journal intime
94 _ Lundi 3 février 2003

Mes interdits

Si j'ai rarement parlé de Dieu dans mon journal, c'est que j'ai peu de choses à dire à son sujet. Certains lui consacrent des bouquins entiers, mais moi j'ai bien du mal à m'en arracher quelques lignes. Et pourtant, pendant plusieurs années, toute ma vie a tourné autour de Dieu.
J'en ai déjà parlé un peu, il y a quelques mois, mais je n'ai pas tout dit. Certaines choses sont si intimes qu'on a bien du mal à les raconter, même en anonyme, même à des inconnus, même à soi-même. Mais aujourd'hui je vais le faire, suite à un petit événement vécu cet après-midi. Rien d'exceptionnel, mais il faut que j'en parle.
J'ai dix-sept ans, j'ai donc été enfant, puis adolescente, et on peut considérer que je suis aujourd'hui adulte. Mais le passage de l'enfance à l'adolescence n'a pas été facile, loin de là. Et c'est à ce moment-là que Dieu est entré dans ma vie, je ne sais pas pourquoi, je n'ai pourtant pas reçu une éducation spécialement religieuse, mais j'ai lu de moi-même les missels et autres bibles, et j'étais obsédée par ces lectures. Il y a des choses magnifiques dans la Bible, mais si on la lit de travers, comme je l'ai fait moi, ces choses magnifiques peuvent être extrêmement dangereuses.
Vers les douze ans, j'ai commencé à ressentir mes premières pulsions sexuelles. Mais le problème, et c'était un très gros problème, c'est que j'étais attirée par les filles. Il paraît que c'est normal, que c'est une peur du sexe opposée, qui passe avec le temps. D'ailleurs elle est passée, effectivement. Mais moi je le vivais très mal à l'époque. Ca a commencé avant l'adolescence, déjà à la primaire j'adorais être assise à la même table qu'une fille avec qui je n'avais pourtant aucune affinité. Mais ça s'est amplifié avec les années. Je le sais bien, il faut s'accepter tel qu'on est. Si je n'avais pas cru en Dieu je l'aurais certainement accepté, mais là pour moi c'était un horrible péché que d'être attirée par les filles. Je m'en voulais à mort. Parce que non seulement je croyais en Dieu, mais j'y croyais selon une tradition " moyen-âgeuse ", extrémiste. Par exemple, j'étais persuadée qu'un Juif ou un Arabe n'avait aucune chance de monter au Ciel, de même qu'un homosexuel. Alors je m'en voulais, je culpabilisais et j'avais tellement honte que je n'osais en parler à personne, même pas à ma sœur.
Cela c'était la première partie du problème, mais il y en avait une deuxième, aussi terrible que la première. Quand j'ai ressenti mes premières pulsions, j'avais souvent envie de me toucher, comme tout le monde (enfin je crois). Mais pour moi, cela aussi c'était formellement interdit. Je ne sais pas d'où je tirais ses croyances, ce n'est pas écrit noir sur blanc dans la Bible, mais je crois que je n'entendais que ce que j'avais bien envie d'entendre. Toutes les idées reçues qui courent sur la masturbation je les ai prises pour vraies, en vrac : ça fatigue, ça rend fou, ça donne les mains jaunes, c'est un signe d'impureté, etc etc… Alors je réprimais mes envies. Le soir dans mon lit je mettais parfois des heures à m'endormir et les pensées tournaient à cent à l'heure dans ma tête. Dès que je pensais à une fille je m'efforçais de me concentrer sur autre chose, dès qu'une envie montait je rallumais la lumière, ou bien je faisais une prière à la con, ou que sais-je, c'était infernal. Dans la journée c'était pareil, je m'interdisais de regarder trop longtemps une fille. Putain quelle connerie… Quand j'y repense, je sais parfaitement que c'est justement parce que je m'interdisais de penser aux filles, que justement j'y pensais tout le temps. Un peu comme si vous vous privez de manger un gâteau délicieux, tant que vous n'y aurez pas goûté vous en crèverez d'envie, alors que tout serait réglé si vous satisfaisiez votre faim une bonne fois pour toutes. J'ai vraiment souffert de cela. Et les choses ne faisaient que s'empirer, en parallèle avec la maladie de ma sœur. D'un autre côté je crois que c'est à ce moment-là que j'ai développé mes facultés de concentration, car il m'en a fallu bien souvent pour détourner mes désirs et mes envies pendant toutes ces années…
La mort de ma sœur a tout chamboulé dans ma vie. Mais en bien, pas en mal. Plus ou moins inconsciemment j'ai complètement baissé les bras. Un peu comme si je m'étais dit " putain de vie, j'abandonne tout… " Mais j'ai eu bien raison, c'est la meilleure chose que je faisais depuis des années. En abandonnant tout, j'abandonnais entre autres Dieu, les idées reçues, les " bonnes valeurs ", et en une seconde tous les murs sont tombés. Je ne l'ai pas fait exprès bien sûr, c'est avec le recul que je l'analyse. Mais dès que j'ai eu envie de penser à une fille, je ne me gênais plus. Et surtout… hou… je me suis autorisée à me masturber pour la première fois depuis des années, alors que j'en crevais d'envie à longueur de journées. Je l'ai fait sans culpabiliser, j'ai adoré, c'était formidable. Enfin je n'avais plus de barrière. Géant. Je l'ai fait une fois, deux fois, allez j'ai dû aller jusqu'à dix bonnes séances… et l'envie a disparu. Incroyable. Ca m'a démangé pendant des années, et le jour où je m'y suis autorisée, l'envie a disparu d'elle-même. Comme quoi, il faut vraiment accepter ce qu'on a en nous. Et idem pour les filles, je ne me suis plus privée de rien… et mon attirance pour le même sexe a disparu. Envolée en fumée ! ! ! Et cette année-là j'ai fait l'amour pour la première fois, et c'était merveilleux, parce que justement je n'avais plus aucun complexe. Enfin ça c'est une autre histoire…
Je parlais d'un petit événement en début de texte. Eh bien en fait, mon attirance pour les filles revient de temps en temps, très rarement, une ou deux fois par an à tout casser. C'est incontrôlable, ça survient toujours par hasard. Cet après-midi j'étais en avance au bureau de tabac alors je me suis assise sur une marche pas trop mouillée. Il y avait un groupe de filles pas loin. J'en ai vu une… impossible de détacher mon regard. J'étais paralysée, je ne regardais plus qu'elle, son visage surtout, elle avait l'air heureuse, et rien ne comptait plus pour moi, que cette fille en face de moi. Ca a bien duré dix minutes, avant que le groupe ne s'en aille. J'ai hésité à les suivre, mais je me suis dit que ce serait une attitude bien vicieuse de ma part alors je ne l'ai pas fait. Mais ça m'a drôlement calmée, cette histoire…
La dernière fois que ça m'était arrivé, c'était lors de ma première nuit chez Julie, dans son appartement à Mireuil-La Rochelle. Elle s'était endormie avant moi, et comme je suis toujours très longue à fermer les yeux, je me tournais les pouces à côté, dans le lit. A un moment je l'ai regardée dans la pénombre, et je me suis imaginée en train de faire l'amour avec elle. Pendant une trentaine de secondes. Et d'un seul coup je suis retombée sur Terre et me suis mise à penser à autre chose. Mais ça m'avait bien fait drôle, quand même…
Voilà ce que je voulais dire. J'espère que ce texte n'est pas racoleur, ce n'est pas son but. Un jour un lecteur m'a écrit : " Plutôt que de raconter ta vie, tu ferais mieux de montrer des photos de ton cul, tu aurais plus de monde et ce serait dans le même état d'esprit ". Mouais… Ca se défend, mais je pense que ce serait choisir la solution de facilité.

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