PARTIE II
Me voilà devant sa porte, je frappe. Un
il me dévisage à travers le
judas, puis la porte s'ouvre, c'est la mère
de Julie. Elle m'entraîne à l'intérieur
sans dire un mot et referme aussitôt la
porte à double tour derrière elle.
Ce n'est qu'ensuite qu'elle laisse éclater
sa joie de me revoir. Ces retrouvailles me font
chaud au cur, mais je n'oublie pas ma mission.
Elle n'a que de la mie de pain à m'offrir,
et d'ailleurs je la refuse, je ne voudrais pas
la priver de cette précieuse denrée.
J'aimerais prendre des nouvelles de Julie, mais
j'ai peur de me montrer indiscrète, alors
j'attends qu'elle m'en parle d'elle-même.
Ca vient enfin : "Il y a dix jours, mon mari
est mort pendant un assaut de Richelieu. Depuis,
Julie est tombée malade. Elle ne va pas
bien du tout, j'ai très peur pour elle".
Ces paroles m'assomment et je demande à
la voir immédiatement. Et je lui expose
mon plan, je lui assure que sitôt sorties
de cette ville, j'emmènerai Julie chez
le meilleur médecin de la province, un
ami de mon père, qui lui prescrira quelque
bonne potion qui la remettra d'aplomb en quelques
jours. Sa mère me donne carte blanche pour
mon projet et m'emmène auprès de
Julie.
Elle dort à l'étage dans son lit.
Son joli corps a bien maigri, et son visage est
bien pal. Mais elle ne pas l'air mourante pour
autant, tout espoir n'est pas perdu si nous réussissons
à nous enfuir d'ici. Je m'assois à
ses côtés et prends sa main dans
la mienne. Elle se réveille légèrement
et me sourit. Mais je ne suis pas sûre qu'elle
ait bien compris que j'étais là
en chair et en os, elle doit croire que c'est
un rêve. Alors je caresse sa main pour la
réveiller. Elle se redresse incrédule
et me dit : " Aglaia ?
_ Oui, Julie
Je suis venue te chercher.
Nous allons quitter la ville et vivre au château
de mon père jusqu'à la fin de la
guerre. Ta mère le souhaite aussi ".
Difficilement elle se relève et passe ses
habits. J'offre toute ma bourse à sa mère,
mais celle-ci refuse. Alors je la glisse discrètement
dans les couvertures du lit, et quelques minutes
plus tard je suis dans la rue. Julie s'appuie
sur mon épaule, elle est très faible
et nous avonçons très lentement.
Les rats s'enfuient sur notre passage. Nous atteignons
enfin le port. C'est là que j'aperçois
mon petit pêcheur : il semble avoir des
soucis. Un homme discute avec lui et il n'a pas
l'air pas bien aimable. Il le fouille, lui décroche
un coup de poing et s'en va. J'ai tout compris
: il lui a volé les cinq écus. Ce
geste est indigne d'un Rochelais ! Alors je laisse
Julie à mon pêcheur et je rejoins
l'homme. Je lui demande de rendre son butin, il
me regarde en riant. Il est grand et fort, tandis
que moi je suis petite et fragile. Oui, mais chez
moi la force est cachée. Mes coups ne sont
pas puissants mais percutent toujours au bon endroit.
De longues années de travail ont décuplé
mon habileté. Je me rappelle les conseils
de mon maître d'arme : " Si ton équilibre
est bon, ton combat sera bon. Si ton équilibre
est mauvais, tu fais tes bagages et tu rentres
à la maison ". Je dégaine mon
épée en moins de temps qu'il n'en
faut pour le dire et la fait voler dans la main
du brigand. Le sang gicle. Je ne lui ai rien tranché
ni coupé, mais il a suffisamment mal pour
lâcher sa prise et s'enfuir en courant comme
un pleutre. Je me précipite vers la barque
où mon petit pêcheur a allongé
ma chère Julie. Il faut nous dépêcher
: ce pleutre de voleur a donné l'alarme
en hurlant : "Au traître ! A l'ennemi
!" Ce gredin va nous faire repérer
A grands coups de rame nous quittons le bord.
Au moment où nous passons entre les deux
tours, les soldats là-haut nous décochent
quelques flèches. Nous voilà la
cible de nos amis ! Par chance, dans le noir,
leurs flèches pleuvent dans l'eau sans
nous toucher. A part une qui vient m'égratigner
l'oreille, mais je n'ai pas le temps de m'y attarder.
Un peu plus tard, nous voici hors de danger. Et
pour la seconde fois, nous allons devoir passer
au travers des navires ennemis. Il faut nous dépêcher
: le jour va bientôt se lever. Déjà,
on y voit beaucoup plus clair qu'à l'aller.
Et puis cette fois-ci la marée est contre
nous.
Note : quelques années
plus tard, je me demande encore comment nous avons
réussi à nous tirer de cette situation.
Le Bon Dieu avait dû choisir son camp, je
ne vois pas d'autre explication.
Un peu plus tard, nous sommes totalement en sécurité,
hors de portée. Alors je demande à
mon pêcheur de nous emmener à l'endroit
exact où nous nous trouvions la veille
au soir. Pour ma part, je m'allonge à côté
de Julie dans le fond de la barque. Elle dort,
ses yeux sont légèrement fermés
et sa respiration est douce et calme. Je pose
ma main sur son ventre pour mieux la sentir. Elle
entrouvre alors les yeux et me regarde en souriant.
J'ai peur qu'elle prenne froid, alors je la recouvre
jusqu'aux épaules d'une laine qui traînait
sur le bois de l'embarcation. Et je lui murmure
à l'oreille : " désormais Julie,
je veillerai sur toi jusqu'à la mort ".
|