journal intime
73 _ Dimanche 5 janvier 2003

Noémie ne veut plus me voir

Après cette soirée pitoyable où Mathieu et moi nous étions embrassés, j'ai attrapé une jolie grippe, une vraie de vraie : je ne suis pas allée au lycée de la semaine. J'étais en état d'y retourner le vendredi mais je ne l'ai pas fait pour trois raisons : j'avais manqué tous les jours précédents, c'était le jour des vacances, et surtout, la veille au soir Noémie m'avait dit qu'elle ne voulait plus me voir.
Les deux premières journées de grippe étaient difficiles, j'avais de la fièvre, et puis surtout je n'arrêtais pas de penser à ce qu'on avait fait, Mathieu et moi, et de toutes les conséquences que ça pourrait avoir. J'ai attendu de me porter un peu mieux et je lui ai téléphoné, le mardi soir, pour savoir ce qu'il pensait de tout ça.
Quand il a décroché il m'a dit " Ah ! Je suis content de t'entendre ! " Il avait l'air tout heureux, effectivement, moi qui étais si inquiète… Apparemment tout allait bien pour lui. Je lui ai reparlé de la soirée et lui ai demandé ce qu'il en pensait, si selon lui il fallait tout raconter à Noémie, ou bien le garder pour nous. Il a eu l'air étonné que je lui parle de cela, comme si pour lui ça n'avait aucune importance. Il en rigolait presque, d'ailleurs, et moi ça me blessait de l'imaginer sourire pour quelque chose qui me tracassait tant. Il a dû le sentir car son ton a changé, il est devenu plus sérieux. On s'est expliqué, après ça il n'y avait plus que lui qui parlait, selon lui il ne fallait rien raconter à Noémie, que ça lui ferait de la peine pour rien, que c'était inutile, etc… Je ne comprenais pas, j'avais l'impression qu'il détournait le problème, il ne parlait que de Noémie, pas de lui, je n'arrivais pas à savoir ce qu'il pensait, s'il regrettait ou s'il était content. Ca me laissait perplexe, et tout ce que j'avais prévu de lui dire tombait à l'eau. Alors j'écoutais, un peu déçue. Il y a des gens qui ont tellement d'assurance qu'ils peuvent vous convaincre des choses les plus absurdes, et peu à peu j'ai fini par me ranger à son avis, celui de ne rien dire, et de faire comme si rien ne s'était passé entre nous. Et finalement, peut-être que les choses en seraient restées là s'il n'avait pas poussé le bouchon un peu plus loin encore. Car le plus grave était à venir. Je n'en reviens toujours pas, de ce qu'il m'a dit après.
L'affaire étant classée, on a causé d'autre chose, du froid qu'il faisait, et puis de ma grippe qui me laissait cloîtrée chez moi. C'était agréable, j'écoutais sa voix et je me sentais bien, exactement comme le soir où on s'était embrassé, on aurait dit que tout était écrit à l'avance comme dans un scénario, chaque question attendait une réponse bien tournée et prévue d'avance. On a parlé comme ça pendant un quart d'heure et si ça se trouve, s'il avait été en face de moi à ce moment-là, j'aurais de nouveau craqué. Non quand même pas, je fais plein de bêtises, mais rarement deux fois les mêmes, heureusement.
Mais voilà, il a poussé le bouchon et m'a dit " Si je quittais Noémie tu, sortirais avec moi ? " Je n'en revenais pas… Comment pouvait-il me demander ça ? Chaque mot de cette phrase est une insanité. " Si je quittais Noémie "… c'est tout ce qu'il avait à dire ? Je pensais qu'il était amoureux, moi. Noémie l'aimait énormément, c'est la première fois qu'elle faisait l'amour, depuis qu'elle sortait avec lui elle avait toujours un petit sourire, elle était toute joyeuse pour trois fois rien, sur son petit nuage. Et moi, bêtement, je pensais que c'était réciproque. Bien sûr, quand il m'avait dit que Noémie l'intéressait, c'était sur un ton détaché. Mais il dit tout sur ton détaché, on ne peut donc jamais savoir quand il est sérieux et quand il ne l'est pas. Apparemment il ne l'était pas, c'est bête.
Et le pire : sortir avec moi. Pourquoi a-t-il fait ça ? Pourquoi sortir avec Noémie si c'est pour me demander ensuite ? Pour se rapprocher de moi ? C'est stupide, on se connaît déjà très bien ainsi, il n'avait besoin de personne pour nous rapprocher. Je ne comprends vraiment pas. Ou peut-être tout simplement que c'est un salaud, voilà, un gars qui collectionne les filles. J'ai dû l'idéaliser. Je me disais qu'une personne avec qui j'avais des milliers de souvenirs ne pouvait être que quelqu'un de bien, mais finalement il est comme tout le monde, c'est tout. Je me rappelle des abeilles qu'on attrapait dans la cour de l'école avec des bocaux de verre, le vieux pouf dans sa chambre, tout ça c'est tellement beau que je ne peux pas croire que j'ai vécu cela avec un être sans scrupules, et malhonnête. Si ça se trouve, si j'avais accepté de sortir avec lui il m'aurait laissée tomber deux semaines après, comme Noémie. Moi je suis trop attachée aux gens pour faire des choses pareilles, mais tout le monde n'est pas comme moi, et je ne sais pas qui a raison et qui a tort. Mais lui, il a l'air aussi peu préoccupé du passé que je le suis de l'avenir. Tous ces beaux souvenirs ensemble, il a jeté tout par terre en quelques secondes…
J'ai répondu " je sais pas ", même si en fait je savais très bien. D'ailleurs je ne l'écoutais plus, sa voix d'un seul coup ne m'était plus du tout agréable, je n'avais plus qu'une envie c'était de raccrocher. Et c'est ce que j'ai fait après lui avoir gentiment dit au revoir.
Déjà que j'étais perturbée avant ce coup de fil, je vous dis pas après… Encore pire. Parce que désormais j'étais toute seule. Mais j'ai pris ma décision : tout raconter à Noémie. Enfin pas le coup de téléphone, juste la soirée, comme quoi Mathieu et moi on s'était embrassés et caressés pendant une demi-heure.
J'ai attendu d'être capable de sortir dehors sans rechuter dans ma fièvre : le jeudi soir j'ai quitté la maison pour aller tout droit chez elle. Sur le chemin j'avais une boule dans la gorge, une petite chaleur très désagréable, angoissante. Noémie est très impulsive, je savais qu'elle allait partir en tempête avec la nouvelle que je lui apportais. En sonnant à sa porte j'avais les jambes qui tremblaient, je n'en revenais pas, dans mon imagination je n'avais pas prévu ça ! J'avais prévu tout le reste : comment j'allais lui annoncer, sur quel ton, mais en sonnant à sa porte je me suis rendue compte que rien n'allait se passer comme prévu, comme d'habitude. Elle a ouvert la porte, étonnée de me voir mais contente, comme toujours, on est rentrées à l'intérieur et elle a préparé un café. Elle s'étonnait que je ne parle pas, mais après elle se rectifiait elle-même : " ça doit être à cause de ta grippe, t'as pas la forme… " En gros elle faisait les questions et les réponses. Dans ma tête ça trottait à cent à l'heure. Et puis là je me suis dit " t'embête pas, ne lui dis rien ". Et je n'ai rien dit. Ouf ! C'est fou comme ça m'a fait du bien, d'un seul coup… Elle m'a donné tous les cours que j'avais loupés, au cas où ça m'intéresserait, puis je suis rentrée.
En arrivant chez moi c'était encore pire qu'avant, je me disais que j'étais très lâche et bien peu honnête. Je n'en pouvais plus : je suis retournée chez elle. Et cette fois-ci sans peur et sans angoisse. Tout est là : quand la décision est prise on n'a pas peur. La première fois je n'étais pas sûre de moi, la seconde j'étais fermement décidée. Et ça change tout.
Elle a ouvert la porte, encore plus étonnée que la première fois, et cette fois-ci je n'ai pas perdu mon temps : je lui ai directement tout raconté, pourquoi je revenais une deuxième fois, où j'étais samedi soir, avec qui, et ce qu'on avait fait. Au fur et à mesure son visage se décomposait, elle ouvrait de grands yeux, mais moi je restais ferme, j'ai tout dit d'une traite. Elle n'a pas répondu, elle s'est juste laissée tomber assise sur les marches de l'escalier. Elle avait l'air de réfléchir, la main dans les cheveux, comme pour rassembler ses idées. Puis elle s'est mise la main devant les yeux alors je lui ai dit " je suis désolée ", je sais c'est stupide, mais je n'ai rien trouvé d'autre. Elle ne m'a même pas regardée, elle a juste dit " casse-toi, je veux plus te voir ". Alors j'ai refermé la porte et je suis rentrée chez moi.
Le lendemain soir c'était les vacances. Alors depuis ce jour-là je ne l'ai pas revue, pas de nouvelles, rien, de même que Mathieu. J'ai fait une croix sur mes deux meilleurs amis.

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