peux vous dire que je suis bien mieux dans cette situation. Mais… tout ça pour ne plus savoir quoi dire une fois devant ma feuille blanche.
Je me suis attelée à la tache hier après-midi. Mais je ne savais plus quoi lui raconter. Julie, désolée pour cette lettre minable que je t'ai envoyée. J'aurais voulu t'écrire la lettre parfaite, The Lettre, que quand tu l'aurais lue tout aurait été simple et clair comme de l'eau de source. Tu n'aurais eu aucun doute, aucune question, tout aurait été dit. Et mieux que ça, les mots choisis t'auraient fait ressentir pour moi la même chose que je ressens pour toi. Tout serait si simple de cette manière…
Hélas, écrire à Julie ce n'est pas la même chose que de raconter sa journée dans un journal. Parce que là, je sais que chaque mot écrit sera parcouru pas son doux regard, peut-être même prononcé par sa voix. Alors tout de suite ça met la pression. Tout de suite les choses se compliquent. Et je suis désemparée.
Alors à force de ratures, j'ai renoncé et me suis roulée une petite cigarette, énervée et déçue. Au moins rouler une clope, ça ne pose aucune difficulté. Quoique… je l'ai trop tassée, elle était difficile à fumer. Ca n'a même pas réussi à calmer mes ardeurs. Alors j'ai déchiré ma feuille et j'ai remis ça à plus tard, à ce matin. La nuit porte conseil, dit-on.
Mais la nuit m'a apporté plein de rêves et aucun conseil. Ce matin c'était pareil, rien n'avait changé. J'ai relu les textes que j'ai écrits en son honneur la semaine dernière. C'était pas compliqué… Je me baladais dans la rue, je m'asseyais sur un banc, et je pensais très fort à elle. Alors je voyais son visage dans le ciel (vraiment), elle emplissait tout le firmament en me souriant gentiment. Alors les mots venaient sans que j'aie à les chercher. Mais tout ça c'était pour rigoler, maintenant il s'agit de parler sérieusement. Et c'est là que ça se complique. Je crois savoir d'où vient le problème : je ne suis pas sûre de moi. Je veux dire… pas sûre de ce que je ressens pour elle. Pour les gens qui m'écrivent, mes sentiments ne font aucun doute. Mais moi je ne suis sûre de rien. Une lectrice m'écrit de foncer, de ne pas laisser passer ça. Et la fin de son mail me fait vibrer de frissons, rien qu'à l'idée que ce qu'elle me décrit se réalise un jour. Hmmm… Julie. Mais je ne sais pas. C'est peut-être bête, mais je me contente pour le moment de cette situation. Rien ne presse. J'ai toujours du plaisir à me serrer dans les bras de David et à partager son lit, tout en ayant la tête ailleurs. Je sais que tôt ou tard je ne pourrai plus me contenter de ça et qu'il faudra que je passe à l'acte. Mais pour l'instant je me sens bien dans ma peau et dans ma tête, bien sur mon petit nuage, bien sur ma barque au loin douce à ramer. Je suis peut-être un peu trop rêveuse, peut-être pas assez fonceuse. Peut-être que je m'en mordrai un jour les doigts. Seul Dieu le sait.
Alors je la lui ai écrite, cette lettre, à Julie. Une lettre banale, qui lui donnera sûrement du plaisir, mais qui est à dix mille lieues de tout lui raconter. Et puis je lui ai fait un petit dessin, que j'ai colorié en blanc et bleu clair. Et je lui ai dit que ces couleurs me faisaient penser à elle. C'est le seul petit signe de tendresse que j'ai laissé passer dans cette lettre.

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