L'enterrement
de ma sur a eu lieu quelques jours plus
tard. Il y avait beaucoup de monde, toute la famille,
tous ces gens qui avaient suivi de plus ou moins
près son agonie. Parmi ceux qui l'avaient
suivie de près il y avait ma grand-mère
par exemple, qui jusqu'au bout aura été
très présente dans la lutte.
Et parmi ceux qui l'avaient suivi de loin il y
avait ma tante Sabine, qui autrefois avait dit
à mes parents en parlant de ma sur
" Qu'est ce qu'elle est mal élevée
cette petite ! " Il faut être stupide
pour dire une chose pareille. C'est vrai qu'étant
petite ma sur était hyper-active
et très turbulente, et que mes parents
devaient installer des barrières autour
de la caravane, dans les campings, pour l'empêcher
de s'échapper. Mais j'aurais bien voulu
voir ce qu'elle aurait fait, ma tante, avec une
enfant pareille.
Enfin peu importe.
Quand je repense à tout ça, je me
dis que tout est allé très vite.
Quatre années, pourtant, presque le quart
de ma vie
Mais j'ai l'impression que c'est
un ouragan qui s'est abattu sur notre famille
et qui a tout ravagé en l'espace de quelques
secondes. Du jour au lendemain, plus rien ne ressemblait
à rien. Comme dit Renaud, après
l'enfance c'est quasiment fini. Quelquefois je
me dis que c'est vrai, finalement je n'ai été
heureuse que les onze premières années
de ma vie. Tout le reste c'est du détail.
Bien sûr il y eut des bons moments, des
choses qu'il faut être plus âgé
pour apprécier, comme écouter Brel
pour la première fois, ou bien faire l'amour
Et bien sûr je me dis que j'ai encore plein
de choses à découvrir, avoir un
gosse par exemple, ça doit être magnifique.
Mais tout ça ce n'est rien, au bout de
compte. Moi je veux juste que ma sur revienne,
et arrêter le temps tant qu'il n'est pas
trop tard, tant que je suis encore jeune. J'espère
mourir vielle et heureuse, mais j'ai des doutes
là-dessus.
Car ma sur je ne l'ai pas oubliée,
loin de là. Elle est au fond de moi, quoi
que je fasse je sens ses yeux qui me regardent.
Quand je suis heureuse j'ai une petite pensée
pour elle, et quand je suis triste c'est pareil.
L'autre jour, quand on s'est embrassé avec
Mathieu, je m'en voulais à mort, j'en étais
malade. D'une part parce que je pensais à
tout le mal que je faisais à Noémie,
mais aussi, et peut-être surtout, parce
que dans mon esprit je vois ma sur qui me
regarde, et qu'elle n'a pas dû être
bien fière de moi sur ce coup-là
J'aimerais vraiment qu'elle soit fière
de moi. Bah je sais bien qu'elle n'existe plus,
je ne crois pas en Dieu, mais quand même
ça fait du bien de s'imaginer, pendant
quelques minutes, que tout ça c'est pas
des conneries et que quand ma sur est morte
elle est montée là-haut. Je l'imagine
très bien arriver près du bon Dieu,
avec son corps et son visage d'enfant, et aller
directement au paradis. C'est vrai qu'elle nous
a fait souffrir, qu'elle a parfois été
très méchante, mais dans le fond
elle était adorable.
Je pense très souvent à elle. Dans
mon esprit elle a son beau visage, je veux dire
celui d'avant qu'elle soit si maigre. J'ai la
mémoire trop pleine, il faudrait m'en amputer
une partie. Je repense par exemple aux dix jours
magnifiques passés chez mes grands-parents
quand mes parents étaient au Maroc. Elle
avait fumé une petite branche d'arbre !
Bah je l'ai déjà raconté
tout ça, mais pour moi c'est inoubliable.
Ce sont des trucs tout bêtes, une autre
fois on était toutes les deux et on avait
entrepris de couper l'herbe du jardin qui était
très haute. On s'était frayé
un chemin à travers toutes ces herbes,
comme dans une jungle
Je devais avoir cinq
ans, c'est une image que j'ai encore bien dans
les yeux, tout comme plein d'autres.
Et un ouragan a tout ravagé. Un jour ma
sur s'est mise à vomir ses repas,
et quelques jours plus tard elle est morte. Et
pourtant ça a duré quatre ans. Tout
a changé pendant ces quatre années.
Ma mère, autrefois si facilement angoissée
et inquiète, plus rien ne peut la perturber
aujourd'hui. La terre se mettrait à trembler
qu'elle garderait tout son calme. Et je ne vois
pas ce qui pourrait la rendre malheureuse. Mon
père, autrefois barbare de la communication,
est devenu quelqu'un qui sait écouter les
autres, et surtout ses enfants. Quelqu'un de beaucoup
plus calme, et pourtant il avait de la marge.
Quant à moi, ben je ne suis définitivement
plus une enfant. J'ai pris un sacré coup
de vieux dans cette histoire. Tout plein de choses
ne m'amusent plus du tout.
C'est pas juste, pourquoi est-ce que ça
nous est arrivé à nous ? J'aurais
préféré que ça tombe
dans la maison d'à côté, moi
Oui, que ce soit la fille des voisins qui meurt,
et que nous en l'apprenant on se serait dit "
ah c'est un coup dur pour eux ", et puis
on l'aurait oublié juste après.
On serait allés à l'enterrement
pour la forme, énervés de perdre
une matinée. Mais non, c'est tombé
sur nous, c'est vraiment pas de chance.
Quelquefois je croise des filles anorexiques dans
la rue. C'est plutôt rare, mais ça
arrive. Et à chaque fois je tombe des nues.
Je me dis " mais c'est pas possible que ma
sur ait pu être comme ça !
" Et si, pourtant, elle aussi elle a été
maigre, et même pire. Mais de ma sur
je n'ai gardé que les belles choses, quand
j'imagine son visage c'est celui qu'elle avait
avant que la maladie ne vienne. L'autre jour je
suis tombée sur des photos de ma sur
quand elle était sur la fin de sa vie,
c'est horrible. Je ne la reconnaissais même
pas. J'ai déjà tout oublié
de cette période.
Bon
je vais arrêter de causer de tout
ça maintenant. J'en ai bien assez dit,
depuis une semaine.
J'ai écrit un poème aujourd'hui,
il est ici.
Il n'est pas bien joyeux mais il n'y a ni sang
ni fantômes. J'aime ce qui est simple, et
j'espère que mon journal l'est.
Aujourd'hui mon père est rentré.
C'est chouette. J'ai tout raconté à
Noémie cette semaine, elle ne veut plus
me voir. Ca c'est pas chouette.
Je vous conseille le journal d'Etoile
Fuyante, qui sait ce que c'est que l'anorexie.
Je ne sais pas si je vais continuer ce journal.
Bah si, j'ai plein de trucs à dire et je
ne pourrai pas m'en empêcher. Mais je vais
soit faire une pause de quelques jours, soit écrire
juste une ou deux phrases de temps en temps pour
dire ce qu'il en est. Et après les vacances
je m'y remettrai plus sérieusement. Ne
m'en voulez pas si je ne réponds pas tout
de suite aux mails durant cette période.
Et puis joyeux Noël, chaque semaine mon nombre
de lecteurs augmente, et je le dis, parce que
je suis sincère, ça me fait trrrrès
plaisir. Bisous.
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