Quelquefois, mon
cur se met à battre plus vite qu'à
la normale, comme si j'avais peur de quelque chose.
Et dans ces moments-là je ressens une petite
chaleur dans le ventre ou dans la gorge, c'est
très désagréable. Ce n'est
pas vraiment de la peur, plutôt de l'inquiétude.
Inquiétude de l'avenir, de la vie et du
temps qui passe. Il n'y a que le passé
qui ne m'effraie pas puisqu'il est déjà
écrit et que plus personne ne le changera.
Alors pour calmer mon cur je me plonge un
peu dans mon passé, dans ces jolies choses
qui restent au fond de moi. Une bonne cure de
souvenirs, c'est mon aspirine. Mon père
me dit parfois qu'il faut aller de l'avant, que
tourner la tête derrière fait mal
à la nuque tandis que regarder devant soi
est plus naturel. Ben désolée Papa,
mais regarder derrière moi ne m'a jamais
fait mal à la nuque. De temps en temps
je lui raconte des histoires qu'on a vécues
ensemble et qu'il a complètement oubliées.
Il me regarde alors avec de grands yeux, comme
s'il avait devant lui un livre ouvert. Un livre
dans lequel seraient retracées dix-huit
années de vie que le temps n'aurait pas
effacées. Et je me plonge régulièrement
dans ce livre. Il n'y a presque aucun texte dedans,
rien que des images. Des images bleues et blanches
: un cargo qui accoste dans un port, une école
perdue dans la campagne rochelaise, une petite
fille qui se promène main dans la main
avec sa grand-mère sur une digue de l'île
de Ré. Et d'autres images grises et sombres,
moins gaies. Mais tout est bon dedans, il n'y
a rien à jeter.
Hier j'étais un peu dans cet état-là,
suite à une petite dispute avec David.
Ca marche moins bien qu'avant, lui et moi, depuis
quelques temps. Ca coule moins doucement. Je repense
à ma sur : quand elle n'était
pas encore trop malade elle avait plein de copains.
En fait, c'est parce qu'elle ne supportait absolument
pas la solitude. C'était maladif chez elle,
elle ne pouvait pas être seule. Quit à
prendre le premier type venu, persuadée
que ce coup-ci ce serait le bon. Et moi dans mon
coin, je me disais qu'elle ferait mieux de patienter,
d'attendre tranquillement que l'homme de sa vie
vienne. Je me disais ça
et si ça
se trouve j'ai fait pareil avec David. Quand je
suis arrivée à Paris en janvier,
je me sentais désespérément
seule. Dans la semaine ça allait, il y
avait mon cousin. Mais le week-end c'était
insupportable, à s'en tirer une balle dans
la tête. Et puis David est arrivé
et tout s'est arrangé.
Et je ne regrette rien. On a passé ensemble
des moments merveilleux, et il m'a fait découvrir
des tas de choses dans plein de domaines, au lit
entre autres. Mais je crois bien qu'il était
surtout là pour combler mon vide. Ce n'est
pas très gentil pour lui ce que je dis
là, mais je le pense. Je me trompe peut-être.
En tous cas hier, ça a chauffé un
petit peu. Comme je l'ai déjà raconté,
j'ai tendance à partir assez facilement
dans mes pensées. Dans ces moments-là
David me demande à quoi je pense, et moi
je réponds "rien". D'habitude
il n'insiste pas, mais hier il a voulu en savoir
un peu plus. Et ça m'a stressée,
je lui ai dit "mais lâche-moi je te
dis que je pense à rien ! !" J'ai
regretté aussitôt
Car il ne
m'a vraiment pas demandé ça méchamment.
Mais j'ai l'impression que me demander à
quoi je pense, c'est essayer de me voler ce que
je souhaite garder en moi. Il était d'autant
plus surpris par ma réaction que d'habitude
je suis toujours d'accord avec tout. C'est vrai,
je me rends compte que je suis très vivable
comme fille. Quand il me propose de sortir je
dis oui, aller au cinéma ? Oui. Manger
quelque part ? Oui. Aller chez un copain ? Oui,
je suis toujours partante. Alors quand je dis
non, ben du coup il le sent passer
Un peu plus tard il est parti récupérer
un truc chez un copain à lui, il m'a demandé
si je voulais l'accompagner et j'ai dit non. Je
me suis retrouvée toute seule, ça
fait bizarre, mon cur battait plus vite
d'un seul coup. Finalement je suis un peu comme
ma sur, la solitude m'effraie. J'ai fumé
des cigarettes une heure d'affilée à
la fenêtre. Mais je ne regardais même
pas ce qui se passait dans la rue, j'étais
perdue dans mes rêves, pour changer
Je voyais Julie. C'est incroyable, quoique je
fasse, elle arrive dans mon esprit. Toutes mes
pensées mènent à elle. Je
pense à mon bac, et donc à mes cours,
donc au lycée, et donc à elle. C'est
inévitable, tous les chemins de mon esprit
convergent vers Julie. Alors j'ai craqué
: je lui ai téléphoné, bien
qu'elle me l'ait déconseillé à
cause de son père.
C'est lui qui m'a répondu, il m'a passé
sa fille sans difficulté. Il est toujours
aussi peu aimable mais peu importe. Alors j'ai
eu Julie, et c'est fou le bien que ça m'a
fait. Tout a changé en une minute. Elle
était très contente de m'entendre
et c'était réciproque. Je ne pensais
même plus à fumer, je ne pensais
plus à rien d'ailleurs. J'étais
allongée sur mon lit et j'en avais presque
les larmes aux yeux. On a parlé, parlé
je ne pourrais pas dire combien de temps. Le temps
était arrêté.
Hélas David est rentré. Et je ne
sais pas ce qui m'a prise, mais je me suis sentie
obligée d'abréger la conversation
avec Julie. On s'est dit au revoir en moins d'une
minute. C'est bizarre
pourquoi j'ai fait
ça. Comme si je trompais David avec elle,
comme si j'avais été prise la main
dans le sac en train dans le trahir. Comme si
les sentiments que j'éprouve pour Julie
étaient flagrants alors qu'il est à
des années-lumières de s'en douter.
Je ne sais pas
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