Hier soir, j'ai
rencontré un gars qui a vu l'infini dans
sa main
Eh oui, rien que ça. Et suite
à cette vision, chaque personne qu'il a
rencontrée durant les deux années
suivantes avait une tête de chien ou de
monstre sur les épaules. Je ne sais pas
si ce gars se mentait à lui-même
ou s'il était vraiment allumé, mais
son discours était terrible.
Ca s'est passé chez David. Il m'a téléphoné
pour m'inviter chez lui pour un petit apéro.
J'étais bien contente qu'il m'appelle d'ailleurs,
ça m'a évité de me tourner
les pouces deux jours de suite, contrairement
à la semaine dernière. Et surtout
ça veut dire que ma présence lui
est agréable, ou du moins pas trop déplaisante.
Remarquez, ce week-end j'aurais pu m'en passer
car j'ai ressenti la solitude beaucoup moins fortement
que la semaine dernière. J'aurais presque
pu rester isolée du monde deux journées
entières. Quand il a téléphoné
j'étais allongée sur mon lit tranquillement
et je rêvassais à je ne sais quoi.
Quand je suis sur mon lit mes pensées s'en
vont dans tous les sens et j'ai bien du mal à
les accrocher. Mais j'ai compris pourquoi ça
faisait ça. Quand on est sur le lit, qu'a-t-on
en face des yeux ? Le plafond. Et de quelle couleur
est-il ? Blanc. Blanc comme un écran de
cinéma : il n'y a plus qu'à projeter
des images dessus et elles s'animent d'elles-mêmes,
et si tu restes dix minutes allongé sur
ton lit tu peux regarder le film de ta vie, c'est
beau.
Quand je faisais ça à La Rochelle
et que ma mère passait devant ma chambre,
elle me demandait ce que je faisais. Mais rien
du tout
A quoi je pense ? A rien, à
tout à la fois, c'est un petit mixage de
souvenirs et de projets. En plus hier j'avais
mon bonnet dans la main, je ne sais pas ce qu'il
faisait là d'ailleurs, d'habitude il reste
sur le porte-manteau. Toujours est-il qu'il était
dans ma main et que je m'amusais à l'envoyer
en l'air et à le rattraper, de préférence
en lui faisant toucher le plafond, plus dur, contre-temps,
plus précis, beaucoup plus amusant quand
ça touche le plafond, le bonnet. Le téléphone
a donc sonné.
Je pensais que c'était ma mère,
je ne me pressais pas. Mais j'ai décroché
et c'était David. Il m'a demandé
" t'es toute seule ? " Eh oui
" Tu veux venir chez moi je fais un petit
apéro ? " Et c'est ainsi que je me
suis faite inviter.
Je suis sortie avec mon chien et mon bonnet, traverser
une petite portion de Paris en vingt minutes.
Mais rien qu'en vingt minutes on peut voir des
tas de choses ici, des gaies et des moins gaies.
Comme par exemple les pauvres SDF, qui dorment
dehors par ce temps-là, leur maison dans
un sac Tattie comme le dit Mano Solo. Me voilà
chez David. J'étais la première
et bien contente de l'être. Eh oui, je me
sens toujours plus à l'aise quand il n'y
a qu'une seule personne avec moi, du moins quand
je ne connais pas. Et puis je l'aime bien David,
c'est toujours un plaisir de discuter un peu avec
lui. Et on n'en a pas souvent l'occasion, ce n'était
que la deuxième fois que je me retrouvais
seule avec lui depuis que je suis à Paris.
Toutes les bouteilles étaient prêtes
à être ouvertes sur la petite table.
Les verres aussi étaient installés,
sans oublier bien sûr les cacahuètes
et les pistaches, et les disques. Les cigarettes
par contre, chacun amène son lot. Il m'a
dit " ah j'attendais qu'il y ait au moins
une personne avant d'attaquer l'apéro ".
Eh eh
C'est vrai qu'il a l'air assez porté
sur la boisson. Moi pas. Il m'a servi un fond
de whisky et je n'ai rien bu d'autre de toute
la soirée. Mais rien que le fond de whisky
je l'ai bien senti passer, il faut dire que je
l'ai bu pur, il est descendu dans ma gorge en
laissant une petite brûlure qui m'a calmée
pour au moins cinq minutes. Je ne suis pas prête
de reboire du whisky pur !
On a discuté, c'était chouette.
Il m'a demandé si je ne m'ennuyais pas
trop dans la journée, seule dans l'appartement.
Ben non ça va, j'ai du travail de toutes
façons
Il m'a félicitée
de réussir à tenir le coup avec
les cours par correspondance. A propos de mes
cours, ça se passe plutôt bien, j'ai
eu les premiers retours et mes notes sont bonnes.
Il m'a aussi parlé de mon cousin : "
C'est bien Poitiers comme ville ? Ton cousin il
y rentre tous les week-ends
" Mouais
Il a vu que je n'étais pas très
enthousiaste sur la ville de Poitiers et il a
rajouté " ouais c'est bien ce que
je pensais c'est à chier ". Voilà,
il a bien résumé la situation. Par
contre quand on a causé de La Rochelle,
je ne lui en ai dit que du bien, je crois même
qu'il a paru étonné que je parle
de ma ville avec tellement de passion. Il faut
dire que je n'en ai pas souvent l'occasion, et
que finalement elle me manque un peu
La
ville, ses rues que je connais par cur,
la mer surtout et les beaux bateaux crasseux du
port de commerce, tout cela je ne le vois plus.
La Seine ne vaut pas l'océan atlantique,
loin de là. Il m'a aussi parlé de
lui. David est parisien, un vrai, il est né
dedans et tout. Et ça fait maintenant vingt
et un ans qu'il y vit, il ne l'a jamais quitté,
donc. Oui il a vingt et un ans, je ne suis pas
sûre de l'avoir déjà dit.
Maintenant c'est fait.
En tous cas c'était bien agréable.
Puis sont arrivés les autres, et en particulier
Maxime, ce fameux gars qui a vu " l'infini
dans sa main ". Il m'a bien fait rire celui-là,
même si ce n'était pas volontaire.
Après m'avoir fait la bise il m'a demandé
ce que je faisais dans la vie, j'ai répondu
et je lui ai renvoyé la question. Sa réponse
fut " j'anime ". Ah
Il a poursuivi
" oui je suis en animation, là on
monte un groupe y aura une scène mais bon,
faut que je voie ça avec Mr Untel ".
Quel délire ! Il est complètement
dans son monde ! Je n'ai rien compris à
ce qu'il faisait dans la vie ! David aussi rigolait
en écoutant l'explication et il m'a précisé
" il fait un IUT d'animation en arts et spectacles
". Ah oui c'était déjà
plus clair. Eh eh
Ce Maxime il ne doit pas
y en avoir deux comme lui. Un sacré rêveur
apparemment, ce qui contrastait bien avec David
qui lui, au contraire, n'arrêtait pas de
replacer les choses sur Terre avec ces remarques
bien réalistes, parfois un peu méchantes
mais bon, c'est son humour qui veut ça.
Ainsi Maxime nous a raconté toute sa vie,
j'étais la seule à ne pas la connaître
mais ça amusait les autres, et puis il
y a des gens qui aiment bien raconter leur vie
(je suis bien placée pour le savoir). Ainsi
: " un jour j'ai vu l'infini dans ma main.
Et pour quelques secondes d'infini, pendant deux
ans je savais plus où j'étais. Et
je voyais des têtes de chien et de monstre
sur les épaules des hommes que je croisais
dans la rue ". Eh ben
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