journal intime
108 _ Dimanche 23 février 2003

Ma pauvre Noémie

Il est cinq heures du matin. Tout à l'heure en rentrant chez moi, j'avais mal au ventre. Je suis montée jusqu'à ma chambre, je me suis allongée sur mon lit sans éteindre la lumière, j'avais juste mis la voix de James Brown en fond sonore. J'ai fermé les yeux et me suis endormie. Trop d'émotions d'un seul coup d'un seul pour mon pauvre cœur. J'étais malade, j'avais mal au bide, même allongée sur le ventre ça me lançait des coups dans mon pauvre estomac. Je me suis endormie difficilement dans la lumière et je suis partie dans quelques cauchemars. Je marchais dans une rue très longue et très large, mais déserte et la nuit, et sans mon chien. Et j'étais poursuivie, et je me cachais dans un buisson la peur au ventre.
Je me suis réveillée bien plus tard, la lumière était toujours allumée mais le disque était fini depuis longtemps, il faut dire qu'au temps de James Brown il n'y avait pas de piste cachée à la fin.
Je suis descendue, mon père qui n'arrivait pas à dormir était devant la télé, alors je l'ai regardée avec lui, c'était bizarre.
J'ai revu ma pauvre amie Noémie. Je ne la reconnais plus, elle ne sourit plus ou presque plus, elle fume encore plus que moi, et se fout de tout. Quand je suis allée sonner à sa porte c'est sa mère qui m'a ouvert, Noémie n'était pas là mais ne tarderait pas à rentrer. Sa mère avait l'air contente de me voir, elle m'a dorlottée un quart d'heure en me posant des millions de questions sur Paris, et c'était un plaisir de lui répondre. Mais elle m'a dit que sa fille, depuis quelques temps, l'inquiétait. Quelque chose ne tournait pas rond. Il faisait gris dehors, je me demande même s'il ne pleuvait pas un petit peu. C'est l'hiver à La Rochelle, comme partout ailleurs.
Noémie est arrivée, elle a eu un immense sourire en me voyant dans la cuisine, et je crois que je lui ai bien rendu. C'est fou, passez deux mois loin de quelqu'un qui vous est cher, vous le revoyez et tout s'illumine en un instant. On est monté dans sa chambre. Et bientôt son sourire avait disparu. Mais qu'est ce qu'il t'arrive ? En décembre je lui ai donné comme un coup de poignard dans le dos en embrassant Mathieu. Mais s'il n'y avait eu que moi… Le problème c'est que je n'ai été que la première de la liste. Et Noémie elle est amoureuse, c'en est beau comme elle est amoureuse de son Mathieu, mais lui il s'en fout. Il embrasse la première qui passe. Il répète toujours à Noémie qu'elle est sa préférée, mais ça ne fait pas tout. Elle ne veut pas le quitter, elle me dit que ce serait terrible si du jour au lendemain elle se retrouvait sans lui. La pauvre…
Quand j'ai décollé de la télé tout à l'heure, je suis allée à mon ordi, j'ai mis des chansons tristes dans le lecteur, et j'ai écrit un mot à Noémie que je lui enverrai. J'écrivais sur mon clavier, les yeux fermés en pensant très fort à elle et à tous nos moments passés, beaux et tristes, tous ces moments qui font qu'aujourd'hui, ce qui la touche me touche aussi.
De te voir comme ça Noémie ça me fait mal au coeur. Ce n'est pas toi que j'ai vue aujourd'hui, c'est un portrait raté et triste, une pâle copie de ce que tu es vraiment. Dire que j'ai mes parts de responsabilité dans tout ça me fait encore plus mal. Fais-moi confiance, tout va s'arranger. Prends les choses comme elles se présentent et tout ira bien, d'ailleurs c'est toi qui me l'as dit plein de fois.
Je comprends ce que tu ressens en ce moment. Je t'ai raconté le temps où j'étais avec Alain. Tu te rappelles une nuit que j'étais chez lui je n'arrivais pas à fermer l'œil. Lui il dormait comme un bienheureux, rien ne pouvait le déranger. Et moi j'étais là comme une conne à attendre que comme par enchantement il se réveille et vienne me consoler. Mais plus les heures passaient, plus je fumais, et moins il ne se réveillait. Et ça fait mal de voir que quelqu'un qui a la clé de ton bonheur roupille à côté, et ne comprend rien à ce que tu essaies de lui dire. Comme Mathieu avec toi. Tu m'avais remonté le moral, et moi je me fichais complètement de tes paroles, ce n'était pas les tiennes que je voulais, c'était celles d'Alain. Mais plusieurs mois après, de quoi je me rappelle ? Alain je l'ai déjà oublié, de toute cette longue nuit je ne me rappelle que le mal au crâne à cause de trop fumer. Mais par contre, je n'oublierai jamais tout ce que tu m'avais dit, ça c'est resté. Laisse tomber Mathieu, il a eu plus que sa chance et tu es trop bien pour lui. Ce sera dur au début, mais plus tu attendras et plus ce sera dur. Il est comme ça, là tu l'aimes, mais bientôt tu le haïras. Tu ne le changeras pas, je sais bien que tu aurais voulu le changer, justement, mais il faut te faire une raison. Il est trop jeune. Tu es comme moi, en dessous de vingt ans ça vaut pas le coup. C'est ça qu'on est intelligent !
J'aurais préféré te voir heureuse aujourd'hui, mais ça m'a quand même fait énormément plaisir. On est amies depuis si longtemps que je ne me rappelle même plus le jour de notre rencontre. Par contre je me rappelle de milliers d'autres choses. Et toi aussi j'en suis sûre. Toutes ces fêtes qu'on faisait quand on était petites, nos parents à côté. Et toutes ces punitions qu'on a récoltées pour bavardages, c'est pas beau ? Et notre première cigarette, c'était pas un grand moment ? Tu te souviens de la petite emmerdeuse qui nous faisait la morale parce que c'était pas bien de fumer, comment on l'avait envoyée bouler ! Le pire c'est qu'elle avait raison… Il faudra qu'on arrête un jour, on s'aidera si tu veux.
Maintenant que je suis à Paris, c'est là que je me rends compte l'importance de tout ça. Des gars comme Mathieu t'en verras bien d'autres, ça pullule sur cette terre. Mais une amie comme moi t'en auras pas deux. Hou la c'est prétentieux ce que je dis. Mais tu comprends bien, d'ailleurs je me demande pourquoi je te le dis, tu le sais déjà.
Tu as l'impression que personne ne peut te comprendre. Je te jure que si. Ecoute la voix de James Brown dans une chanson triste, tu vas voir si tu es la seule à en baver ! Même à l'autre bout du monde, même il y a longtemps, même un homme, a déjà ressenti la même chose. J'espère que tu viendras à Paris, je te présenterai David. Mais attention, il faudra pas me le piquer ;) Enfin je suis mal placée pour dire ça…
Voilà. Je prends le train pour la capitale ce soir.

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