journal intime
74 _ Lundi 6 janvier 2003

Noël

Ensuite sont venus le 24 décembre et la soirée de Noël. Etant petite c'était le couronnement de l'année, la fête des fêtes, celle qui à elle seule justifiait les 358 jours précédents. On la sentait venir petit à petit. Tout d'abord les guirlandes lumineuses dans la ville. Ah non, bien avant ça il y a les magasins qui s'y mettaient avec leurs jolies vitrines pour aguicher les clients, et encore avant il y avait les pubs à la télévision qui nous faisaient rêver, nous autres qui croyions au Père Noël. Et c'est seulement ensuite que venaient les guirlandes lumineuses accrochées dans les rues. Associées au froid et la nuit qui tombait bien vite, tout avait une allure de fête. A la maison on montait le sapin de Noël, et bien plus encore : on plaquait des pochoirs de lutins sur les vitres et on accrochait des guirlandes dans toutes les pièces, surtout la mienne. Et à l'école on ne parlait plus que de ça, de ce qu'on avait commandé comme cadeaux, on faisait tout plein de dessins et de gadgets, tout se transformait. L'année se terminait en beauté, on était heureux et on le savourait d'autant plus qu'après ça, on savait très bien qu'il faudrait redémarrer la vie dans une ambiance redevenue morne et silencieuse.
Comme tous les enfants, je croyais au Père Noël. J'avais même vu sa maison ! Oui, un jour un nuage est passé au-dessus de moi et moi j'étais persuadée que c'était la maison du Père Noël, puisqu'on m'avait dit qu'il vivait sur un nuage. J'ai raconté ça à ma grand-mère qui m'avait répondu : " Ah oui ? Elle devait être belle ! " Alors je lui ai rajouté que j'avais aussi vu son jardin. " Ah oui ? qu'elle me fait, il devait y avoir de belles fleurs multicolores ! " Tiens ? Non, je n'avais pas vu de fleurs multicolores. J'avais simplement vu un nuage tout blanc comme les autres, qui ressemblait juste à une maison…me serais-je trompée ? Mais non, à bien y réfléchir, je commençais à me rappeler que le nuage n'était pas si blanc que ça, qu'il y avait effectivement de belles fleurs multicolores, un jardin vert et un toit rouge. C'était certain : j'avais bien vu la maison du Père Noël. Aujourd'hui, le souvenir de ce nuage multicolore, né dans mon imagination, est plus réel que beaucoup de choses que j'ai vues et qui existent vraiment. C'est étrange. Freud serait là, il m'expliquerait (blague).
Maintenant c'est différent. Déjà on déballe les cadeaux le 24 au soir et non le 25 au matin. Et c'est tant mieux, je me vois mal me lever à 8H00 du matin un jour férié, ou alors il faudrait vraiment que ce soient de beaux cadeaux. Ce n'est plus tellement une fête, tous ces cadeaux je m'en passerais très bien. A la limite j'aimerais même ne rien avoir, je ne sais jamais quoi demander à mes parents. Sans doute parce que je ne suis pas dans le besoin, et donc pas à plaindre. Je sais très bien que des millions d'autres aimeraient avoir tout ce que je possède, à commencer par une famille. Moi, non, je ne veux rien. Ah si, à la limite, j'aurais bien aimé lui commander quelques cartouches de cigarettes au Père Noël, une provision de tabac pour les deux mois à venir. Mais il n'est pas dans ce trip-là, le Père Noël, et je vois mal mes parents m'offrir à ça. Alors j'ai eu droit à du superflu, des vêtements, tout ça… J'aime bien les vêtements, je suis toujours très contente d'en avoir des nouveaux, même si bien souvent je ne les porte qu'une seule fois, avant de me rabattre sur mes vieux jeans. C'est plus commode que les robes, les jeans. Ca s'use moins vite, et d'ailleurs c'est quand ils commencent à s'user qu'ils deviennent jolis, quand il commence à y avoir des petites brindilles en bas des jambes, et des petits trous par-ci par-là. Enfin c'est mon opinion, et je la partage (blague).
D'ailleurs c'est un jean que j'ai eu, ça tombe bien. Il m'allait à merveille ! Bon, c'est vrai que je l'avais essayé l'avant-veille, mais ça fait quand même plaisir. Et puis j'ai eu plein d'autres babioles, mon petit frère aussi a été très gâté. Il m'avait demandé un bouquin sur le foot, je lui ai donc offert ça, à ma mère du parfum et à mon père des clés à pipe. Je sais c'est nul, mais c'est ce qu'il m'avait demandé. Maintenant il a quatre clés à pipe dans son garage, il n'est pourtant pas plus bricoleur que moi, mais il est content. Et l'an prochain je lui offrirai les quatre tailles de clé suivantes, ou peut-être seulement trois parce que plus elles sont grosses plus elles sont chères, et je ne suis pas Crésus.
Au fait tout ça c'était chez mes grands-parents, sur l'île de Ré. Et de toute l'assemblée c'était bien ma grand-mère la plus heureuse. Vous pensez ! Ces enfants et ces petits-enfants chez elle, c'est magnifique ! Noël est encore mille fois plus beau pour elle aujourd'hui, qu'il ne l'était pour moi étant petite. Et pourtant comme je l'ai dit, ce n'était pas rien, pour moi.
Mon grand-père, c'est lui qui m'a appris un jour que le Père Noël n'existait. J'avais sept ans et demi, je commençais à m'en douter un petit peu… ce ne fut donc pas une grande déception. Mais après ça je suis allée retrouver ma grand-mère et je lui ai dit " je vais te dire un truc, mais tu me promets de pas disputer Papi ? " Inquiète, elle m'a écoutée. Et quand elle a su de quoi il s'agissait elle a souri, et aujourd'hui encore elle me reparle de ce moment-là, et de l'inquiétude que j'avais qu'elle disputât (putain joli le subjonctif imparfait ) Papi.
Ainsi le 24 au soir, on a commencé par prendre l'apéro dans le salon de mes grands-parents. Je ne tiens décidément pas l'alcool : un verre de champagne et la tête me tournait ! Heureusement que Mathieu n'était pas là, cette fois-ci. Même mon petit frère tient mieux la boisson que moi, il va falloir que je m'entraîne. En tous cas j'explose tout le monde pour ce qui est de tenir la cigarette, mais je ne m'en vante pas. C'est pendant l'apéro qu'on a remis les cadeaux, chaque pile sous une chaussure, dans les règles de l'art. Et puis ce fut le repas, préparé par ma grand-mère, et ma mère qui bien sûr n'avait pas pu s'empêcher de lui donner un coup de main dans l'après-midi. Mon petit frère nous a raconté plein de blagues, il faut dire qu'il s'y entend pour ça, je pense même qu'il a un don : il raconte les blagues sans temps mort, avec un peu d'improvisation, en allant droit au but, il sait s'arrêter quand ce n'est plus le moment, et repartir quand ça l'est à nouveau. Enfin voilà, après ça je suis allée promener mon chien dans le petit port du village. Je pensais à Julie, j'espérais que son Noël avait été joyeux à elle aussi. Tout est possible avec son père : le meilleur comme le pire. Il est imprévisible, il peut être très gentil comme il peut être très méchant. J'espérais juste qu'il aurait fait un effort pour Noël. Le lendemain j'ai su qu'oui, tant mieux, tout le monde est content ainsi.

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