journal intime
77 _ Jeudi 9 janvier 2003

Départ à Paris

J'ai passé le réveillon du 31 décembre sur mon lit d'hôpital, c'était grandiose… Le lendemain matin je me suis évadée dans un film avec Jean Marais et Bourvil, ça aussi c'était grandiose… Et avec tout ça, je n'ai même pas assister au second départ de mon père sur l'océan, ce qui me chagrinait un peu, car ça m'aurait bien plu de visiter à nouveau son bateau, et même de le prendre en photo avec le costume, la casquette, et tout ce qui va avec. Tant pis…
Le deux janvier, j'étais enfin libre de quitter l'hôpital, complètement rétablie. J'avais simplement un petit peu mal au ventre en montant l'escalier chez moi, mais dès le lendemain je ne sentais plus rien. Alors j'ai pu commencer mes préparatifs pour mon grand départ à Paris. J'étais toute nerveuse ! Pas excitée mais nerveuse. Des millions de gens avant moi ont quitté leur ville pour s'en aller vers les Etats-Unis, ou plus modestement vers Paris, qui est un peu l'Amérique de chez nous. Et beaucoup se sont cassés les dents, un peu comme dans la chanson d'Aznavour, " je m'voyais déjà ". Mais moi ça n'a rien à voir, je suis partie sans but, sans objectif. Aucune ambition particulière. Je suis venue avec le simple projet d'y passer quelques mois, pour changer de vie, tout en sachant que j'y serais logée, nourrie, tout pareil qu'à La Rochelle.
Je pense qu'il est important de changer de vie de temps en temps. On ne peut pas rester éternellement dans la routine, il faut voir des choses pour grandir. Bien sûr il ne faut pas brûler les étapes (comme le faisait ma sœur, toujours en avance sur son âge), il faut faire les choses au bon moment, trop tôt c'est dangereux, trop tard c'est moins efficace. Et mois je pense que je suis arrivée juste au moment où c'est nécessaire.
Alors je n'étais pas excitée comme pourrait l'être quelqu'un qui part à l'aventure. Je ne suis pas une aventurière ni une nomade, je ne prends jamais de gros risques, et sur les choses sérieuses j'évite de rêver, de me faire des illusions. Je me disais que ce ne serait pas facile au début : ne pas voir les mêmes maisons en sortant de chez moi, ne pas dormir dans le même lit, acheter mes cigarettes dans un autre bureau de tabac, bref me faire de nouveaux repères. Mais je m'en sentais capable.
J'ai donc préparé mes petites affaires. Je ne me suis pas surchargée, je n'ai emmené que deux sacs. L'un contenant des vêtements, les affaires de toilette, le minimum vital en quelque sorte, et l'autre contenant mes cours et bouquins. Mais dans le premier sac j'ai quand même mis quelques babioles auxquelles je suis attachée, des petits cadeaux qu'on m'a offerts par exemple, ou des photos, et surtout la légion d'honneur de mon arrière-grand-père. Je n'en ai pas parlé à mes parents de la légion d'honneur car ils n'auraient certainement pas été d'accord, trop peur que je la perde. Et c'est vrai qu'elle a trop de valeur pour qu'on la trimballe n'importe où à droite à gauche, il ne faut pas rigoler avec ça. Mais moi j'y tiens énormément, alors je me suis promise qu'en arrivant je la rangerais proprement dans un tiroir, et que je l'y laisserais tout le temps.
J'ai également profité de ces quelques jours pour remplir toutes les formalités concernant les cours par correspondance, mais aussi pour rattraper le retard accumulé pendant ma fichue grippe.
Et le samedi, ce fut le départ. D'abord pour Poitiers avec la famille de mon cousin Greg, puis le lendemain pour Paris. J'avais bien sûr un peu de remords à laisser ma mère et mon petit frère seuls à la maison. Normalement on devrait être cinq sous ce toit, les voilà maintenant tous les deux… Mais ce n'est que provisoire, dans quelques mois mon père sera de retour de son voyage, et moi de retour de Paris.
Une journée à Poitiers est largement suffisante pour découvrir cette ville. Je la connaissais déjà très bien vu que c'est la ville de mes cousins, mais ça me fait toujours plaisir de retourner dans les lieux pour lesquels j'ai des souvenirs. Poitiers est décidément une ville morte, loin de la mer, de la montagne, de la capitale, de tout. Il y a une quinzaine d'années ils y ont bâti le Futuroscope pour essayer de lui donner du dynamisme, mais je trouve que ce stratagème sonne faux, ce grand complexe futuriste à côté de cette ville complètement dépassée, ils auraient pu trouver autre chose. En plus il paraît que Bill Gates va installer au Futuroscope un immense stand de jeux vidéo x-box, c'est du propre… Je ne sais pas si ça aussi c'est pour favoriser le dynamisme de la région, mais moi ça me ferait plutôt fuir qu'approcher.
Et le lendemain, Paris ! Le voyage en train était agréable car il n'y a pas dire, on vit quand même dans un joli pays. Bien souvent on était entouré de champs et de cultures à perte de vue, d'immenses étendues vertes plates ou vallonnées, c'est agréable à l'œil tout ça. Mais peu à peu les villes rencontrées se rapprochaient, les routes se faisaient plus nombreuses dans les parages, et tout devenait plus animé. Autant j'étais nerveuse les jours qui avaient précédé mon départ, autant j'étais carrément tendue les heures qui ont précédé l'arrivée. Je n'avais pas peur, mais je sentais comme une petite pointe de stress, et d'envie, d'impatience, car j'étais vraiment heureuse d'arriver.
Et nous sommes entrés en gare Montparnasse, avec ces immeubles qui sont à quelques pas des rails, au point que dans le train on pouvait voir les gens dans leur cuisine, de l'autre côté du grillage… J'ai aussi aperçu la tour Eiffel, je sais c'est con, mais ça m'a fait plaisir. Et voilà, on a mis pied à terre.
Je n'étais pas à Paris depuis cinq minutes que je commettais déjà une infraction : j'ai pris le métro avec mon chien. Greg ignorait si c'était autorisé puisque pour lui la situation ne s'était jamais présentée, alors on a pris le gauche. On n'allait quand même pas faire le trajet à pied… Et puis moi j'étais pressée d'arriver à l'appartement, d'y ranger mes affaires et d'y fumer une cigarette à la fenêtre, avec ce nouvel air tout pollué mais tout nouveau. On a pris le métro, tout s'est passé sans encombres, Adonis s'est fait le plus petit possible en se glissant sous mon siège, même si un berger allemand ça passe difficilement inaperçu. Et voilà, le soir j'ai découvert ma nouvelle chambre.

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