Ce matin dans
le métro, il y avait un aveugle qui passait
de la musique sur un pauvre vieux magnétophone.
Il était adossé au mur, très
droit, ses yeux étaient fixés devant
lui, et son visage était totalement inexpressif.
Des milliers de Parisiens passaient devant sans
même lui adresser un regard. Finalement
ils étaient aussi aveugles que lui. La
différence entre un mendiant aveugle et
un mendiant tout court, c'est qu'avec l'aveugle
on n'est pas obligé de faire semblant d'être
gêné quand il demande la charité.
Les gens lui passaient devant comme si ça
avait un poteau de plus.
Il était 7H30, l'heure de l'embauche, et
j'attendais dans ce couloir de métro avec
David, chez qui j'ai passé la nuit. La
voix qui sortait du magnétophone était
celle de Brassens. Ca me faisait chaud au cur,
il y avait un bon moment que je ne l'avais plus
entendue. Mais cette voix si pétillante
était bien incongrue, dans ce couloir si
froid et si mécanique. Et même la
voix de Brassens, tout le monde s'en foutait.
L'aveugle était figé comme une statue,
son bras tendu avec une timbale au bout, pour
accueillir les quelques pièces, la canne
blanche à côté de lui, et
un brave chien couché à deux pas.
A un moment, une dame a enfin daigné mettre
une pièce dans la timbale en fer, ça
a fait un petit " dong " et là,
incroyable, l'aveugle a clamé très
fort " Merci ! ! ! " Je n'en revenais
pas. Sa voix était aussi pétillante
que celle de Brassens, elle résonnait fort,
pleine de vie, quel paradoxe avec son corps et
son visage immobiles ! Sa voix était magnifique
et le " merci ", c'était pas
juste pour la forme, on sentait qu'il venait du
fond de son ventre. Ca m'a vraiment remuée.
En plus le matin je suis toujours plus sensible
que le soir, sans doute parce que je suis encore
un peu plongée dans les rêves de
la nuit, qui entre parenthèses étaient
très beaux cette fois-ci. Je me suis dit
que finalement cet aveugle était bien la
personne la plus vivante parmi tous ces milliers
de gens pressés.
Avec David, on attendait mon cousin qui devait
nous rejoindre d'un moment à l'autre. Il
est arrivé, on a pris la direction de notre
quai de métro, et en passant devant l'aveugle
j'ai mis une petite pièce. Et j'ai eu droit
à mon tour au " merci ! ! ! "
enchanté. S'il savait, ce Monsieur, que
cette petite pièce que je lui ai donnée
est ridicule à côté du bonheur
qu'il venait de me procurer !
Nous voilà à Jussieu, l'Université.
Toujours aussi moche. Non, elle est même
de plus en plus moche, mais ça vient peut-être
de moi. Comment a-t-on pu bâtir une horreur
pareille ? C'est grand, c'est froid, du fer et
du béton, des cages d'ascenseurs, des escaliers,
une tour carrée au milieu, et des milliers
d'étudiants qui fourmillent joyeusement
ou tristement, selon leur humeur. Je sais bien
que c'était la mode à l'époque,
de construire tout droit et tout carré,
que c'était rapide, que ça répondait
à un besoin urgent de locaux et de logements.
Mais certains vont jusqu'à dire que c'était
de l'art. Oui, ces gros bâtiments géométriques
qui se sont construits un peu partout, certains
ont osé qualifier cela d'art. Avec des
précurseurs, genre Le Corbusier. Celui-là,
il a pondu ces horreurs un peu partout dans le
monde. On dit que c'était un architecte
révolutionnaire. Sans déconner,
ce n'est pas parce que c'est nouveau que c'est
révolutionnaire. J'ai eu la chance inouïe
de visiter une maison conçue par Le Corbusier.
C'était moche, froid, sans vie. Un peu
comme Jussieu à l'échelle d'une
maison.
J'avais emporté mes cours avec moi, mon
intention était de travailler à
la bibliothèque de la fac. Mais mon cousin
et David m'ont conseillé plutôt de
me trouver une petite salle tranquille à
un étage. Ce serait moins loin, plus silencieux,
et plus propice au travail. David m'a donc accompagnée
jusqu'à l'une de ses petites salles de
classe. On a emprunté un ascenseur (agréablement
intégré dans un gros pilier rouge),
et nous voilà rendu au dernier étage.
Le couloir n'était pas désert, mais
on sentait que les personnes qui traînaient
là, des profs et des étudiants,
n'étaient que de passage. On s'est choisi
une petite salle plus ou moins au hasard, on est
rentré à l'intérieur et ce
fut la cérémonie des adieux entre
David et moi. On s'est embrassé cinq minutes
et il est parti.
Je me suis assise à une table au fond et
me suis mise au travail. J'ai eu un petit peu
de mal à me concentrer au début,
mais une fois dans ma lancée j'ai plutôt
bien travaillé. Je n'ai même pas
vu le temps passer.
A dix heures passées la porte s'est ouverte
: c'est David qui venait me rendre visite pendant
son quart d'heure de pause. Il est venu derrière
moi et m'a massé les épaules, c'était
agréable. Puis il s'est assis juste à
côté et ce fut la cérémonie
des retrouvailles. La porte de la salle était
fermée. On s'est levé, on est allé
s'embrasser dans un coin pendant dix minutes.
Et on se caressait aussi. Le fait de savoir qu'à
n'importe quel moment une personne pouvait entrer,
par hasard, me rendait toute chose. Nos vêtements
d'en haut étaient en vrac car on se caressait
directement la peau, en passant par-dessous les
vêtements. Heureusement que la pause était
de courte durée, qui sait jusqu'où
nous serions allés autrement. Non, je n'aurais
quand même pas fait ça dans cette
salle
A moins que la porte ne soit fermée
à clé, mais je ne sais pas si c'était
possible.
Puis ce fut la nouvelle cérémonie
des adieux, David est reparti et je me suis replongée
dans mes devoirs. Et ça m'a pris un peu
plus de temps pour retrouver la concentration
après ces petites émotions bien
agréables
Le reste des évènements n'a pas
grand intérêt, je les garde pour
moi. Ce soir, il y a apéro ici, à
l'appartement.
Je viens de relire mon texte d'hier, et je me
demande si c'est très correct ce que j'ai
fait. J'ai quand même recopié une
lettre que m'a envoyée Julie. Cette lettre
elle l'a écrite pour moi, je ne sais pas
si j'ai bien le droit, vis-à-vis d'elle,
de la balancer ainsi sur mon site. En même
temps, ce courrier était très important
et je ne vois pas comment j'aurais pu faire autrement
que de le retranscrire. Je ne sais pas.
J'ai ajouté un petit gadget
pour faire joli dans le menu à gauche.
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de mon journal à vos z'amis. N'hésitez
pas à l'utiliser, il est là pour
ça.
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