Paris était
bien joli, ce matin au lever du soleil. Il faisait
très froid et je roulais mes cigarettes,
le bout des doigts gelé. J'ai tellement
fumé que j'aurais pu exploser mais j'ai
pris mon pied dans la neige et le froid.
Réveil à 7H00, mais contrairement
à d'habitude je ne me suis pas mise au
travail. J'avais mis le paquet hier, alors aujourd'hui
c'était journée de vacance. C'est
ce que j'ai décidé en me levant.
Je suis donc allée accompagner mon cousin
au métro Saint Lazare avant de partir faire
mon petit tour dans le quartier, histoire d'admirer
Paris au lever du soleil. D'après Dutronc,
Paris s'éveille à 5H00, il faudra
donc que je me lève encore plus tôt
un des ces jours. Parce qu'à 5H00 je dors.
Mais c'est vrai que quelquefois je suis réveillée
par le bruit des voitures, j'entends les gens
s'agiter dehors et j'adore ce moment. Je n'aime
pas dormir dans le noir complet alors je laisse
les volets légèrement entrouverts,
la lumière s'infiltre tranquillement, c'est
doux
J'en aurais presque envie de sucer
mon pouce. Enfin je dis ça mais je n'ai
jamais sucé mon pouce.
Après avoir accompagné mon cousin
au métro, je m'en suis allée balader
mon chien et moi-même du côté
de Printemps, et là je suis entrée
dans un petit bar prendre un café. Eh oui,
ça m'arrive parfois d'entrer seule dans
un café, mais comme dit le proverbe : "
on n'est jamais aussi bien accompagné que
par son chien ". Alors avec Adonis on s'est
trouvé un petit bar et on a commandé
un café. Deux euros trente la tasse, il
avait intérêt d'être bon !
Juste à côté il y avait deux
personnes, un petit jeune qui devait avoir dans
les quatorze ans mais semblait très sérieux,
et un vieux, sans doute de la même famille,
peut-être un oncle, mais en tous cas pas
son père. Ils parlaient et comme je n'avais
rien à faire de mieux je les ai écoutés,
parfois c'est intéressant les conversations
de bistrot, parfois même enrichissant, ou
bien tout simplement distrayant. Mais là
c'était chiant. Le jeune voulait faire,
plus tard, " ingénieur commercial
". C'est de cela qu'ils discutaient. Ca a
quatorze ans et ça veut faire " ingénieur
commercial ". Bon
Il faut dire qu'il
a encore quelques années devant lui, il
a le temps de tomber de haut et de se rendre compte
que ça ne rime à rien, son histoire
d'ingénieur commercial. Attendons qu'il
se prenne un pépin sur le coin de la tête,
qu'il rencontre quelques personnes intéressantes
ou bien qu'il fasse quelques bonnes lectures,
et ça lui remettra les idées en
place.
Moi aussi j'étais pleine de jolis projets
avant. Mais tout est parti en fumée et
aujourd'hui je ne vois rien qui vaille vraiment
la peine d'être vécu. Avant je me
serais bien vue journaliste sans frontières,
genre la fille qui voyage de par le monde, et
qui rédige des reportages pour un journal
ou la radio. C'est nul
Qu'est-ce que j'irais
m'emmerder au bout du monde ? Je suis mieux dans
mon coin à fumer mes cigarettes. Rester
dans son coin à attendre, il n'y a que
ça de vrai.
Après la mort de ma sur j'ai récupéré
tous ses bouquins, et c'est là que j'ai
attaqué Voyage au bout de la nuit, de Louis
Ferdinand Céline. Le titre parle de lui-même
: le héros s'enfonce peu à peu dans
une nuit profonde et sale. Le meilleur bouquin
que j'aie jamais lu. Et après une lecture
pareille, je me dis qu'il est impossible d'attendre
quoi que ce soit de la vie. Tu lis ce roman et
tu arrêtes de te poser des questions, ça
ne sert à rien, tout devient très
clair, tu attends tranquillement que la mort arrive.
Rien ne sert de lutter.
Je me demande où j'en suis dans mon voyage
au bout de la nuit à moi. Parfois je me
plais à penser que je suis déjà
bien en avance, malgré mes petits dix-sept
ans. Mais si ça se trouve je ne l'ai jamais
vraiment commencé ce voyage-là,
je ne suis qu'une gamine qui rêve de jouer
dans la cour des grands mais qui n'en est pas
capable.
Mais ce matin en sortant du bistrot, la balade
que j'ai faite ressemblait vraiment à un
voyage au bout de la nuit. Surtout quand je me
suis assise sur une marche devant une porte et
que j'ai commencé à me rouler mes
clopes. Pourtant j'avais presque arrêté
de fumer, je tourne à quatre ou cinq par
jour depuis que je suis à Paris, c'est
presque un exploit et ce ne fut pas sans mal.
Mais ce matin je me suis lâchée et
à aucun moment je n'ai culpabilisé.
Mais alors pas du tout, bien au contraire.
Je roulais, le bout des doigts gelés, je
fumais, je laissais tomber le mégot dans
une flaque d'eau et de glace à mes pieds,
et le petit pshhhhit que ça faisait m'amusait.
Et je n'arrêtais plus de fumer. Au bout
d'une heure j'avais la gorge piquante, les poumons
pris et un petit mal de cur. Mais c'était
tellement agréable
Paris sous la neige ce n'est pas souvent paraît-il.
Mais les Parisiens ne m'ont pas semblé
plus attentifs au décor que d'habitude.
Il faut dire que quand on s'en va travailler huit
heures de rang on apprécie moins les choses
que quand on n'a rien à faire de sa journée.
De toutes façons avec toutes ces voitures,
la neige était noire et dégueulasse.
Mais moi j'aime bien. Je commençais à
avoir sérieusement mal au cur avec
toute cette fumée, mais je ressentais comme
de la jouissance. Pendant une heure je me suis
détruite, mais j'ai pris mon pied, comme
si ça me faisait plaisir. Si je réfléchis,
je me dis que c'est peut-être parce qu'on
ne peut détruire que ce qui est vivant,
et que donc en me détruisant je me sentais
vivante, d'où le plaisir que j'ai éprouvé.
Mais là je fais de la psychologie de supermarché.
Si je continue comme ça je serai bonne
pour me faire embaucher comme journaliste à
Psychologies Magazine. Etre payée à
raconter des conneries aux gens, voilà
un joli métier.
A part ça me voilà de nouveau toute
seule, mon cousin est encore rentré à
Poitiers-les-bains pour le week-end, et moi j'ai
passé ma journée à hésiter.
Je rentre ? Je rentre pas ? Et finalement à
force de me questionner, le soir est arrivé
et le choix s'imposait de lui même : je
rentre pas. Bah
j'espère que ce sera
moins dur que le week-end dernier.
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