journal intime
79 _ Dimanche 12 janvier 2003

La Butte Montmartre

Voilà une semaine que je vis à Paris, et tous les jours je pars en voyage en bas de chez moi, pour quelques heures. Je m'en vais promener mon chien au hasard des rues et je reviens la tête pleine d'images, de sons et d'odeurs. Moi qui pensais que La Rochelle était la plus belle ville du monde, eh bien je me suis trompée, en fait La Rochelle n'est que la numéro deux… Et juste devant il y a Paris. Bien sûr ici, il n'y a pas l'océan ni les vagues de ma chère ville. Mais par contre il y a la Seine, des gens du monde entier, des bâtiments vieux comme tout, et des millions d'habitants qui s'agitent, chacun à leur place dans cet immense décor.
Aujourd'hui, je suis allée à Montmartre. Je n'y avais encore pas mis les pieds car dans la liste des quartiers dont j'avais entendu parler avant d'arriver ici, celui-ci me paraissait le plus charmant. Alors autant le garder pour la fin, une fois que la liste serait épuisée. Sur cette liste il y avait bien sûr la Tour Eiffel, l'arc de Triomphe, les Champs Elysées, le quartier latin,… Et aujourd'hui Montmartre, dont j'avais si souvent entendu parler dans les romans et les chansons. Les très vielles chansons, celles de Bruant ou de Gaston Couté, qui parlaient de la rue, des filles et des bourgeois. A l'époque il n'y avait qu'un seul juge pour les artistes : c'était le peuple, les gens qui traînaient dans les cabarets. Pas de piston, pas d'argent, il fallait forcément être bon pour réussir, et tout cela ça se passait à Montmartre, le quartier parisien par excellence.
Alors j'y suis allée. A pied bien sûr, avec mon chien, d'ailleurs nous n'habitons pas si loin que ça… Je remonte la rue d'Amsterdam jusqu'à la place Clichy, puis je prends le boulevard jusqu'à la place Pigalle. Ce quartier est incroyable : c'est l'empire du sexe ! Tous les trois mètres un sex shop, un cinéma porno, un musée de l'érotisme, un sexotron, le tout décoré de femmes en maillot de bain pour les plus cleans, et complètement à poil pour les moins cleans. Avec quelques kebabs, quelques vendeurs de sac à main, quelques joueurs - voleurs - de carte… Ca ne m'étonne pas que la réputation de ce quartier soit répandue bien au-delà de la ville et même du pays, d'ailleurs cette semaine, alors que je marchais à l'autre coin de la ville, un chauffeur de voiture italien m'a interpellée : " siouplé ! Pigalle ? ". Bah j'en sais rien moi, je lui ai vaguement indiqué le nord de la ville, mais il n'était pas rendu le pauvre gars, on était à l'opposé ! Si ça se trouve il cherche encore.
Ensuite j'ai attaqué la butte de Montmartre, en évitant les rues trop fréquentées car je voulais un peu de tranquillité. C'est vrai que ces rues pavées, ces escaliers très raides en pierre, ces vielles maisons, ça a beaucoup de charme. En plus de temps en temps, quand la vue était dégagée, je me retournais et je voyais Paris à mes pieds, un peu comme si j'en étais la Reine, et j'imaginais ces trois millions de personnes éparpillées dans toutes ces rues qui s'étalaient. Je me disais là-bas si ça se trouve, y a un gars qui joue de la musique, là-bas une femme qui accouche et qui n'oubliera jamais cette seconde, là-bas un couple qui fait l'amour, là-bas un vieux qui se fait taper… tout ça c'est beau, et j'en avais une sacrée vue d'ensemble.
Quelquefois aussi, je tombais sur un petit morceau d'endroit qui me replongeait dans le passé. Genre un petit coin de rien du tout sans voiture, sans cabine téléphonique et sans parabole. Alors, pendant quelques secondes, j'arrivais à me convaincre que j'étais dans le Paris d'il y a cinquante ans. Mais ça ne durait pas longtemps, et le reste de ma promenade m'a un peu déçue. Le reste, c'est par exemple la place du Tertre, dont j'avais entendu parler des milliers de fois. On m'avait par exemple raconté que le peintre Dali y traînait souvent. Mais qu'ai-je vu ? Des tables de restaurant qui envahissaient la place, et des peintres prêts à tout pour vous faire le portrait (payant, bien sûr)… Ensuite le Sacré-Cœur. Je l'avais déjà aperçu à plusieurs reprises en me promenant, et c'est vrai qu'il est grandiose. Le plus joli monument de culte que j'aie vu de ma vie, après la cathédrale Saint Louis de La Rochelle. Mais il y avait un monde fou. Tout cela n'avait plus rien à voir avec ce que je m'étais imaginé.
Mince alors ! Où sont-ils les grands peintres de Montmartre ? Ce ne sont quand même pas ces types qui vous collent au cul pour vous faire le portrait ! Et les petits cafés où venaient les philosophes d'autrefois, je ne les ai pas vus non plus ! Je n'ai vu que des restaurants très chers, très surchargés, animés par des serveurs qui couraient dans tous les sens. Si Dali voyait ça, sûr qu'il irait se choisir un autre quartier pour discuter avec ses potes.
Et le fameux petit joueur à l'accordéon et à la casquette, qui gagne son pain en vendant sa musique, où est-il ? Je ne m'attendais bien sûr pas à le trouver, je sais très bien que ce n'est qu'une vielle image dépassée, mais à la place j'ai vu une bande de six Chiliens, qui avaient un grand sourire sur les lèvres, qui chantaient et dansaient en s'amusant, habillés de leurs panchos multicolores, c'est vachement pitorresque de Montmartre ça… Et les touristes qui les couvraient d'argent… En plus ils vendaient des disques et des cassettes… C'est nul. Moi j'aurais préféré entendre un petit gars qui aurait joué de l'accordéon tellement tristement que ça m'aurait fait chialer de bonheur, et je lui aurais jeté une petite pièce, et il aurait été heureux… je sais, je suis en plein rêve, je vis dans mes illusions. Mais la réalité est bien moche, parfois.
Je suis allée à Montmartre, je n'y retournerai plus.
J'ai préféré le quartier de Strasbourg-Saint Denis. J'y étais passée lundi dernier, pour ma première sortie, et je faisais très attention à moi car c'est un peu le centre de la fourmilière, là-bas. J'ai adoré cette atmosphère un peu sale, on voit bien que le niveau de vie n'est pas très élevé, et je devrais avoir honte de dire que j'ai pris du plaisir à regarder ce spectacle, alors que si je m'y plongeais pour de bon je m'apercevrais bien vite que c'est beaucoup moins joyeux que ça n'en l'air. Aux fenêtres des premiers étages je voyais des ateliers de couture, où des femmes travaillaient par dizaines, dans les rues des hommes trimballaient des vêtements sur des petites carrioles à roulettes, ils se parlaient dans une langue que je ne connaissais pas, certains avaient le sourire, d'autres semblaient pressés et inquiets. C'est le Sentier, et c'est beau. J'ai beaucoup aimé cet endroit, même si ce n'est pas le genre de lieux où j'aimerais traîner la nuit.
Mon chien, il s'en fiche complètement de tous ces petits coins. La Rochelle ou Paris, Montmartre ou Saint Lazare, je pense qu'il ne fait aucune différence. Car finalement pour mon chien, il n'y a que deux endroits : là où je suis, et là où je ne suis pas.
Avec tout ça je n'ai encore pas parlé de Julie. Demain.

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