Si je ne fais
pas des cauchemars toute la nuit, c'est que je
suis très forte dans ma tête. Je
viens de terminer la lecture de 300 pages de tueries,
de massacres, de viols et de tortures. Et le pire
c'est que c'était passionnant. Je pensais
que je ne lirais rien de plus dur que Pendu à
Auschwitz, eh bien non, c'était de la rigolade
à côté de L'Oiseau bariolé,
que j'ai terminé aujourd'hui. Horrible.
L'histoire d'un petit garçon pendant la
seconde guerre mondiale. Au début, la vieille
femme qui le garde prend feu. Ensuite un fermier
arrache les yeux d'un jeune homme à l'aide
d'une cuiller. Puis une femme se fait bastonner
par les villageoises à coups de râteau
: elles lui enfoncent une bouteille dans le vagin
puis lui donnent des coups de sabot dans le ventre
pour briser le verre à l'intérieur.
Et ce n'est qu'un petit avant-goût de ce
qui suit
Et le pire c'est que c'est une
histoire vraie. Donc si je ne fais pas des cauchemars
toute la nuit, c'est que je suis très forte
dans ma tête.
Mais mine de rien, ça remet les idées
en place vis-à-vis de la guerre, dont il
est beaucoup question en ce moment. Tout le monde
parle de Bush et de l'Irak. Les gens parlent de
la guerre comme ils parleraient de chaussettes
ou de cinéma. Il faut dire que c'est passionnant
quand
ça se passe ailleurs. Mais après
cette lecture, me dire que peut-être certains
petits Irakiens qui n'ont rien demandé
à personne vont vivre quelque chose de
semblable au héros du bouquin, ça
me rend un peu triste. Un peu seulement, car je
suis comme tout le monde, je ne vais pas non plus
être désespérée pour
quelque chose qui ne me concerne pas directement.
Quoique
il y a certaines choses qui me mettent
la larme à l'il rien que d'y penser.
Ce n'est pas vraiment de la tristesse, mais plutôt
de l'émotion tendre, quelque chose qui
fait appel à des souvenirs ou je ne sais
quoi d'enfoui au fond de moi, et qui ressort le
temps d'une chanson ou d'un roman. C'est à
la fois réel et imaginaire. En parlant
de guerre, je vais raconter une anecdote vécue
par ma grand-mère.
1943. Les Allemands occupent la ville depuis plusieurs
années. Ceux qui ne les aiment pas mais
qui n'osent pas résister s'écrasent,
parce qu'ils ont une maison à garder, ou
bien une famille à nourrir, enfin ils ont
plein de bonnes raisons pour s'écraser.
Ce qui ne les empêchera, après la
guerre, d'affirmer qu'ils n'ont jamais collaboré.
Un jour une petite équipe d'Allemands tombe
en panne de voiture. Comme tout le monde il s'en
vont la faire réparer au garage du coin.
Le garagiste fait son boulot : il y a une voiture
à réparer, il la répare.
Que le client soit allemand ou français,
pour lui ça ne fait pas de différence.
Ou peut-être que ça en fait une,
mais il n'a pas le droit de refuser, les autres
seraient capables de le faire enfermer pour ça.
Le garagiste est quelqu'un de simple et aimable,
ma grand-mère l'aime beaucoup, le gars
n'a jamais fait de mal à une mouche. Et
puis la guerre se termine, un ou deux ans après,
et la ville est libérée. Comme partout
en France, c'est la joie dans les villes. Les
résistants, les vrais, ne sont pas encore
revenus du maquis, alors ce sont les nouveaux
résistants, ceux qui ont fermé leur
gueule pendant quatre ans et qui se jettent dans
le combat au moment où l'ennemi est parti,
qui s'occupent de régler leur compte aux
collaborateurs. Evidemment les vrais collaborateurs
se méfient, ils sont difficilement accessibles,
alors on s'en prend aux faux, ceux qui dans le
fond n'étaient pas bien méchants.
Par exemple les femmes qui ont osé (honte
à elles) coucher avec un allemand : on
leur rase le crâne. Et puis on se rappelle
du garagiste. On va le chercher chez lui, on le
tire de sa maison et on le conduit jusqu'au tribunal.
Lui il ne comprend rien, le seul crime dont on
l'accuse c'est d'avoir fait son travail. La foule
l'insulte et le hue, certains lui tirent les vêtements
en le traitant de salaud. Et lui il est tout pal
le pauvre, il ne sait plus où se mettre.
Cinquante ans après, ma grand-mère
me raconte encore cette histoire. Elle en avait
été malade de le voir ainsi maltraité,
ce pauvre bonhomme
Eh oui
les gens
sont capables du meilleur comme du pire. Je vais
rajouter mon grain de sel à cette histoire.
Tous ces gens qui sont allés le tirer de
chez lui à la libération, puisqu'ils
étaient si courageux, eux, pourquoi ne
l'ont-ils pas fait avant, quand les Allemands
étaient encore là ? Pourquoi les
imbéciles qui ont tondu le crâne
des femmes n'ont rien fait pendant les quatre
années d'occupation ? Parce que c'était
des merdes, des moins que rien, des lâches.
Sans vouloir être mauvaise langue, j'ai
l'impression qu'il y en a plus qu'on croit. Je
me dis que si ça se trouve, le voisin que
je croise tous les jours et qui a l'air si gentil,
toujours souriant, serait capable des crimes les
plus odieux si sa vie était en danger.
Moi-même, je ne sais pas comment je réagirais.
Renaud a bien raison de dire qu'il n'y a pas beaucoup
de Jean Moulin.
Mon cousin est rentré sur Poitiers pour
une semaine. Oui, il est en pseudo-vacances. Pseudo
seulement car en fait il a quelques cours la semaine
prochaine. Mais très peu car c'est la reprise
entre deux semestres, enfin un truc dans le genre
je n'ai pas très bien compris et peu importe.
Je vais peut-être rentrer sur La Rochelle,
mais je voudrais attendre lundi. Eh oui, à
vrai dire j'espère ne pas rentrer, ça
va dépendre des deux jours qui viennent.
J'ai décidé de passer à l'acte
avec David. Ca fait très Hélène
et les garçons, " passer à
l'acte ", mais je ne trouve pas d'autres
expressions. A mon avis, c'est dans la poche.
C'est très optimiste ce que je dis et je
vais peut-être tomber de haut, mais je n'arrive
pas m'imaginer qu'il ne veuille pas de moi. En
tous cas il a intérêt ! J'ai envie
de m'amuser moi ! Quoique vues mes dernières
expériences j'aurais peut-être mieux
fait de rester toute seule.
Je suis étonnée d'avoir autant confiance
en moi. En fait je ne me mets pas trop la pression,
je me dis que s'il ne veut pas eh bien je rentrerai
passer une semaine à La Rochelle, je retrouverai
là-bas ma mère, mon petit frangin
et surtout Noémie. Je suis pressée
de la revoir. Je lui ai écrit une nouvelle
lettre, cette fois-ci un peu plus détaillée
que la première. Mais si tout se passe
bien, je vais passer une semaine de rêve
!

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