Ensuite sont venus
le 24 décembre et la soirée de Noël.
Etant petite c'était le couronnement de
l'année, la fête des fêtes,
celle qui à elle seule justifiait les 358
jours précédents. On la sentait
venir petit à petit. Tout d'abord les guirlandes
lumineuses dans la ville. Ah non, bien avant ça
il y a les magasins qui s'y mettaient avec leurs
jolies vitrines pour aguicher les clients, et
encore avant il y avait les pubs à la télévision
qui nous faisaient rêver, nous autres qui
croyions au Père Noël. Et c'est seulement
ensuite que venaient les guirlandes lumineuses
accrochées dans les rues. Associées
au froid et la nuit qui tombait bien vite, tout
avait une allure de fête. A la maison on
montait le sapin de Noël, et bien plus encore
: on plaquait des pochoirs de lutins sur les vitres
et on accrochait des guirlandes dans toutes les
pièces, surtout la mienne. Et à
l'école on ne parlait plus que de ça,
de ce qu'on avait commandé comme cadeaux,
on faisait tout plein de dessins et de gadgets,
tout se transformait. L'année se terminait
en beauté, on était heureux et on
le savourait d'autant plus qu'après ça,
on savait très bien qu'il faudrait redémarrer
la vie dans une ambiance redevenue morne et silencieuse.
Comme tous les enfants, je croyais au Père
Noël. J'avais même vu sa maison ! Oui,
un jour un nuage est passé au-dessus de
moi et moi j'étais persuadée que
c'était la maison du Père Noël,
puisqu'on m'avait dit qu'il vivait sur un nuage.
J'ai raconté ça à ma grand-mère
qui m'avait répondu : " Ah oui ? Elle
devait être belle ! " Alors je lui
ai rajouté que j'avais aussi vu son jardin.
" Ah oui ? qu'elle me fait, il devait y avoir
de belles fleurs multicolores ! " Tiens ?
Non, je n'avais pas vu de fleurs multicolores.
J'avais simplement vu un nuage tout blanc comme
les autres, qui ressemblait juste à une
maison
me serais-je trompée ? Mais
non, à bien y réfléchir,
je commençais à me rappeler que
le nuage n'était pas si blanc que ça,
qu'il y avait effectivement de belles fleurs multicolores,
un jardin vert et un toit rouge. C'était
certain : j'avais bien vu la maison du Père
Noël. Aujourd'hui, le souvenir de ce nuage
multicolore, né dans mon imagination, est
plus réel que beaucoup de choses que j'ai
vues et qui existent vraiment. C'est étrange.
Freud serait là, il m'expliquerait (blague).
Maintenant c'est différent. Déjà
on déballe les cadeaux le 24 au soir et
non le 25 au matin. Et c'est tant mieux, je me
vois mal me lever à 8H00 du matin un jour
férié, ou alors il faudrait vraiment
que ce soient de beaux cadeaux. Ce n'est plus
tellement une fête, tous ces cadeaux je
m'en passerais très bien. A la limite j'aimerais
même ne rien avoir, je ne sais jamais quoi
demander à mes parents. Sans doute parce
que je ne suis pas dans le besoin, et donc pas
à plaindre. Je sais très bien que
des millions d'autres aimeraient avoir tout ce
que je possède, à commencer par
une famille. Moi, non, je ne veux rien. Ah si,
à la limite, j'aurais bien aimé
lui commander quelques cartouches de cigarettes
au Père Noël, une provision de tabac
pour les deux mois à venir. Mais il n'est
pas dans ce trip-là, le Père Noël,
et je vois mal mes parents m'offrir à ça.
Alors j'ai eu droit à du superflu, des
vêtements, tout ça
J'aime bien
les vêtements, je suis toujours très
contente d'en avoir des nouveaux, même si
bien souvent je ne les porte qu'une seule fois,
avant de me rabattre sur mes vieux jeans. C'est
plus commode que les robes, les jeans. Ca s'use
moins vite, et d'ailleurs c'est quand ils commencent
à s'user qu'ils deviennent jolis, quand
il commence à y avoir des petites brindilles
en bas des jambes, et des petits trous par-ci
par-là. Enfin c'est mon opinion, et je
la partage (blague).
D'ailleurs c'est un jean que j'ai eu, ça
tombe bien. Il m'allait à merveille ! Bon,
c'est vrai que je l'avais essayé l'avant-veille,
mais ça fait quand même plaisir.
Et puis j'ai eu plein d'autres babioles, mon petit
frère aussi a été très
gâté. Il m'avait demandé un
bouquin sur le foot, je lui ai donc offert ça,
à ma mère du parfum et à
mon père des clés à pipe.
Je sais c'est nul, mais c'est ce qu'il m'avait
demandé. Maintenant il a quatre clés
à pipe dans son garage, il n'est pourtant
pas plus bricoleur que moi, mais il est content.
Et l'an prochain je lui offrirai les quatre tailles
de clé suivantes, ou peut-être seulement
trois parce que plus elles sont grosses plus elles
sont chères, et je ne suis pas Crésus.
Au fait tout ça c'était chez mes
grands-parents, sur l'île de Ré.
Et de toute l'assemblée c'était
bien ma grand-mère la plus heureuse. Vous
pensez ! Ces enfants et ces petits-enfants chez
elle, c'est magnifique ! Noël est encore
mille fois plus beau pour elle aujourd'hui, qu'il
ne l'était pour moi étant petite.
Et pourtant comme je l'ai dit, ce n'était
pas rien, pour moi.
Mon grand-père, c'est lui qui m'a appris
un jour que le Père Noël n'existait.
J'avais sept ans et demi, je commençais
à m'en douter un petit peu
ce ne
fut donc pas une grande déception. Mais
après ça je suis allée retrouver
ma grand-mère et je lui ai dit " je
vais te dire un truc, mais tu me promets de pas
disputer Papi ? " Inquiète, elle m'a
écoutée. Et quand elle a su de quoi
il s'agissait elle a souri, et aujourd'hui encore
elle me reparle de ce moment-là, et de
l'inquiétude que j'avais qu'elle disputât
(putain joli le subjonctif imparfait ) Papi.
Ainsi le 24 au soir, on a commencé par
prendre l'apéro dans le salon de mes grands-parents.
Je ne tiens décidément pas l'alcool
: un verre de champagne et la tête me tournait
! Heureusement que Mathieu n'était pas
là, cette fois-ci. Même mon petit
frère tient mieux la boisson que moi, il
va falloir que je m'entraîne. En tous cas
j'explose tout le monde pour ce qui est de tenir
la cigarette, mais je ne m'en vante pas. C'est
pendant l'apéro qu'on a remis les cadeaux,
chaque pile sous une chaussure, dans les règles
de l'art. Et puis ce fut le repas, préparé
par ma grand-mère, et ma mère qui
bien sûr n'avait pas pu s'empêcher
de lui donner un coup de main dans l'après-midi.
Mon petit frère nous a raconté plein
de blagues, il faut dire qu'il s'y entend pour
ça, je pense même qu'il a un don
: il raconte les blagues sans temps mort, avec
un peu d'improvisation, en allant droit au but,
il sait s'arrêter quand ce n'est plus le
moment, et repartir quand ça l'est à
nouveau. Enfin voilà, après ça
je suis allée promener mon chien dans le
petit port du village. Je pensais à Julie,
j'espérais que son Noël avait été
joyeux à elle aussi. Tout est possible
avec son père : le meilleur comme le pire.
Il est imprévisible, il peut être
très gentil comme il peut être très
méchant. J'espérais juste qu'il
aurait fait un effort pour Noël. Le lendemain
j'ai su qu'oui, tant mieux, tout le monde est
content ainsi.
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