journal intime
107 _ Vendredi 21 février 2003

Retour à La Rochelle

Ca me fait drôle d'écrire ce soir. Très drôle car je suis entre les quatre murs de ma chambre, à La Rochelle, après deux mois de vie parisienne. J'étais toute émue de retrouver mon lit, mes meubles, et même un paquet de cigarettes presque vide que j'avais oublié sur mon bureau. Si j'ouvre la fenêtre, j'entends le murmure de la mer, même si à cette heure-là il y a encore quelques voitures à passer dans la rue. Toutes ces petites choses que j'avais oubliées, mais qui sont une partie de ma vie.
Pourquoi suis-je à La Rochelle ? Parce que mon père est rentré de ses deux mois de vacances de travail sur l'océan. Et c'est définitif : l'armée a annulé le reste du voyage. L'armée annule beaucoup de choses et en prévoit aussi de nombreuses, et c'est un peu lié avec les événements de l'Irak. Notre président a dit non à la guerre. Tant mieux, quelles que soient les raisons de ce refus, avouées et non avouées, les Français n'iront pas participer aux combats, à commencer par mon père.
La première fois que j'ai entendu parler de la guerre de façon réelle, j'avais cinq ans et c'était pendant la guerre du Golfe. Saddam Hussein d'un côté et le père de GW Bush de l'autre, décidément dès que ça va mal on retrouve toujours les mêmes. J'entendais parler de tout ça en passant devant la télé et je ne comprenais pas bien. J'avais bien sûr déjà entendu parler de la guerre, mais pour moi ça faisait partie des comtes et des légendes, ou bien de l'histoire très ancienne, jamais je n'aurais pensé que c'était encore d'actualité ! Non seulement c'était d'actualité mais en plus les choses étaient bien plus compliquées que dans les légendes, il n'y avait pas les gentils d'un côté et les méchants de l'autre.
J'ai lu le Livre noir du communisme. Un gros pavé sur l'histoire du communisme au cours du XX° siècle. Résultat : 100 millions de morts en quatre-vingts ans. Si on lit l'histoire de l'humanité, on se rend compte que les peuples ont passé plus de temps à se battre, contre leurs voisins ou contre eux-mêmes (!), qu'à vivre en paix. J'en viens à me dire que sur une vie de soixante-dix ans, un homme a plus de chances de connaître au moins une guerre que de vivre en paix tout le temps. Une guerre et tout ce que ça implique…
Mon père est évidemment très concerné par tous les problèmes actuels, et ses explications me permettent d'y voir un peu plus clair (ce n'est pas avec le journal de TF1 que ça arriverait !). Bush est un con, Hussein est un con, il y a un con au pouvoir de chaque côté, on est mal barré !
En ce moment je corresponds avec un lecteur qui me pose des questions sur l'armée car il voudrait s'y engager. J'en connais d'autres des gars comme ça, au lycée, qui disaient " l'armée c'est bien, t'es bien payé, tu fais du sport, tu es fonctionnaire, tu bouges beaucoup, c'est chouette ! " Ils sont fous ! Ils oublient que la fonction première des militaires est de faire la guerre, ou bien de protéger la paix, ce qui revient souvent au même. Depuis soixante que la France vit à peu près confortablement, l'armée est devenue un métier comme un autre, qu'on choisit pour les vacances, ou pour la sécurité de l'emploi, ou pour je ne sais quoi. Un homme qui s'engage dans l'armée, aujourd'hui, oublie qu'un jour il aura peut-être un meurtre à commettre, et que ce jour-là il n'aura pas le choix. Je n'encourage personne à entrer dans l'armée.
Mon père est contre la guerre. Ce n'est pas par peur pour sa petite personne, il est comme tous les militaires, droit et carré, il prend les choses comme elles viennent, et il ne pleurera jamais avant d'avoir mal.
Etre à La Rochelle signifie plein de choses. D'abord que je viens de retrouver ma famille au complet. Ensuite que demain je reverrai Noémie (croisons les doigts). Mais ça veut dire aussi que ce soir je vais me coucher seule. David me manque déjà. Cette semaine j'ai passé toutes les nuits chez lui, sauf mardi après l'apéro mais là c'est lui qui est venu chez nous. D'ailleurs on a fait l'amour et mon cousin étant dans la pièce à côté, il a dû tout entendre, ça craint un peu. Pas beaucoup mais un petit peu. Mais bon, certains couples passent leur temps à s'engueuler, nous on passe notre temps à faire l'amour, chacun son truc.
J'ai reçu une lettre de Julie ce matin. La communication marche bien, encore mieux que sur le Net ! Sa lettre m'a encore une fois toute remuée, mais cette fois-ci je vais la garder pour moi. D'autant qu'elle est encore plus personnelle et intime que la dernière. Julie semble aller bien, décidément elle sait vraiment prendre les choses du bon côté, j'en connais qui à sa place auraient pété un plomb depuis longtemps !
Comme il me restait pas mal de temps avant de prendre mon train, je suis allée me promener dans son quartier, entre le canal Saint Martin et le boulevard Magenta. Je pensais à ce qu'elle m'avait demandé : de regarder si par hasard je ne verrais pas son chat tigré avec un collier rouge. J'ai bien regardé, hélas je n'ai rien vu. Du moins pas en vrai, parce que dans ma tête j'ai fait bien plus que le voir. Je suis partie en plein délire.
Je le voyais au bord de l'eau du canal et je me disais en moi-même : " mais c'est le chat de Julie ! " Alors je demandais à mon chien de rester bien en place pour ne pas l'apeurer, puis je m'approchais doucement du chat en l'appelant " Minou minou ! " Il me regardait hésitant puis il venait vers moi timidement. Là je le caressais et il faisait le gros dos, comme s'il comprenait que j'étais l'amie de Julie. Alors je le prenais dans mes bras et je le ramenais à l'appartement, avec mon chien à côté de moi tout jaloux. Tout cela je l'ai rêvé, ça m'a bien pris vingt minutes. C'est incroyable comme je me déconnecte de la réalité quelquefois. Vingt minutes à imaginer une histoire qui n'est pas arrivée, et qui n'arrivera jamais…
Dire que là-bas en Irak, il y a peut-être une fille de 15 ans, un peu comme Julie, aussi gentille et aussi agréable, qui n'a rien demandé à personne et qui se fout complètement du pétrole et de la bourse, et qui va y passer… Je fais rarement des liens mais là je vais en donner deux : NON A LA GUERRE, et Morts les enfants, le texte de l'une des plus jolies chansons de Renaud.

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