journal intime
96 _ Mercredi 5 février 2003

En cours

Aujourd'hui je suis retournée à Jussieu, cette fantastique université de béton et de ferraille en plein cœur de Paris. Elle n'a pas changé depuis la semaine dernière : toujours aussi moche. Mais bon, je ne suis pas allée là-bas pour l'admirer, j'y suis allée parce que j'avais rendez-vous avec mon cousin et ses collègues étudiants.
Je me suis donc pointée à Jussieu vers trois heures de l'après-midi, au point de rencontre fixé à l'avance. Et j'ai retrouvé là-bas mon cousin et ses acolytes, et surtout David. D'ailleurs c'est bizarre, depuis que j'ai parlé de David dans mon journal hier soir, je ne le vois plus de la même façon. Et ça m'énerve. Maintenant que j'ai (presque) avoué que j'étais (presque) amoureuse, ou du moins intéressée, voilà qu'il m'intimide et que quand je lui parle je cherche mes paroles. Je ne suis plus naturelle avec lui, c'est fou, il ne s'est pourtant rien passé d'exceptionnel… Mais chaque chose en son temps, j'en étais à mon rendez-vous.
Les étudiants avaient une pause jusqu'à quatre heures, à la suite de quoi ils avaient un cours de maths, auquel j'ai assisté. Eh oui, quand on se tourne les pouces à longueur de journées, on finit par faire les choses les plus incroyables, comme par exemple assister à un cours auquel on n'a rien à voir. Je n'ai pas grand chose à raconter à propos de la pause. Je me suis ennuyée, ils ne parlaient que de leurs études, je ne pouvais donc pas en placer une. D'ailleurs j'ai bien failli m'en aller, mais mon cousin a insisté pour que j'assiste au cours de maths, selon lui ça allait être grandiose, et ce serait une bonne expérience pour moi, pauvre lycéenne de Province. Mais moi j'avais peur d'être remarquée par le professeur, étant donné que je n'avais rien à faire là. Et puis j'en avais assez de ces étudiants si ennuyeux… Bon… je me suis laissée convaincre et j'ai assisté au cours. Et j'ai bien fait !
Ah la la c'était merveilleux. Je n'aurais jamais cru pouvoir prendre tant de plaisir avec un cours de maths. David était à ma gauche et on a rigolé pendant une heure et demi.
Effectivement je ne risquais pas d'être remarquée par le prof : on était plus d'une centaine dans l'amphithéâtre. C'est énorme, j'étais impressionnée. Mais tout comme dans une classe, j'ai remarqué qu'au premier rang s'asseyaient les élèves très sérieux, qui ne ratent pas une parole du prof et passent leur temps à gratter leur papier de notes, et au fond les glandeurs qui ne fichent rien. Et au milieu, la masse des élèves qui écoutent le prof d'une oreille et leur voisin de l'autre. Nous on était au milieu.
C'était le gros bazar. Enorme ! Tout le monde ou presque discutait. Le prof était tout maigre et tout nerveux. Oui, tout maigre. Comme dit David " y vaudrait mieux pas qu'il se choppe une pneumonie, sinon il meurt ". Eh eh… Et tout nerveux. Oui, il bougeait dans tous les sens, comme chargé d'électricité. Une vraie petite boule de nerfs. Quoi que dans son cas le mot " boule " n'est pas très bien choisi. Je devrais plutôt dire une vraie petite baguette de nerfs. Un criquet, en fait.
Avec David on a parlé du début à la fin. Il m'a sorti tout un tas de blagues de Coluche que je ne connaissais pas, il faut dire que je ne connais presque pas Coluche. Alors pour moi c'était nouveau et terriblement marrant. Notamment une réflexion sur Daniel Gérard. Qui est Daniel Gérard ? Je ne sais pas, apparemment un chanteur de la même époque de Coluche, qui avait peu de talents et peu de succès, et qui se la jouait western. Et Coluche aurait dit de lui : " Il avait le choix entre le talent et le chapeau de Bob Dylan : il a choisi le chapeau. " Explosée de rire !
A un moment le prof a piqué sa gueulante : " Ouiiiii ! Au premier cours on entendait une mouche voleeeeeeer ! Maintenant c'est le bordeeeeeeeeel ! Et le bruit augmente de manière exponentielle ! " Oh l'autre tout de suite les grands mots ! Exponentielle ! Pourquoi pas logarithmique tant que tu y es ! Ah la la, quel comique ce prof. Il a terminé par " Je ne suis pas là pour faire le policier ". Wow ! Super la réplique ! Je l'ai au moins entendue vingt fois depuis que je suis au collège. Pendant qu'il criait le silence est revenu. Puis le cours a repris. Le boucan aussi. De manière exponentielle.
En plus son cours était un vrai torchon. Il parlait très vite, écrivait tout petit, un coup à droite du tableau, un coup à gauche, puis au milieu, puis vas-y que je reviens à gauche… A un moment, la fille qui était derrière moi a posé sa main sur mon épaule pour me demander ce qu'il y avait d'écrit en haut à droite du tableau. Hou la… Joker ! Non seulement je n'arrivais pas à déchiffrer, mais en plus je ne savais même pas de quoi on parlait. Et en plus je m'en foutais. J'ai essayé de lire pour lui faire plaisir, puis David est venu à mon aide. Il a froncé les yeux pour essayer de déchiffrer à son tour en disant à la fille " y a écrit ceci… non cela… non ? si ? Beh désolé chuis à la rue… " C'est clair qu'il était à la rue. Il n'a pas plus écouté que moi. Et pourtant il était concerné, lui.
Hélas, même les meilleures choses ont une fin et le cours s'est terminé, le prof épuisé, les élèves heureux, sauf ceux du premier rang qui avaient mal aux doigts à force d'écrire. Et voilà… J'ai vraiment adoré. Si bien que j'ai déjà l'impression que c'est un lointain souvenir auquel on repense tendrement…
Hier, vous êtes plus d'un demi-millier à m'avoir lue. Je vous aime. Smack ! (bruit du bisou) Allez, je me déconnecte. Zioup ! (bruit de la déconnexion)

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