Aujourd'hui je
suis retournée près de Strasbourg
- Saint Denis, car le fait d'en avoir parlé
hier soir dans mon journal m'avait donné
envie d'y refaire un saut. Et comme la dernière
fois, j'y ai revu tous ces petits hommes qui ne
parlent pas un mot de français et qui tirent
derrière eux une espèce de petite
carriole chargée de cartons, remplis de
vêtements. A un moment je les ai vus tous
à la queue-leu-leu sur une cinquantaine
de mètres, et même plus car au-delà
la rue faisait un angle. Ils faisaient la queue
pour entrer dans une espèce de hangar,
Ducros Services, les transporteurs. Je croyais
que c'était une grande entreprise, Ducros,
d'ailleurs ça l'est certainement, mais
ce hangar était tout miteux ! Tout petit,
tout vieux, dans un bâtiment qui je crois
n'est pas habité, et entièrement
manuel. J'ai aperçu en passant les caisses
de paiement, on aurait dit qu'elles étaient
mécaniques, genre la calculette de Pascal,
avec des boulons et des engrenages. Et puis des
numéros écrits sur papier, et non
pas sur un petit écran. Non j'exagère,
mais j'ai vraiment eu l'impression de me trouver
devant une boutique du siècle dernier.
Et là dedans ça criait, ça
piaillait, ça se chamaillait pour des places
qu'ils essayaient de se piquer
Hou la la
Je parle de ça parce qu'en passant devant
le hangar, mon chien a éternué.
Je ne sais pas ce qui l'a pris, il ne fait jamais
ça d'habitude, j'espère qu'il n'est
pas en train de se chopper un rhume
Mais
il faut dire qu'il fait très froid.
Il a éternué devant un homme, un
moustachu qui " travaillait " devant
le hangar. Je mets des guillemets à "
travaillait " car je crois qu'il faisait
surtout semblant. En entendant Adonis éternuer
il me sort comme ça : " Eh il faut
lui mettre un manteau à lui aussi ! "
Eh eh
J'ai fait semblant de rire pour lui
faire plaisir avant de m'en aller, mais il a continué
à me causer et finalement je suis restée
un quart d'heure avec lui. Il se roulait sa clope
en m'expliquant pourquoi il y avait tant de clients
aujourd'hui. Les clients, c'était tous
ces hommes qui trimballaient leur carriole. Il
m'a dit qu'il y avait eu un grand salon du prêt-à-porter
dans je ne sais plus quelle ville, d'où
plein de commandes, qu'il y avait eu des problèmes
de transport la semaine dernière, d'où
plein de retard, et puis une troisième
raison que j'ai oubliée. C'est vrai que
les " clients " arrivaient par dizaines,
que le les deux caissières à l'intérieur
du hangar s'agitaient comme des folles, mais alors
lui, tranquille, relax, il se roulait sa clope
en rigolant, pas affolé le moins du monde
par l'immense queue. Mais j'ai jeté un
regard à l'intérieur du hangar et
j'ai tout compris : il y avait un petit jeune,
dix-huit ans, qui faisait le travail pour deux.
Le pauvre, il devait prendre les cartons qui arrivaient
sur le tapis roulant et les ranger dans un coin
du hangar. Mais les cartons arrivaient beaucoup
plus vite qu'il ne fallait de temps pour les ranger,
il était en nage, il courait véritablement
du tapis au mur, à un moment il a même
trébuché mais n'a même pas
pris le temps de regarder s'il était blessé
Il regardait parfois son collège moustachu
et je crois qu'il n'osait pas lui demander de
l'aider. Et l'autre il se roulait sa clope en
rigolant. Ca me fait rire quand j'y pense mais
ce n'est pas drôle, les vieux qui profitent
de leur âge pour laisser le sale boulot
aux jeunes.
En tous cas malgré sa blague du début
il était bien sympa. Je l'ai quitté
après un quart d'heure et voilà,
encore une fois, quelqu'un qui restera pour moi
le " compagnon d'un jour ou d'une année
", quelqu'un que je n'oublierai jamais. Quand
je repasserai ici dans dix ans, je me rappellerai
de lui et du bon moment que j'aurai passé,
et de sa blague sur mon chien. Je ne sais pas
si ce sera réciproque
Je l'ai revu deux heures plus tard en revenant
sur mes pas. C'était l'heure de la fermeture,
alors depuis bien longtemps il était assis
mollement sur une pile de cartons pendant que
le chef et le petit jeune terminaient de ranger
les cartons. Un dernier client est arrivé
tout inquiet, un chinois qui parlait difficilement
français, il avait un carton et voulait
absolument qu'on lui embarque sa marchandise.
Mais non, l'heure c'est l'heure, alors le chef
refusait de lui peser son colis. Et comme le chinois
insistait " mais mon patron il a dit ce soir
! " le chef s'est mis à lui crier
dessus furieusement " tu te casses ou c'est
moi qui te fais dégager ! " Eh ben
moi que croyais que dans le commerce le client
était roi, je m'aperçois que ce
n'est pas le cas partout
En tous cas si
un jour j'ai des vêtements à expédier,
je tâcherai d'arriver à l'heure !
Changement de sujet.
Ils ont dû être bien étonnés,
ceux de ma classe, quand ils ne m'ont pas vue
arriver lundi dernier, ni tous les autres jours
de la semaine
Et tout particulièrement
Noémie, elle qui était toujours
à côté de moi en cours et
qui passait son temps à papoter, elle doit
bien se tourner les pouces, depuis
Je n'ai
pas de téléphone portable et je
n'ai pas l'intention d'en acheter. On a bien sûr
une ligne fixe dans l'appartement mais j'ai dit
à ma mère que si quelqu'un voulait
me parler, il fallait d'abord qu'elle me le dise
avant de lui refiler le numéro. Car je
suis venue ici pour changer d'air et de vie, je
ne veux donc pas me replonger sans cesse parmi
toutes ces anciennes connaissances, ne serait-ce
que par téléphone.
Mais Noémie a téléphoné
chez moi, et c'est mon petit frère qui
a répondu. Ils ont parlé un petit
peu, comme ça, il lui a expliqué
où j'étais et pour quelle raison,
et elle avait l'air de réfléchir
en l'écoutant. Etonnée, bien sûr,
que moi qui n'avais jamais quitté La Rochelle
je me retrouve parachutée dans la capitale,
mais ça ne l'a pas choquée non plus,
comme si elle se doutait que ça arriverait.
Elle a demandé pas mal de détails,
mais n'a pas cherché à savoir mon
nouveau numéro. C'est vrai que c'est quand
même plus à moi qu'à elle
de l'appeler, après le mal que je lui ai
causé
Je le ferai, mais plus tard.
Je veux d'abord penser à moi. Et surtout
je veux rencontrer de nouvelles personnes, ce
qui n'est pas très facile avec la vie que
je mène, et finalement les seules connaissances
que je peux me faire ce sont les copains et copines
de Greg, qui sont plus âgés que moi
et que je ne connais presque pas encore. A ce
propos demain soir il va en inviter quelques-uns,
alors je n'écrirai pas, ça risque
de se terminer tard
Et désormais
j'écrirai l'après-midi plutôt
que le soir, c'est plus commode pour moi.
Et je n'ai encore pas parlé de Julie. Mais
ce texte se fait long. Ce sera pour la prochaine
fois.
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