journal intime
159 _ lundi 19 mai 2003

Mon coeur bat trop vite

Quelquefois, mon cœur se met à battre plus vite qu'à la normale, comme si j'avais peur de quelque chose. Et dans ces moments-là je ressens une petite chaleur dans le ventre ou dans la gorge, c'est très désagréable. Ce n'est pas vraiment de la peur, plutôt de l'inquiétude. Inquiétude de l'avenir, de la vie et du temps qui passe. Il n'y a que le passé qui ne m'effraie pas puisqu'il est déjà écrit et que plus personne ne le changera.
Alors pour calmer mon cœur je me plonge un peu dans mon passé, dans ces jolies choses qui restent au fond de moi. Une bonne cure de souvenirs, c'est mon aspirine. Mon père me dit parfois qu'il faut aller de l'avant, que tourner la tête derrière fait mal à la nuque tandis que regarder devant soi est plus naturel. Ben désolée Papa, mais regarder derrière moi ne m'a jamais fait mal à la nuque. De temps en temps je lui raconte des histoires qu'on a vécues ensemble et qu'il a complètement oubliées. Il me regarde alors avec de grands yeux, comme s'il avait devant lui un livre ouvert. Un livre dans lequel seraient retracées dix-huit années de vie que le temps n'aurait pas effacées. Et je me plonge régulièrement dans ce livre. Il n'y a presque aucun texte dedans, rien que des images. Des images bleues et blanches : un cargo qui accoste dans un port, une école perdue dans la campagne rochelaise, une petite fille qui se promène main dans la main avec sa grand-mère sur une digue de l'île de Ré. Et d'autres images grises et sombres, moins gaies. Mais tout est bon dedans, il n'y a rien à jeter.
Hier j'étais un peu dans cet état-là, suite à une petite dispute avec David. Ca marche moins bien qu'avant, lui et moi, depuis quelques temps. Ca coule moins doucement. Je repense à ma sœur : quand elle n'était pas encore trop malade elle avait plein de copains. En fait, c'est parce qu'elle ne supportait absolument pas la solitude. C'était maladif chez elle, elle ne pouvait pas être seule. Quit à prendre le premier type venu, persuadée que ce coup-ci ce serait le bon. Et moi dans mon coin, je me disais qu'elle ferait mieux de patienter, d'attendre tranquillement que l'homme de sa vie vienne. Je me disais ça… et si ça se trouve j'ai fait pareil avec David. Quand je suis arrivée à Paris en janvier, je me sentais désespérément seule. Dans la semaine ça allait, il y avait mon cousin. Mais le week-end c'était insupportable, à s'en tirer une balle dans la tête. Et puis David est arrivé… et tout s'est arrangé.
Et je ne regrette rien. On a passé ensemble des moments merveilleux, et il m'a fait découvrir des tas de choses dans plein de domaines, au lit entre autres. Mais je crois bien qu'il était surtout là pour combler mon vide. Ce n'est pas très gentil pour lui ce que je dis là, mais je le pense. Je me trompe peut-être. En tous cas hier, ça a chauffé un petit peu. Comme je l'ai déjà raconté, j'ai tendance à partir assez facilement dans mes pensées. Dans ces moments-là David me demande à quoi je pense, et moi je réponds "rien". D'habitude il n'insiste pas, mais hier il a voulu en savoir un peu plus. Et ça m'a stressée, je lui ai dit "mais lâche-moi je te dis que je pense à rien ! !" J'ai regretté aussitôt… Car il ne m'a vraiment pas demandé ça méchamment. Mais j'ai l'impression que me demander à quoi je pense, c'est essayer de me voler ce que je souhaite garder en moi. Il était d'autant plus surpris par ma réaction que d'habitude je suis toujours d'accord avec tout. C'est vrai, je me rends compte que je suis très vivable comme fille. Quand il me propose de sortir je dis oui, aller au cinéma ? Oui. Manger quelque part ? Oui. Aller chez un copain ? Oui, je suis toujours partante. Alors quand je dis non, ben du coup il le sent passer…
Un peu plus tard il est parti récupérer un truc chez un copain à lui, il m'a demandé si je voulais l'accompagner et j'ai dit non. Je me suis retrouvée toute seule, ça fait bizarre, mon cœur battait plus vite d'un seul coup. Finalement je suis un peu comme ma sœur, la solitude m'effraie. J'ai fumé des cigarettes une heure d'affilée à la fenêtre. Mais je ne regardais même pas ce qui se passait dans la rue, j'étais perdue dans mes rêves, pour changer… Je voyais Julie. C'est incroyable, quoique je fasse, elle arrive dans mon esprit. Toutes mes pensées mènent à elle. Je pense à mon bac, et donc à mes cours, donc au lycée, et donc à elle. C'est inévitable, tous les chemins de mon esprit convergent vers Julie. Alors j'ai craqué : je lui ai téléphoné, bien qu'elle me l'ait déconseillé à cause de son père.
C'est lui qui m'a répondu, il m'a passé sa fille sans difficulté. Il est toujours aussi peu aimable mais peu importe. Alors j'ai eu Julie, et c'est fou le bien que ça m'a fait. Tout a changé en une minute. Elle était très contente de m'entendre et c'était réciproque. Je ne pensais même plus à fumer, je ne pensais plus à rien d'ailleurs. J'étais allongée sur mon lit et j'en avais presque les larmes aux yeux. On a parlé, parlé… je ne pourrais pas dire combien de temps. Le temps était arrêté.
Hélas David est rentré. Et je ne sais pas ce qui m'a prise, mais je me suis sentie obligée d'abréger la conversation avec Julie. On s'est dit au revoir en moins d'une minute. C'est bizarre… pourquoi j'ai fait ça. Comme si je trompais David avec elle, comme si j'avais été prise la main dans le sac en train dans le trahir. Comme si les sentiments que j'éprouve pour Julie étaient flagrants alors qu'il est à des années-lumières de s'en douter. Je ne sais pas…

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