journal intime
156 _ mercredi 14 mai 2003

La pilule

Faire l'amour sans préservatif, c'est quand même autre chose que de le faire avec. Ca change tout ! Un peu comme une deuxième première fois.
Pour cela, il a fallu prendre la pilule. Voilà une quinzaine de jours que je l'avale tous les jours à treize heures. Mais ce ne fut pas sans mal… l'idée de la prendre un jour me faisait vraiment peur. Tout d'abord, j'ai toujours eu du mal à avaler tout ce qui est comprimés, cachets et autres pilules. Quand c'était nécessaire et que j'étais petite, ma mère imaginait tout un scénario pour me convaincre. Elle me disait que c'était un petit bateau en me le mettant dans la bouche. Et comme un bateau, pour naviguer il lui faut de l'eau, il fallait bien que je boive un bon verre d'eau… Eh eh. Mais ce n'est pas sans difficulté que tous les jours je prends la chose. Et puis… j'avais peur que ça me détruise le corps de l'intérieur, peur que ça chamboule tout en-dedans. C'est sans doute le souvenir de ma sœur qui m'effrayait. Parce que des problèmes, je peux vous dire qu'elle en a eus. Durant toute la dernière année de sa vie, elle n'a plus jamais eu ses règles. L'anorexie n'a pas pour seul effet la maigreur progressive : il y a aussi de nombreux dégâts psychiques et physiques. Entre autres ses règles : plus jamais ça ne lui est arrivé, et elle n'était pas enceinte pour autant. Il est vrai qu'en plus, la pilule, elle la prenait un peu n'importe comment : un coup oui, un coup non, elle arrêtait, elle recommençait… tout ça ce n'est pas très conseillé. C'est même complètement idiot. Mais c'était ma sœur…
Ma mère et elle en discutaient souvent et je ne comprenais pas tout. Et au lieu de poser mes questions, je restais dans mon coin avec mes interrogations, à me dire que j'aurais bien le temps de comprendre ça plus tard. C'est un tort. Ainsi, prendre la pilule était loin de me rassurer. Mais il y avait un obstacle supplémentaire : le rendez-vous chez la gynécologue.
Ca aussi ça me stressait. L'idée d'aller passer une visite intime et de répondre à des questions gênantes et indiscrètes ne me plaisait pas du tout. Il m'a fallu bien des efforts pour passer le coup de fil. Le rendez-vous a eu lieu il y a deux semaines. Je n'en ai pas parlé plus tôt dans mon journal, car certaines choses me demandent un minimum de recul pour en causer. Et celle-ci en fait partie, de même que tout ce qui va suivre.
Après ce rendez-vous je n'ai eu qu'un seul regret : de ne pas y être allée plus tôt. Ce n'était vraiment pas comme je me l'étais imaginée. Elle était très sympa et très gentille, très intéressée par ce que je lui répondais. J'ai vraiment senti qu'elle ne se contentait pas de faire son boulot comme ça vite fait bien fait, j'ai vu qu'elle faisait beaucoup d'efforts pour me mettre le plus à l'aise possible. En plus nous avons dialogué longuement, elle me posait plein de questions sur mon couple, sur ma vie sexuelle, tout ça… Et elle répondait aux miennes, car j'en avais quelques-unes. Sauf à la fin… et c'est mon petit regret. Elle m'a demandé si j'avais encore des questions. Et là, j'ai pensé très fort à ma sœur, je mourais d'envie de vider mon sac, je souhaitais qu'elle me rassure, qu'elle me dise que pour moi ce serait différent. Mais comme à chaque fois que je suis sur le point de parler de ma sœur, mon cœur s'est mis à battre, j'ai eu une petite sueur froide et j'ai renoncé. Et j'ai dit " non c'est bon ". C'est dommage… la prochaine fois j'essaierai vraiment de prendre sur moi.
Mine de rien j'ai appris des choses. Par exemple qu'il est possible de décaler ses règles de quelques jours, ce qui peut être pratique si on ne voit pas son ami régulièrement (autant ne pas les avoir pile ce jour-là). Mais je n'utiliserai jamais cette méthode, j'ai bien trop peur de mettre le désordre dans mon ventre. La pilule, je la prends à treize heures pile, à la minute près. Elle m'a dit que j'avais un délai de plusieurs heures avant et après, mais même, je ne veux pas jouer avec ça.
Pour le moment tout se passe bien, depuis deux semaines rien n'a changé : contrairement aux dires de ma sœur ça ne me donne pas plus faim, ni moins, je ne me sens pas plus fatiguée et mes cheveux ne sont pas devenus roses : c'est parfait. Espérons que ça continue jusqu'à ce que la première tablette soit terminée… et qu'après ça les règles viendront comme d'habitude.
Puis nous avons fait les tests pour le VIH, et même tout le reste : analyse complète du sang. Et là aussi tout est parfait. Je vous dis pas dans quel état d'excitation on était David et moi après être allés chercher les résultats. C'était lundi de la semaine dernière, pour être précis.
Sur le chemin du retour, il m'a demandé pourquoi je rigolais doucement dans mon coin. Mais il le savait très bien. Lui aussi il ne pensait qu'à ça, au moment où on allait rentrer. On n'a pas arrêté de s'embrasser dans le métro, heureusement il y avait peu de monde et on était dans notre coin. On se faisait même des petites caresses, j'avais envie de lui et tout de suite. Le pire c'est qu'en arrivant, on n'est même pas allés au lit. Pas le temps ! On est resté devant la porte d'entrée, on s'est déshabillé à grande vitesse, et encore juste le bas. Et on s'est mis dans le fauteuil. Et là… je n'en revenais pas. Il n'y avait plus cette sensation habituelle de plastique en moi. C'était plus doux et plus chaud, au moins deux fois meilleur qu'avant. Le plaisir est monté très vite pour lui comme pour moi. Je me demandais si je le sentirais couler en moi, mais non. Par contre après ça dégoulinait, le lendemain j'ai dû mettre la housse du fauteuil au lavage.
Après ça… on a repris nos esprits doucement. Puis on s'est dirigé vers la chambre, et on ne l'a plus quittée jusqu'au lendemain matin, si ce n'est pour grignoter un petit peu vers minuit. Ce fut une nuit extraordinaire.
C'est à partir de ce moment-là que j'ai commencé à penser encore plus fortement à Julie. Je ne sais pas si c'est un hasard, oui, sûrement, car je ne vois pas le rapport avec elle. Et ça, ça me chagrine un petit peu. Depuis une semaine qu'on fait l'amour avec passion, je suis ici et maintenant à chaque fois. Avec David. Mais tout de même… il y a un petit quelque chose en moi qui me dérange, au loin. Quelque chose qui me dit que lui et moi, ça ne durera peut-être pas si longtemps que ça. Et que même, peut-être, la pilule, ben j'aurais pu me passer de la prendre…

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