journal intime
75 _ Mardi 7 janvier 2003

Mon cousin Greg

Le 22 décembre, mon père revenait pour une semaine de son long voyage sur l'océan. Ca m'a fait un immense plaisir, et pendant une semaine il n'a pas arrêté de me faire rire. Personne ne me fait plus rire que mon père, même si quelquefois il ne le fait pas exprès. Il se moque de lui-même et j'adore ça. Et quand il a un petit coup dans le nez c'est encore mieux. Mais il n'est resté qu'une semaine, le 29 il repartait pour deux autres mois. Enfin… le tiers du voyage est fait… Et puis il m'a rapporté un beau souvenir du Canada où il a fait escale, une espèce de gourde en peau de je ne sais quoi, avec un dessin du grand Nord et des caribous dessus, le pur cliché mais ça m'a quand même fait plaisir.
Le 25 c'était Noël.
Le 26 j'ai commencé à faire quelques malaises assez sérieux et à avoir terriblement mal au ventre. Diagnostic : crise d'appendicite. Chouette ! Juste après ma grippe carabinée, ça ne pouvait pas mieux tomber. Mon petit corps n'est pas près d'oublier ce mois de décembre 2002 ! Le soir je me suis faite opérer et j'en étais bonne pour rester plusieurs jours à l'hôpital, clouée au lit. Genre pour parcourir les trois mètres qui séparaient mon lit du couloir, il me fallait cinq minutes, et encore j'étais aidée par une infirmière. Et ce dans d'atroces souffrances. Non pour les souffrances j'en rajoute, en fait une fois que l'opération est faite c'est très supportable, je crois même que je ressentais moins de douleurs que pendant ma grippe. Mais ça me fait drôle de penser que si j'étais née il y a deux siècles, eh bien je serais morte la semaine dernière. Et mon pauvre petit journal intime sur le Net serait resté à l'abandon.
Mais le plus important de toutes ces vacances, c'est la venue de mes cousins, et en particulier de Greg, l'aîné de vingt et un ans, car il a changé ma vie pour les mois à venir. Alors je vais bien insister sur tout ça.
Greg et sa famille sont arrivés chez nous le 25. Sa famille, ce sont mon oncle, ma tante, lui, et sa petite sœur qui a mon âge. Autant le fil ne passe pas très bien entre elle et moi, autant avec Greg on s'entend comme si on s'était fait. Je ne connais personne du même âge que lui, vingt et un ans, mais j'ai quand même l'impression qu'il est en avance par rapport aux autres. On ne se voit guère que deux ou trois fois par an, à l'occasion des fêtes ou anniversaires, mais chaque fois on a plusieurs discussions passionnantes, et moi qui n'aime pas recevoir de conseils en général, venant de lui je suis toujours demandeuse. Il fait partie des personnes qui m'ont été très importantes après la mort de ma sœur. Car c'était quelqu'un de ma famille, sans être trop proche non plus, quelqu'un de concerné, mais de loin. On s'écrit des lettres, de temps en temps, pendant un moment on écrivait même un roman à deux, chacun notre tour un chapitre. C'était un roman romain, c'est à dire qu'il se passait à Rome. Et on a réussi à le terminer : trente chapitres en tout ! En venant il avait même pensé à m'offrir un cadeau, j'avais honte car moi je n'y avais pas pensé du tout, mais il faut dire que c'est la première fois qu'il me fait ça, il m'a prise de court ! Il m'offrait l'Adolescent de Dostoïevski, seul livre de cet auteur que je n'avais pas encore lu, et dont je lui avais parlé cet été. Je l'ai lu, c'est chouette, mais je préfère l'Idiot, celui dans lequel l'héroïne s'appelle Aglaia. Enfin bref, tout ça pour dire qu'entre lui et moi, le courant passe à merveille.
Evidemment les joyeusetés n'ont pas été très longues à cause de ma crise d'appendicite. Mais tout ce monde qui était sous mon toit pendant que je me morfondais à l'hôpital venait très souvent me rendre visite, alors je ne me plains pas.
Des copines sont aussi venues me voir. Un jour, trois filles de ma classe ont passé l'après-midi dans ma chambre, j'ai vraiment beaucoup apprécié. Et le lendemain l'une d'elles est revenue, c'est incroyable… Elle et moi on s'entend bien mais c'est tout, on n'a jamais eu l'occasion de faire beaucoup de choses ensemble. Et je me suis aperçue à ce moment-là que finalement, elle m'aimait peut-être plus que d'autres filles avec qui je passe beaucoup plus de temps. C'est peut-être vrai que les véritables amis, on les découvre dans la douleur et non dans la joie. D'ailleurs Noémie n'est même pas venue, elle. Mais je pense qu'elle n'était pas au courant, enfin j'espère… Mathieu non plus n'était pas au courant. Je ne voulais surtout pas appeler ni l'un ni l'autre, mais je suis certaine que Mathieu serait venu dans l'heure s'il l'avait appris. Même si je ne comprends pas toujours le petit jeu qu'il a joué avec Noémie et moi, je sais que c'est un gars bien, avec des mauvais côtés comme tout le monde et surtout comme les gars, mais quelqu'un de bien quand même.
Mais la visite la plus importante que j'ai reçue c'est celle de Greg. Il a passé plusieurs heures avec moi et à la fin j'ai pris une grande décision.
Au début on parlait de choses et d'autres, de l'Adolescent que je venais d'ingurgiter (il faut bien s'occuper quand on est cloué au lit), de sa vie, tout ça… Depuis le mois de septembre il vit dans un appartement à Paris, études obligent. Lui qui est poitevin, ça a dû lui faire bizarre d'arriver là-bas. Poitiers c'est incroyablement mort comme ville, du moins ce que j'en connais… Il m'a raconté que malgré tout il s'y plaisait très bien, là-haut à Paris. Et peu à peu je me suis confiée à lui. Il y avait longtemps que je ne l'avais pas fait si ce n'est sur ce journal, mais ici je me parle un peu toute seule, il faut bien l'avouer. Julie je lui disais tout mais elle n'était plus là depuis plusieurs semaines, alors c'est Greg qui m'a écoutée. Je lui ai raconté tout ce que j'avais vécu depuis cet été, Olivier, Alain, Julie, et surtout Mathieu et Noémie, une sorte de résumé de tout ce que j'ai écrit depuis que j'ai commencé ce journal. Je crois que ça l'a beaucoup étonné, pas Julie ni mes déboires avec Mathieu, non, tout ça il l'a déjà vu d'une manière ou d'une autre, c'est surtout l'épisode d'Alain qui lui a fait bizarre. On a parlé de ma sœur… Elle avait le même âge que lui, il l'a donc très bien connue, et moi dans mon lit d'hôpital toute douloureuse, à remuer tous ces souvenirs, je me suis mise à pleurer. Je n'aime pas du tout pleurer devant quelqu'un mais parfois je ne peux pas me contrôler, même si c'est assez rare. Il m'a annoncé que selon lui, il fallait que je change de vie de façon brutale, que je reparte sur autre chose de complètement nouveau, en somme que je me détourne de tous ces petits soucis qui me rongent à longueur de journées. Mais comment ? Il m'a proposé de venir habiter chez lui à Paris… " Impossible ", lui ai-je répondu…
La suite demain. Je ne fais pas ça pour faire planer le suspense, mais c'est que je n'aime pas écrire trop d'un coup, je sais que sur la fin je fais moins attention à ce que j'écris, et puis un trop long texte c'est lassant pour tout le monde.

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