Ce matin, j'ai
senti une pointe de nervosité me monter
à la tête et m'envahir peu à
peu jusqu'à m'étouffer, devant les
sujets de géographie du bac. Pour un peu,
j'aurais écrabouillé la plume de
mon stylo sur la table. Car parmi les trois sujets
au choix il y avait l'organisation du territoire
de l'Allemagne. Et ça je peux dire que
je le maîtrise sur le bout des doigts. Alors
où est le problème ? Le problème
c'est qu'il y a deux ou trois mois, lors d'un
devoir d'entraînement, j'avais eu exactement
le même parmi le choix. Et à ce moment-là
je m'étais dit : "Celui-ci il est
trop simple, il vaut mieux que je m'exerce sur
un sujet où je suis moins sûre de
moi" Si j'avais su
Alors bien sûr
je l'ai pris, le sujet, et je m'en suis plutôt
bien sortie. Mais si j'avais fait le bon choix
il y a trois mois, j'aurais pu être encore
plus efficace ce matin. Quelle misère
Dans ma nervosité j'ai pris une cigarette,
et je me suis rappelée que je n'étais
pas à mon bureau mais dans une salle de
classe, et que je n'avais pas le droit de fumer.
Alors j'ai soufflé un bon coup et j'ai
attaqué. De temps en temps je regardais
les autres autour de moi, ils avaient tous l'air
assez décontractés. Certains s'y
prennent bizarrement
A peine avais-je fini
de lire les sujets qu'ils étaient déjà
en train de gratter leurs feuilles comme des fous.
Ils se jettent dans la bataille sans faire de
plan, comme ça, direct
D'autres rédigent
entièrement leur texte au brouillon
puis le recopient en intégralité
sur leur copie ! J'avais envie de leur demander
l'intérêt d'une telle démarche.
Pour ma part, je passe la moitié du temps
à organiser mes idées et mes connaissances,
et l'autre moitié à rédiger.
Quand tout est bien clair dans ma tête,
rédiger devient un jeu d'enfant, comme
si le stylo écrivait tout seul sur le papier,
sans aucun effort.
Le plus dur dans cette épreuve d'histoire-géo,
c'est quand tu es au milieu, que tu viens de finir
la géographie et qu'il faut attaquer un
nouveau sujet avec l'histoire. C'est fou comme
à ce moment-là, l'envie de fumer
est irrésistible. Je crois qu'on a le droit
de sortir pour aller aux toilettes, mais je n'allais
quand même pas fumer une cigarette dans
les toilettes
Alors j'ai tout bien rangé
ce que j'avais fait, j'ai posé mon stylo,
et j'ai fait le vide dans ma tête pendant
deux ou trois minutes. Ne plus penser à
rien
oublier la géo
ne pas
penser à l'histoire qui attend
Et
après je m'y remets. Ce coup-ci je n'ai
pas fini vingt minutes avant la fin, j'ai même
dû hausser le rythme pour rédiger
la conclusion, et j'ai rendu ma copie dans les
dernières. En prenant bien soin de ne rien
oublier. Car j'ai entendu des histoires terribles
à ce propos. Des gens qui oublient de glisser
leur carte dans leur copie, par exemple. J'imagine
la sale tête qu'ils doivent faire quand
ils retrouvent la carte dans leur cartable, le
soir
Moi je suis assez distraite et étourdie,
mais l'avantage c'est que je le sais, que je le
suis, étourdie. Alors je fais doublement
attention à ces choses-là.
Pour l'instant le bac se déroule plutôt
bien. Mais c'est à partir de demain que
ça se corse, avec les maths le matin et
l'anglais l'après-midi. Aïe, là
ça fait mal ! Les deux matières
que je maîtrise le moins
Quel bonheur de se retrouver dehors après
quatre heures d'examen
On s'était
donné rendez-vous avec Noémie devant
le portail. Elle n'était pas là
quand je suis arrivée, alors j'ai voulu
m'allumer une cigarette. Mais je me suis dit "A
quoi bon ? Tu viens juste d'en fumer une !
_ Oui, mais avant, j'avais passé quatre
heures sans fumer (me suis-je répondu à
moi-même)
_ Et alors ? Quelle différence ?"
Et c'est ainsi que j'ai rangé ma clope
sans l'allumer, c'est bien la première
fois de ma vie que ça m'arrive. Peut-être
un début, qui sait
Noémie est arrivée, comme on n'avait
pas le courage de marcher on a pris un bus pour
aller au centre-ville, on s'est pris un petit
sandwich à la mie câline et on s'est
assises sur un banc pour manger, sur le port.
On a parlé un peu, du bac, tout ça
Et je lui ai dit un truc. Je savais que ça
l'étonnerait, mais j'en avais très
envie. Quelque chose que j'ai souvent répété
dans mon journal mais dont je ne parle jamais
en dehors. Je lui ai dit : "On vit quand
même dans une belle ville tu trouves pas
?" Elle était étonnée
de ma réflexion, comme prévu. Et
elle a fait "Mouais", pas trop convaincue
Je sais que ça peut paraître étrange
et que peu de Rochelais doivent se le dire, surtout
parmi les jeunes. Mais mince, tout de même
Il y a ce port, ces deux tours, les remparts,
des plages de sables ou de cailloux, des bateaux,
de vieux bâtiments à arcades, toute
une histoire derrière
lui ai-je dit,
à Noémie. Mais elle n'était
pas très convaincue. Mais mon but n'était
pas de la convaincre, de toutes façons.
Je ne suis pas une imbécile heureuse née
quelque part comme le chante Brassens. Je sais
qu'il y a des tas de belles villes, et je n'ai
qu'une envie, c'est de toutes les visiter. Je
me moque des pays autour, mais je voudrais visiter
toutes les villes de France. Les grandes comme
Lyon ou Marseille, mais aussi les tout petits
villages perdus dans la montagne. Et rencontrer
les gens, parler avec eux, partager leur quotidien
pour mieux les connaître. Tout ça,
j'aimerais le faire. Car j'aime mon pays, aussi.
Là je sens que c'est encore pire et qu'on
ne doit plus être nombreux dans ce cas,
surtout parmi les jeunes encore une fois. Je ne
suis pas patriote ni chauvine, et je ne brandirai
jamais le drapeau tricolore en chantant la Marseillaise,
mais quand même. Je me dis qu'on est soixante
millions à suivre les mêmes programmes
télé, à avoir le même
président, à s'occuper des mêmes
grèves et manifestations, et tout cela
ne me laisse pas indifférente. Si demain
une bombe tombe sur Londres, je m'en ficherai
complètement. Mais si elle tombe sur Nancy
(par exemple), ville où je ne suis jamais
allée, eh bien ça me fera très
mal, parce que là-bas ce sont mes voisins,
des gens qui ne me sont pas indifférents,
sans les connaître. Ca peut paraître
bizarre, mais ces choses-là ont leur importance
pour moi.
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