Je suis rentrée
tard hier soir, très tard. Mais Paris était
si beau et moi si bien que je n'arrivais pas à
me décider à rebrousser chemin.
Paris la nuit n'a rien à voir avec Paris
le jour, surtout le samedi je pense. J'ai vu des
quartiers bondés de monde et d'autres complètement
déserts. Et le passage des uns aux autres
se faisait parfois en l'espace de quelques minutes.
Personne dans une rue, vous allez jusqu'au bout
et vous vous retrouvez au milieu d'une foule.
La Bastille était en fête, sans doute
plusieurs milliers de jeunes et de moins jeunes
sur cette place et dans les rues alentour. Ca
parlait, ça riait, ça criait parfois,
en tous cas ils avaient tous l'air très
heureux, tant mieux. Mais je crois que la boisson
les aidait bien. Il doit couler un sacré
flot d'alcool en une soirée, là-bas
Les bars étaient remplis avec l'entrée
de la plupart d'entre eux un videur grand et fort.
Ne rentre pas qui veut ! Ca tombe bien, je ne
voulais pas. Et puis avec mon chien ça
aurait été dur.
Puis je me retrouvais plus loin sur des boulevards
complètement déserts, si ce n'est
une petite voiture de temps à autre. Ainsi
qu'un homme que j'ai croisé, et qui arrivait
vers moi sur le même trottoir, en marchant
vite mais de travers. Il était très
mal habillé, très sale et parlait
tout seul. Mais si fort qu'à cinquante
mètres de lui je l'entendais déjà.
J'avais le malheur de m'être allumée
une cigarette juste avant alors ça n'a
pas loupé : il m'en a demandé une.
Ah non, je veux bien donner, avec plaisir même,
mais il me faisait peur. C'est peut-être
idiot mais je n'étais pas rassurée
sur ce boulevard complètement désert.
Alors je lui ai fait un petit sourire et non de
la tête mais il a insisté, et il
a commencé à me suivre en me parlant
très fort. Je sentais mon chien tout nerveux
alors j'ai donné un petit coup sur la laisse,
Adonis s'est retourné violemment et lui
a aboyé dessus comme un fou, il a fallu
que je serre très fort la laisse pour pas
qu'il lui saute dessus. Il ne l'aurait certainement
pas mordu, mais je pense qu'il avait l'intention
de lui montrer qu'il ne fallait pas nous embêter.
Alors j'ai accéléré le pas,
mon chien s'est calmé et l'autre derrière
est resté sur place, il ne disait plus
rien. C'est très bien. J'avais le cur
qui battait fort, je ne fais vraiment pas une
grande courageuse, et un peu plus loin je me suis
arrêtée pour remercier mon chien.
Je suis bien contente de l'avoir avec moi, dans
ces moments-là. Qui sait combien de temps
m'aurait suivi cet homme sinon
En tous cas par la suite je me suis rabattue vers
les quartiers plus animés. Il commençait
à se faire un peu tard, et déjà
la boisson se faisait plus présente dans
les yeux et les paroles des gens. Je m'en suis
retournée vers la Bastille et les rues
qui y prennent racine, et près de là,
plus ou moins caché derrière une
grosse poubelle, j'ai vu un homme ivre mort uriner
contre un mur en rigolant. Et moi, obligée
d'enjamber le torrent de pisse qui coulait du
mur vers le caniveau. Plus loin deux jeunes gars
fumaient un pétard, ils m'ont même
proposé de " tirer dessus ".
J'ai dit non bien qu'ils aient l'air sympas, et
bien que la fumée qui s'en dégageait
avait une sacrée bonne odeur.
Je me suis trouvée un petit bar paumé,
parce qu'en général plus ils sont
paumés moins les gens ne se prennent au
sérieux, et j'ai pris un petit café.
J'en ai même pris un deuxième : ils
me l'ont offert ! J'étais contente et ils
ont eu raison : j'y retournerai. Je suis aussi
allée vers le canal Saint Martin, et de
là vers chez Julie. J'ai même sonné
chez elle, sans réponse.
Ce n'est pas la première fois que j'y vais.
Mais ça ne répond jamais, il n'y
a personne chez elle, à l'adresse à
laquelle je lui écrivais. Mes premières
journées ici, j'y allais deux ou trois
fois par jour. Et puis j'ai fini par renoncer.
Le téléphone ne répond pas
non plus. On en a beaucoup parlé au téléphone
avec ma mère, elle se fait du souci à
ce sujet. Nous ne comprenons pas ce qui se passe,
pourquoi Julie ou bien sa mère ne nous
ont pas jointes. A Paris ou ailleurs, je ne vois
pas ce qui les empêche de nous donner de
leurs nouvelles ! J'en suis très déçue.
Je suis venue à Paris avec, entre autres,
l'espoir d'y retrouver Julie. Ce n'était
pas ma motivation principale, mais c'en était
une. Je ne comprends pas
Il y a un mois je me serais beaucoup inquiétée
à son sujet. Mais en ce moment, ma nouvelle
vie accapare tout mon esprit et toutes mes pensées,
je n'arrive pas à m'occuper d'autre chose
que de moi. Peut-être que ce n'est pas plus
mal, après tout. Mais je sais bien que
ce ne sera pas éternel et qu'un jour ou
l'autre, les petites réalités de
la vie vont refaire surface, et ce jour-là
je penserai Julie. Elle ne me manque pas, mais
qu'il arrive un coup dur dans ma vie et je sais
que je regarderai autour de moi à qui le
raconter, et alors je penserai à elle.
Et je me ferai du souci. Tout cela je le sais,
mais je ne peux rien contre, c'est ainsi.
J'ai marché encore un peu. Je m'étais
promise de ne jamais rentrer après minuit,
mais minuit était passé depuis bien
longtemps
En plus j'ai fini par me perdre
Quand je me suis mise à me chanter des
chansons dans ma tête (ça m'arrive
souvent), je n'ai plus du tout fait attention
où j'étais. J'ai bien vu quelques
plans de quartier, mais il n'y avait pas le rond
" vous êtes ici ", c'est bête
Alors j'ai regardé le noms des rues autour
pour me retrouver sur le plan, mais comme j'étais
à un carrefour je n'arrivais pas à
savoir de quel côté du carrefour
j'étais. Et en croyant aller vers le Nord
je suis descendue vers le Sud. Et me revoilà
dans des quartiers complètement déserts,
pas un métro à l'horizon, pas un
autre plan, la zone
Enfin je réussis
à me repérer : catastrophe, je suis
au moins à une heure de marche de chez
moi ! Je m'en suis voulue de ne pas avoir fait
plus attention à mon itinéraire.
Le métro était fermé, en
plus avec mon chien je n'y ai pas droit. Alors
j'ai dû prendre un taxi, ça m'a coûté
six euros, bon, tant pis
Le froid s'est calmé, il faut dire qu'il
avait mis le paquet ces derniers temps. Il y a
eu plusieurs morts, des pauvres gars qui se couchent
le soir sur une bouche à air du métro,
parce que de l'air chaud en sort, mais qui ne
se réveillent pas. Mourir de froid, ça
doit être horriblement douloureux, même
dans le sommeil. Il doit falloir avoir vécu
un grand nombre de malheurs pour en arriver jusque
là
Me voilà ce soir, quand mon cousin est
rentré il a eu le plaisir de constater
que tout était prêt : cuisine, couverts,
tout, il m'a dit que je ferais une parfaite femme
au foyer, je ne sais pas trop comment je dois
le prendre
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