Après cette
soirée pitoyable où Mathieu et moi
nous étions embrassés, j'ai attrapé
une jolie grippe, une vraie de vraie : je ne suis
pas allée au lycée de la semaine.
J'étais en état d'y retourner le
vendredi mais je ne l'ai pas fait pour trois raisons
: j'avais manqué tous les jours précédents,
c'était le jour des vacances, et surtout,
la veille au soir Noémie m'avait dit qu'elle
ne voulait plus me voir.
Les deux premières journées de grippe
étaient difficiles, j'avais de la fièvre,
et puis surtout je n'arrêtais pas de penser
à ce qu'on avait fait, Mathieu et moi,
et de toutes les conséquences que ça
pourrait avoir. J'ai attendu de me porter un peu
mieux et je lui ai téléphoné,
le mardi soir, pour savoir ce qu'il pensait de
tout ça.
Quand il a décroché il m'a dit "
Ah ! Je suis content de t'entendre ! " Il
avait l'air tout heureux, effectivement, moi qui
étais si inquiète
Apparemment
tout allait bien pour lui. Je lui ai reparlé
de la soirée et lui ai demandé ce
qu'il en pensait, si selon lui il fallait tout
raconter à Noémie, ou bien le garder
pour nous. Il a eu l'air étonné
que je lui parle de cela, comme si pour lui ça
n'avait aucune importance. Il en rigolait presque,
d'ailleurs, et moi ça me blessait de l'imaginer
sourire pour quelque chose qui me tracassait tant.
Il a dû le sentir car son ton a changé,
il est devenu plus sérieux. On s'est expliqué,
après ça il n'y avait plus que lui
qui parlait, selon lui il ne fallait rien raconter
à Noémie, que ça lui ferait
de la peine pour rien, que c'était inutile,
etc
Je ne comprenais pas, j'avais l'impression
qu'il détournait le problème, il
ne parlait que de Noémie, pas de lui, je
n'arrivais pas à savoir ce qu'il pensait,
s'il regrettait ou s'il était content.
Ca me laissait perplexe, et tout ce que j'avais
prévu de lui dire tombait à l'eau.
Alors j'écoutais, un peu déçue.
Il y a des gens qui ont tellement d'assurance
qu'ils peuvent vous convaincre des choses les
plus absurdes, et peu à peu j'ai fini par
me ranger à son avis, celui de ne rien
dire, et de faire comme si rien ne s'était
passé entre nous. Et finalement, peut-être
que les choses en seraient restées là
s'il n'avait pas poussé le bouchon un peu
plus loin encore. Car le plus grave était
à venir. Je n'en reviens toujours pas,
de ce qu'il m'a dit après.
L'affaire étant classée, on a causé
d'autre chose, du froid qu'il faisait, et puis
de ma grippe qui me laissait cloîtrée
chez moi. C'était agréable, j'écoutais
sa voix et je me sentais bien, exactement comme
le soir où on s'était embrassé,
on aurait dit que tout était écrit
à l'avance comme dans un scénario,
chaque question attendait une réponse bien
tournée et prévue d'avance. On a
parlé comme ça pendant un quart
d'heure et si ça se trouve, s'il avait
été en face de moi à ce moment-là,
j'aurais de nouveau craqué. Non quand même
pas, je fais plein de bêtises, mais rarement
deux fois les mêmes, heureusement.
Mais voilà, il a poussé le bouchon
et m'a dit " Si je quittais Noémie
tu, sortirais avec moi ? " Je n'en revenais
pas
Comment pouvait-il me demander ça
? Chaque mot de cette phrase est une insanité.
" Si je quittais Noémie "
c'est tout ce qu'il avait à dire ? Je pensais
qu'il était amoureux, moi. Noémie
l'aimait énormément, c'est la première
fois qu'elle faisait l'amour, depuis qu'elle sortait
avec lui elle avait toujours un petit sourire,
elle était toute joyeuse pour trois fois
rien, sur son petit nuage. Et moi, bêtement,
je pensais que c'était réciproque.
Bien sûr, quand il m'avait dit que Noémie
l'intéressait, c'était sur un ton
détaché. Mais il dit tout sur ton
détaché, on ne peut donc jamais
savoir quand il est sérieux et quand il
ne l'est pas. Apparemment il ne l'était
pas, c'est bête.
Et le pire : sortir avec moi. Pourquoi a-t-il
fait ça ? Pourquoi sortir avec Noémie
si c'est pour me demander ensuite ? Pour se rapprocher
de moi ? C'est stupide, on se connaît déjà
très bien ainsi, il n'avait besoin de personne
pour nous rapprocher. Je ne comprends vraiment
pas. Ou peut-être tout simplement que c'est
un salaud, voilà, un gars qui collectionne
les filles. J'ai dû l'idéaliser.
Je me disais qu'une personne avec qui j'avais
des milliers de souvenirs ne pouvait être
que quelqu'un de bien, mais finalement il est
comme tout le monde, c'est tout. Je me rappelle
des abeilles qu'on attrapait dans la cour de l'école
avec des bocaux de verre, le vieux pouf dans sa
chambre, tout ça c'est tellement beau que
je ne peux pas croire que j'ai vécu cela
avec un être sans scrupules, et malhonnête.
Si ça se trouve, si j'avais accepté
de sortir avec lui il m'aurait laissée
tomber deux semaines après, comme Noémie.
Moi je suis trop attachée aux gens pour
faire des choses pareilles, mais tout le monde
n'est pas comme moi, et je ne sais pas qui a raison
et qui a tort. Mais lui, il a l'air aussi peu
préoccupé du passé que je
le suis de l'avenir. Tous ces beaux souvenirs
ensemble, il a jeté tout par terre en quelques
secondes
J'ai répondu " je sais pas ",
même si en fait je savais très bien.
D'ailleurs je ne l'écoutais plus, sa voix
d'un seul coup ne m'était plus du tout
agréable, je n'avais plus qu'une envie
c'était de raccrocher. Et c'est ce que
j'ai fait après lui avoir gentiment dit
au revoir.
Déjà que j'étais perturbée
avant ce coup de fil, je vous dis pas après
Encore pire. Parce que désormais j'étais
toute seule. Mais j'ai pris ma décision
: tout raconter à Noémie. Enfin
pas le coup de téléphone, juste
la soirée, comme quoi Mathieu et moi on
s'était embrassés et caressés
pendant une demi-heure.
J'ai attendu d'être capable de sortir dehors
sans rechuter dans ma fièvre : le jeudi
soir j'ai quitté la maison pour aller tout
droit chez elle. Sur le chemin j'avais une boule
dans la gorge, une petite chaleur très
désagréable, angoissante. Noémie
est très impulsive, je savais qu'elle allait
partir en tempête avec la nouvelle que je
lui apportais. En sonnant à sa porte j'avais
les jambes qui tremblaient, je n'en revenais pas,
dans mon imagination je n'avais pas prévu
ça ! J'avais prévu tout le reste
: comment j'allais lui annoncer, sur quel ton,
mais en sonnant à sa porte je me suis rendue
compte que rien n'allait se passer comme prévu,
comme d'habitude. Elle a ouvert la porte, étonnée
de me voir mais contente, comme toujours, on est
rentrées à l'intérieur et
elle a préparé un café. Elle
s'étonnait que je ne parle pas, mais après
elle se rectifiait elle-même : " ça
doit être à cause de ta grippe, t'as
pas la forme
" En gros elle faisait
les questions et les réponses. Dans ma
tête ça trottait à cent à
l'heure. Et puis là je me suis dit "
t'embête pas, ne lui dis rien ". Et
je n'ai rien dit. Ouf ! C'est fou comme ça
m'a fait du bien, d'un seul coup
Elle m'a
donné tous les cours que j'avais loupés,
au cas où ça m'intéresserait,
puis je suis rentrée.
En arrivant chez moi c'était encore pire
qu'avant, je me disais que j'étais très
lâche et bien peu honnête. Je n'en
pouvais plus : je suis retournée chez elle.
Et cette fois-ci sans peur et sans angoisse. Tout
est là : quand la décision est prise
on n'a pas peur. La première fois je n'étais
pas sûre de moi, la seconde j'étais
fermement décidée. Et ça
change tout.
Elle a ouvert la porte, encore plus étonnée
que la première fois, et cette fois-ci
je n'ai pas perdu mon temps : je lui ai directement
tout raconté, pourquoi je revenais une
deuxième fois, où j'étais
samedi soir, avec qui, et ce qu'on avait fait.
Au fur et à mesure son visage se décomposait,
elle ouvrait de grands yeux, mais moi je restais
ferme, j'ai tout dit d'une traite. Elle n'a pas
répondu, elle s'est juste laissée
tomber assise sur les marches de l'escalier. Elle
avait l'air de réfléchir, la main
dans les cheveux, comme pour rassembler ses idées.
Puis elle s'est mise la main devant les yeux alors
je lui ai dit " je suis désolée
", je sais c'est stupide, mais je n'ai rien
trouvé d'autre. Elle ne m'a même
pas regardée, elle a juste dit " casse-toi,
je veux plus te voir ". Alors j'ai refermé
la porte et je suis rentrée chez moi.
Le lendemain soir c'était les vacances.
Alors depuis ce jour-là je ne l'ai pas
revue, pas de nouvelles, rien, de même que
Mathieu. J'ai fait une croix sur mes deux meilleurs
amis.
|