J'ai passé
le réveillon du 31 décembre sur
mon lit d'hôpital, c'était grandiose
Le lendemain matin je me suis évadée
dans un film avec Jean Marais et Bourvil, ça
aussi c'était grandiose
Et avec tout
ça, je n'ai même pas assister au
second départ de mon père sur l'océan,
ce qui me chagrinait un peu, car ça m'aurait
bien plu de visiter à nouveau son bateau,
et même de le prendre en photo avec le costume,
la casquette, et tout ce qui va avec. Tant pis
Le deux janvier, j'étais enfin libre de
quitter l'hôpital, complètement rétablie.
J'avais simplement un petit peu mal au ventre
en montant l'escalier chez moi, mais dès
le lendemain je ne sentais plus rien. Alors j'ai
pu commencer mes préparatifs pour mon grand
départ à Paris. J'étais toute
nerveuse ! Pas excitée mais nerveuse. Des
millions de gens avant moi ont quitté leur
ville pour s'en aller vers les Etats-Unis, ou
plus modestement vers Paris, qui est un peu l'Amérique
de chez nous. Et beaucoup se sont cassés
les dents, un peu comme dans la chanson d'Aznavour,
" je m'voyais déjà ".
Mais moi ça n'a rien à voir, je
suis partie sans but, sans objectif. Aucune ambition
particulière. Je suis venue avec le simple
projet d'y passer quelques mois, pour changer
de vie, tout en sachant que j'y serais logée,
nourrie, tout pareil qu'à La Rochelle.
Je pense qu'il est important de changer de vie
de temps en temps. On ne peut pas rester éternellement
dans la routine, il faut voir des choses pour
grandir. Bien sûr il ne faut pas brûler
les étapes (comme le faisait ma sur,
toujours en avance sur son âge), il faut
faire les choses au bon moment, trop tôt
c'est dangereux, trop tard c'est moins efficace.
Et mois je pense que je suis arrivée juste
au moment où c'est nécessaire.
Alors je n'étais pas excitée comme
pourrait l'être quelqu'un qui part à
l'aventure. Je ne suis pas une aventurière
ni une nomade, je ne prends jamais de gros risques,
et sur les choses sérieuses j'évite
de rêver, de me faire des illusions. Je
me disais que ce ne serait pas facile au début
: ne pas voir les mêmes maisons en sortant
de chez moi, ne pas dormir dans le même
lit, acheter mes cigarettes dans un autre bureau
de tabac, bref me faire de nouveaux repères.
Mais je m'en sentais capable.
J'ai donc préparé mes petites affaires.
Je ne me suis pas surchargée, je n'ai emmené
que deux sacs. L'un contenant des vêtements,
les affaires de toilette, le minimum vital en
quelque sorte, et l'autre contenant mes cours
et bouquins. Mais dans le premier sac j'ai quand
même mis quelques babioles auxquelles je
suis attachée, des petits cadeaux qu'on
m'a offerts par exemple, ou des photos, et surtout
la légion d'honneur de mon arrière-grand-père.
Je n'en ai pas parlé à mes parents
de la légion d'honneur car ils n'auraient
certainement pas été d'accord, trop
peur que je la perde. Et c'est vrai qu'elle a
trop de valeur pour qu'on la trimballe n'importe
où à droite à gauche, il
ne faut pas rigoler avec ça. Mais moi j'y
tiens énormément, alors je me suis
promise qu'en arrivant je la rangerais proprement
dans un tiroir, et que je l'y laisserais tout
le temps.
J'ai également profité de ces quelques
jours pour remplir toutes les formalités
concernant les cours par correspondance, mais
aussi pour rattraper le retard accumulé
pendant ma fichue grippe.
Et le samedi, ce fut le départ. D'abord
pour Poitiers avec la famille de mon cousin Greg,
puis le lendemain pour Paris. J'avais bien sûr
un peu de remords à laisser ma mère
et mon petit frère seuls à la maison.
Normalement on devrait être cinq sous ce
toit, les voilà maintenant tous les deux
Mais ce n'est que provisoire, dans quelques mois
mon père sera de retour de son voyage,
et moi de retour de Paris.
Une journée à Poitiers est largement
suffisante pour découvrir cette ville.
Je la connaissais déjà très
bien vu que c'est la ville de mes cousins, mais
ça me fait toujours plaisir de retourner
dans les lieux pour lesquels j'ai des souvenirs.
Poitiers est décidément une ville
morte, loin de la mer, de la montagne, de la capitale,
de tout. Il y a une quinzaine d'années
ils y ont bâti le Futuroscope pour essayer
de lui donner du dynamisme, mais je trouve que
ce stratagème sonne faux, ce grand complexe
futuriste à côté de cette
ville complètement dépassée,
ils auraient pu trouver autre chose. En plus il
paraît que Bill Gates va installer au Futuroscope
un immense stand de jeux vidéo x-box, c'est
du propre
Je ne sais pas si ça aussi
c'est pour favoriser le dynamisme de la région,
mais moi ça me ferait plutôt fuir
qu'approcher.
Et le lendemain, Paris ! Le voyage en train était
agréable car il n'y a pas dire, on vit
quand même dans un joli pays. Bien souvent
on était entouré de champs et de
cultures à perte de vue, d'immenses étendues
vertes plates ou vallonnées, c'est agréable
à l'il tout ça. Mais peu à
peu les villes rencontrées se rapprochaient,
les routes se faisaient plus nombreuses dans les
parages, et tout devenait plus animé. Autant
j'étais nerveuse les jours qui avaient
précédé mon départ,
autant j'étais carrément tendue
les heures qui ont précédé
l'arrivée. Je n'avais pas peur, mais je
sentais comme une petite pointe de stress, et
d'envie, d'impatience, car j'étais vraiment
heureuse d'arriver.
Et nous sommes entrés en gare Montparnasse,
avec ces immeubles qui sont à quelques
pas des rails, au point que dans le train on pouvait
voir les gens dans leur cuisine, de l'autre côté
du grillage
J'ai aussi aperçu la
tour Eiffel, je sais c'est con, mais ça
m'a fait plaisir. Et voilà, on a mis pied
à terre.
Je n'étais pas à Paris depuis cinq
minutes que je commettais déjà une
infraction : j'ai pris le métro avec mon
chien. Greg ignorait si c'était autorisé
puisque pour lui la situation ne s'était
jamais présentée, alors on a pris
le gauche. On n'allait quand même pas faire
le trajet à pied
Et puis moi j'étais
pressée d'arriver à l'appartement,
d'y ranger mes affaires et d'y fumer une cigarette
à la fenêtre, avec ce nouvel air
tout pollué mais tout nouveau. On a pris
le métro, tout s'est passé sans
encombres, Adonis s'est fait le plus petit possible
en se glissant sous mon siège, même
si un berger allemand ça passe difficilement
inaperçu. Et voilà, le soir j'ai
découvert ma nouvelle chambre.
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