Aujourd'hui je
suis retournée à Jussieu, cette
fantastique université de béton
et de ferraille en plein cur de Paris. Elle
n'a pas changé depuis la semaine dernière
: toujours aussi moche. Mais bon, je ne suis pas
allée là-bas pour l'admirer, j'y
suis allée parce que j'avais rendez-vous
avec mon cousin et ses collègues étudiants.
Je me suis donc pointée à Jussieu
vers trois heures de l'après-midi, au point
de rencontre fixé à l'avance. Et
j'ai retrouvé là-bas mon cousin
et ses acolytes, et surtout David. D'ailleurs
c'est bizarre, depuis que j'ai parlé de
David dans mon journal hier soir, je ne le vois
plus de la même façon. Et ça
m'énerve. Maintenant que j'ai (presque)
avoué que j'étais (presque) amoureuse,
ou du moins intéressée, voilà
qu'il m'intimide et que quand je lui parle je
cherche mes paroles. Je ne suis plus naturelle
avec lui, c'est fou, il ne s'est pourtant rien
passé d'exceptionnel
Mais chaque
chose en son temps, j'en étais à
mon rendez-vous.
Les étudiants avaient une pause jusqu'à
quatre heures, à la suite de quoi ils avaient
un cours de maths, auquel j'ai assisté.
Eh oui, quand on se tourne les pouces à
longueur de journées, on finit par faire
les choses les plus incroyables, comme par exemple
assister à un cours auquel on n'a rien
à voir. Je n'ai pas grand chose à
raconter à propos de la pause. Je me suis
ennuyée, ils ne parlaient que de leurs
études, je ne pouvais donc pas en placer
une. D'ailleurs j'ai bien failli m'en aller, mais
mon cousin a insisté pour que j'assiste
au cours de maths, selon lui ça allait
être grandiose, et ce serait une bonne expérience
pour moi, pauvre lycéenne de Province.
Mais moi j'avais peur d'être remarquée
par le professeur, étant donné que
je n'avais rien à faire là. Et puis
j'en avais assez de ces étudiants si ennuyeux
Bon
je me suis laissée convaincre
et j'ai assisté au cours. Et j'ai bien
fait !
Ah la la c'était merveilleux. Je n'aurais
jamais cru pouvoir prendre tant de plaisir avec
un cours de maths. David était à
ma gauche et on a rigolé pendant une heure
et demi.
Effectivement je ne risquais pas d'être
remarquée par le prof : on était
plus d'une centaine dans l'amphithéâtre.
C'est énorme, j'étais impressionnée.
Mais tout comme dans une classe, j'ai remarqué
qu'au premier rang s'asseyaient les élèves
très sérieux, qui ne ratent pas
une parole du prof et passent leur temps à
gratter leur papier de notes, et au fond les glandeurs
qui ne fichent rien. Et au milieu, la masse des
élèves qui écoutent le prof
d'une oreille et leur voisin de l'autre. Nous
on était au milieu.
C'était le gros bazar. Enorme ! Tout le
monde ou presque discutait. Le prof était
tout maigre et tout nerveux. Oui, tout maigre.
Comme dit David " y vaudrait mieux pas qu'il
se choppe une pneumonie, sinon il meurt ".
Eh eh
Et tout nerveux. Oui, il bougeait
dans tous les sens, comme chargé d'électricité.
Une vraie petite boule de nerfs. Quoi que dans
son cas le mot " boule " n'est pas très
bien choisi. Je devrais plutôt dire une
vraie petite baguette de nerfs. Un criquet, en
fait.
Avec David on a parlé du début à
la fin. Il m'a sorti tout un tas de blagues de
Coluche que je ne connaissais pas, il faut dire
que je ne connais presque pas Coluche. Alors pour
moi c'était nouveau et terriblement marrant.
Notamment une réflexion sur Daniel Gérard.
Qui est Daniel Gérard ? Je ne sais pas,
apparemment un chanteur de la même époque
de Coluche, qui avait peu de talents et peu de
succès, et qui se la jouait western. Et
Coluche aurait dit de lui : " Il avait le
choix entre le talent et le chapeau de Bob Dylan
: il a choisi le chapeau. " Explosée
de rire !
A un moment le prof a piqué sa gueulante
: " Ouiiiii ! Au premier cours on entendait
une mouche voleeeeeeer ! Maintenant c'est le bordeeeeeeeeel
! Et le bruit augmente de manière exponentielle
! " Oh l'autre tout de suite les grands mots
! Exponentielle ! Pourquoi pas logarithmique tant
que tu y es ! Ah la la, quel comique ce prof.
Il a terminé par " Je ne suis pas
là pour faire le policier ". Wow !
Super la réplique ! Je l'ai au moins entendue
vingt fois depuis que je suis au collège.
Pendant qu'il criait le silence est revenu. Puis
le cours a repris. Le boucan aussi. De manière
exponentielle.
En plus son cours était un vrai torchon.
Il parlait très vite, écrivait tout
petit, un coup à droite du tableau, un
coup à gauche, puis au milieu, puis vas-y
que je reviens à gauche
A un moment,
la fille qui était derrière moi
a posé sa main sur mon épaule pour
me demander ce qu'il y avait d'écrit en
haut à droite du tableau. Hou la
Joker ! Non seulement je n'arrivais pas à
déchiffrer, mais en plus je ne savais même
pas de quoi on parlait. Et en plus je m'en foutais.
J'ai essayé de lire pour lui faire plaisir,
puis David est venu à mon aide. Il a froncé
les yeux pour essayer de déchiffrer à
son tour en disant à la fille " y
a écrit ceci
non cela
non ?
si ? Beh désolé chuis à la
rue
" C'est clair qu'il était
à la rue. Il n'a pas plus écouté
que moi. Et pourtant il était concerné,
lui.
Hélas, même les meilleures choses
ont une fin et le cours s'est terminé,
le prof épuisé, les élèves
heureux, sauf ceux du premier rang qui avaient
mal aux doigts à force d'écrire.
Et voilà
J'ai vraiment adoré.
Si bien que j'ai déjà l'impression
que c'est un lointain souvenir auquel on repense
tendrement
Hier, vous êtes plus d'un demi-millier à
m'avoir lue. Je vous aime. Smack ! (bruit du bisou)
Allez, je me déconnecte. Zioup ! (bruit
de la déconnexion)
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