journal intime
85 _ Lundi 20 janvier 2003

Le trombinoscope

Aujourd'hui, pour la première fois depuis que j'écris ce journal sur le Net, j'ai suivi le conseil d'un lecteur, ou plutôt d'une lectrice. Un truc tout bête mais auquel je n'avais pas pensé. Je suis allée acheter une carte postale très originale de Paris (avec la Tour Eiffel dessus), et j'ai écrit à Noémie. On finirait par oublier, avec tous ces mails et tous ces téléphones portables, qu'il existe le papier, le stylo et le timbre… Car une jolie carte en carton coloré, avec un joli timbre et une écriture appliquée à l'encre bleue, ben ça, Internet ne pourra jamais nous le donner…
Je lui ai écrit comme ça : " Salut Noémie, Je suis à Paris, la ville est magnifique, moins que La Rochelle mais trrrrès magnifique quand même. J'espère que tu vas bien, bisous, Aglaia. " J'espère que ça lui fera plaisir… Et peut-être qu'elle me répondra, j'ai pris soin de noter ma nouvelle adresse en bas… Croisons les doigts.
J'arrive à suivre le rythme que je me suis imposée ici, à savoir cinq heures de travail personnel tous les matins, entrecoupées par-ci par-là de petites pauses cigarettes, car il faut quand même prendre le temps de vivre. Ici, soit il fait froid soit il pleut, parfois même les deux en même temps, mais je crois que c'est un peu partout pareil en France en ce moment. Mais j'aime bien quand il fait gris, quand il y a un petit vent sec, que l'air est humide voire orageux. C'est là que c'est le mieux, quand il y a de gros nuages noirs au-dessus de nos têtes, que le vent se soulève peu à peu, et qu'on entend tonner au loin. Tout prend alors une allure mystérieuse, angoissante un peu, mais une fausse angoisse, on sait très bien que le ciel ne nous tombera pas sous la tête. J'adore ces moments-là, tout comme j'adore ensuite le moment où je me retrouve chez moi, juste avant les premières averses. Et dehors il fait si sombre qu'on est obligé d'allumer la lumière, c'est beau.
J'ai vu David aujourd'hui. David, le gars qui était venu lors de cette jolie soirée, et qui était très en colère parce que la femme de sa vie, du moins celle qu'il prenait pour la femme de sa vie, lui avait dit " je ne t'aime pas de la même manière que toi tu m'aimes ", autrement dit t'es juste un bon copain. Mon cousin n'était pas encore rentré de la fac ou de je ne sais où, parce qu'il traîne aussi beaucoup lui aussi le soir avant de rentrer, et moi-même je venais juste d'arriver.
On a parlé tous les deux et j'ai adoré, en tous cas il était beaucoup plus calme que l'autre soir. La dernière fois il était entré comme un furieux dans l'appartement et avait déversé toute sa rage sur ses déboires amoureux. Cette fois-ci il était posé, attentionné, et semblait réfléchir avant de parler, apparemment il s'est fait une raison pour sa copine… D'ailleurs il n'a pas parlé d'elle une seule seconde, y compris avec mon cousin une fois que celui-ci fut rentré. Et pour ne pas remuer le couteau dans la plaie j'ai évité de lui demander des nouvelles…
Tout ça pour dire qu'il était bien plus calme que l'autre jour, presque timide même… Lui qui l'autre fois avait mimé un cunni-lingus à la cliente du restaurant chic en face de chez nous, ce n'était plus du tout le même gars que j'avais en face de moi. En tous cas il m'a bien fait rigoler, il a un humour décapant, mais c'est peut-être encore une fois dû à l'âge, j'ai peu l'habitude d'entendre des gens plus vieux que moi de quelques années. D'ailleurs mon cousin lui aussi me fait bien rire, de même que ma sœur dans le temps.
On a bu un café et il a posé sur la table un trombinoscope : il y avait là toutes les photos des étudiants de sa promotion, il venait justement l'amener à mon cousin. D'ailleurs je l'ai reconnu mon cousin, au milieu de tout ce beau monde. Enfin je dis " beau "… pas vraiment, les photos d'identité couleur photocopiées en noir et blanc, c'est assez moyen. Il y a des photos qui sont tellement noircies que certaines personnes deviennent africaines dessus, eh eh…
En tous cas j'ai eu droit à un petit discours sur chacune de ces personnes, et la plupart n'étaient pas très tendres. Par exemple David me disait, en me montrant du doigt l'une des photos : " Lui tu vois, on le voit pas bien sur la photo mais c'est un bâton de sucette avec un poulpe posé dessus " Ah ! Ah ! Ah ! Autrement dit une silhouette extrêmement fine avec des cheveux extrêmement longs. Un autre " Alors lui c'est Untel, il se branle complet parce qu'il a fait l'EITA, une école d'ingénieur. Mais n'empêche qu'il est avec nous cette année ". Tous ces commentaires étaient loin d'être gentils : " Elle c'est Olivia, elle se fait tringler tout l'été sur la plage ", etc… Vous remarquez que je suis vulgaire ce soir, mais je ne fais que répéter ses propos. D'ailleurs j'ai constaté qu'ici, à Paris, les gens étaient beaucoup plus grossiers qu'en Province, du moins qu'à La Rochelle. C'est incroyable le nombre de vulgarités et de gros mots qui peuvent sortir de leur bouche ! Ca n'arrête pas, et j'en apprends tous les jours… Si ça se trouve je vais peu à peu les imiter sans m'en rendre compte, et ma mère ne va plus me reconnaître quand je vais rentrer. Non quand même pas.
Il ne faut pas exagérer, David n'a pas dit du mal de toutes les personnes présentes sur la liste. Mais moi je préférais quand il disait du mal, c'était beaucoup plus marrant.
C'est ainsi que j'ai eu droit à une petite revue de tous les collègues de David et de mon cousin. D'ailleurs il est arrivé peu après, et David est resté pour manger, demain on ira chez lui le soir, alors je ne sais pas si je rentrerai assez tôt pour parler de tout ça, mais j'essaierai…

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