journal intime
83 _ Vendredi 17 janvier 2003

Le Père La Chaise

Me voilà seule pour deux jours. Mon cousin est rentré et moi je suis restée. Et je suis après me demander ce que je vais bien pouvoir foutre de ces deux journées. J'aime la solitude, souvent je la recherche, mais dans le fond elle me fait peur. Et c'est peut-être justement parce qu'elle me fait peur que je la recherche, j'ai peur donc je suis, c'est bien connu. Quand je sens cette petite boule chaude dans le ventre, ou pire dans la gorge, je me sens angoissée mais je me sens bien, ça me donne envie de chialer un bon coup pour tout faire sortir. Mais je pleure rarement en fait, je tue le temps avec d'autres occupations, comme balader mon chien et moi-même dans les rues, et Dieu sait s'il y a des balades à faire dans cette ville. Mais ça craint, quand même.
Je ne pense plus à ma sœur, c'est incroyable comme je l'ai sortie de mes pensées, un peu comme si elle n'avait jamais existé. Si ça se trouve, c'est parce que j'en ai parlé longuement sur ce journal, mais c'est peut-être aussi une coïncidence. Peu importe la cause, le fait est là. Mais ce n'est pas pour ça que c'est la fête, elle n'est plus là à hanter mon esprit mais mon esprit s'est rabattu sur autre chose, sans que je sache trop quoi. Un peu comme le dit Mano Solo, j'ai noyé le poisson mais son odeur dégueulasse ne m'a pas quittée. Avec le temps, j'espère.
Alors je suis là dans l'appartement, on entendrait une mouche volée, juste le ronron de l'ordinateur et des touches sur le clavier, putain c'est bon, j'adore ça quand j'écris. Et puis il y a mon chien qui dort, et sur le bureau il y a cet article paru aujourd'hui dans The Hackademy Journal. C'est un lecteur qui me l'a scanné, ils causent de moi dedans (voir l'article ici). J'aime mieux vous dire qu'en le recevant j'étais contente ! Aglaia dans un journal distribué dans la France entière ! La gloire ! Tellement contente que je l'ai balancé sur un forum auquel je participe. Et après je suis allée acheter le journal en question chez le marchand. J'arrive chez moi, je l'ouvre, je lis une fois en pensant " c'est chouette, c'est chouette… ", puis je relis une fois, deux fois, trois… A la fin je le connaissais pas cœur mais je ne me disais plus du tout " c'est chouette c'est chouette ". Mais plutôt " ben merde, ben merde… ". C'est cette phrase qui me travaillait : " le 18 décembre dernier, elle décrivait la dépression nerveuse de sa mère et le s'enfoutisme de son père " J'ai décrit ça moi ? Oui je l'ai fait, mais pas de cette manière. Ma sœur a été gravement malade, elle est en est morte, mon père a tout fait pour l'aider mais au bout d'un moment il a baissé les bras, quand il s'est rendu compte que c'était perdu, qu'il était totalement démuni. Et dans mon journal, j'aurais donné l'impression que mon père s'en foutait ? Non, je ne pense pas, la fille avait son article à faire, il lui fallait une phrase concise, et si ça se trouve elle n'a pas lu ce qu'il y avait avant. Mais moi maintenant j'ai honte de moi. Honte vis à vis de mon père, parce qu'il n'y a pas plus adorable que lui, et que cette phrase est comme une insulte. Evidemment, personne ne sait qui est mon père, de même que personne ne sait qui est Aglaia comme le dit cet article (" derrière ce pseudo se cache une ado de 17 ans "). Mais moi je le sais, je sais que le mec qui est accusé de s'enfoutisme dans cet article c'est mon père, c'est bien lui, celui dont j'ai parlé des dizaines de fois et que j'aime vraiment de tout mon cœur.
En ce moment il est sur l'océan, je ne sais trop où. Mais je l'imagine, je le vois d'ici, c'est fou… J'ai ses yeux en face de moi, son sourire, sa mine toute sévère quand il est en colère, et sa mine toute gentille quand il est amusé. Parce que mon père c'est ça : il est droit et rigide, militaire, et parfois très sévère. Mais bien souvent il me fait mourir de rire, je sais qu'il nous aime, et il est adorable. Il a un sourire d'enfant quand il veut. La maladie de ma sœur l'a détruit et il lui faudra des années encore avant de vraiment guérir. Et cet homme-là vient de se faire traiter de " s'enfoutisme ", et c'est un peu ma faute… alors j'ai honte. Je n'en veux à personne, ni au journal ni à la journaliste, je ne m'en veux qu'à moi. Mais bon, je m'en remettrai, on va dire que ce n'est qu'une embûche de parcours, un peu comme les vilains mails que j'ai reçus et qui m'avaient blessée, et qui désormais s'en vont directement à la corbeille quand je les reçois, qui ne m'atteignent plus le moins du monde. J'écris pour être lue, je ne vais pas me plaindre, et plus il y aura de monde sur ce site plus je serai contente. Mais quand même, ce genre de choses me fait redescendre sur terre, et je me dis que raconter sa vie sur le Net, comme nous sommes des centaines à le faire, ce n'est pas QUE un jeu. M'en fous je continue, un jour je passerai outre tous ces coups durs et mon journal intime sera un journal digne de ce nom.
Ca ne me dit toujours pas ce que je vais faire dans les deux jours qui viennent. Peu importe, je n'écris pas ce journal pour raconter ce que je vais faire, mais pour raconter ce que j'ai fait. Ainsi hier je suis allée au cimetière du Père La Chaise avec Marine. Encore une fois je me suis rendue chez elle à travers ces rues et ces maisons que je commence à bien connaître, j'ai retrouvé en bas de chez elle ces portugais qui travaillent dans le local, dont l'abruti qui s'était permis de juger ma vie et mes actes la veille.
Mais Marine est quelqu'un de très accueillante. J'adore les gens qui vous reçoivent les bras ouverts, qui vous demandent si vous voulez un café ou une cigarette, qui vous conseillent de ne pas faire attention au bazar, moi ça me rassure et je me sens à l'aise. Et c'est comme ça que je fais quand quelqu'un vient chez moi. Puis on a pris le métro. Hélas dans le métro les animaux sont interdits, j'ai dû laisser mon brave Adonis en compagnie du petit chiot de Marine. Le petit chiot n'arrête pas de lui courir entre les pattes et ça l'énerve, alors parfois il le repousse d'un coup de museau. Mais l'autre croit que c'est pour s'amuser et revient à la charge. Alors Adonis se couche et attend, énervé, que le petit se calme.
Le cimetière est magnifique. Immense, calme et silencieux. On a vu les tombes de Chopin, Piaf, Eluard, et surtout de Jim. Une tombe toute simple et pleine de graffitis, tant mieux, ça aurait sonné faux une tombe grandiose et trop bien entretenue.
J'ai aperçu Marc Lavoine à la télé, il faut vraiment qu'il arrête de se masturber ce mec.

Marinetexte précédent texte suivant Promenade la nuit