Je ne vais pas
bien du tout, moi, en ce moment. Je fais n'importe
quoi et je fume cigarette sur cigarette.
Hier matin en me réveillant j'avais mal
à la tête, il faut dire que j'ai
fait cauchemar sur cauchemar. J'avais un accident
de voiture, j'étais pleine de sang et je
me peignais le corps avec mon sang. Des rêves
comme ça, je voudrais en faire toutes les
nuits. J'ai téléphoné à
Julie : elle aussi avait des soucis, ça
ne va pas bien chez elle et ça aussi ça
me ruine le moral. Je n'ai pas envie d'en parler
d'avantage.
Alors j'ai accroché la laisse à
mon chien et je suis partie marcher dans les rues.
Et j'ai marché pendant des heures, j'ai
dû faire tous les quartiers de cette ville.
Je ne suis même pas rentrée manger
à midi, mais de toutes façons je
n'avais pas faim. J'ai tellement marché
qu'à la fin j'en avais mal aux jambes.
Alors je suis allée m'échouer sur
les marches d'un bâtiment, dans un coin
excentré du centre ville. Il y avait deux
filles en bas des marches. Je les connais bien,
elles sont toujours à traîner dans
les rues, alors avec le temps que je passe à
promener mon chien je les ai croisées des
centaines de fois, et en plus elles sont au lycée
avec moi. A force de se croiser on a fini par
se dire bonjour, je ne connais rien d'elles, et
n'ai pas envie d'en connaître d'avantage,
mais voilà on se dit bonjour. De toutes
façons c'est physique, il y a des gens
rien qu'à les voir on sait qu'on ne pourra
pas s'entendre avec eux. Moi je sais que ces deux
filles je ne pourrai jamais leur dire autre chose
que bonjour, c'est ainsi. Elles se donnent un
genre, font les rebelles à mendier de l'argent
aux gens alors qu'elles sont, je le sais, pleines
de pognon. Et au lycée, une amie m'a raconté
que ce sont toujours les deux plus stressées
à l'approche d'un devoir. C'est nul.
A un moment un type est arrivé. Lui aussi
je le connais très bien. C'est un mendiant,
dommage qu'il n'y ait pas d'autres mots pour qualifier
ces personnes-là,... Ben oui, il mendie,
mais j'imagine qu'il ne fait pas ça par
plaisir. Lui aussi je l'ai croisé des centaines
de fois dans les rues. De temps en temps il me
demande une petite pièce, je lui donne
et il me fait un grand sourire qui me fait chaud
au coeur. Il s'est adressé aux deux filles
: " Z'auriez pas une p'tite pièce
pour moi s'il vous plait ? " Et l'autre lui
répond : " Ben vous savez on a déjà
du mal à trouver quelques centimes pour
s'acheter des cigarettes, alors non... "
Et l'homme a répondu : " Beh moi c'est
pas pour fumer que je cherche de l'argent, c'est
pour manger ! " Et il a rigolé...
Et ça lui a cloué son bec, à
la fille. Puis il a monté les marches jusqu'à
moi, il s'est accroupi près de mon chien
et l'a caressé : " Alors Adonis, elle
te fait encore marcher ta maîtresse ? "
Eh ben... il se rappelait même du nom de
mon chien. Et Adonis il remuait la queue, et je
peux vous dire que c'est très rare qu'il
remue la queue avec quelqu'un d'autre que moi.
J'étais vraiment contente, si mon chien
a un bon feeling avec lui, c'est que c'est quelqu'un
de bien. Je n'avais pas un sou sur moi, mais il
ne m'a rien demandé de toutes façons
et il est parti. Ce fut le petit rayon de soleil
dans ma journée. Voilà encore un
instant auquel je repenserai avec nostalgie, d'ici
quelques mois, j'en suis certaine...
Après ça je suis rentrée
chez moi. J'ai craqué : j'ai consulté
mes mails. Beaucoup de très gentils, merci.
Mais deux autres encore pires que celui de jeudi.
Cette fois-ci, il parait que je n'ai aucune personnalité,
et que je suis un être complètement
dépassé par les évènements.
Je me demande quels textes il a lus pour dire
une chose pareille. Une fille m'écrit aussi
que j'ai tellement parlé de Noémie
cette semaine que selon elle je suis une homosexuelle
refoulée... Bravo !!! Qu'est ce que je
peux répondre à ça, moi...
Et d'ailleurs j'enfonce le clou et j'en reparle,
de Noémie. C'est bien simple : je n'ai
plus aucune nouvelle d'elle depuis vendredi. Rien,
c'est le silence radio.
Je ne suis pas restée longtemps chez moi.
J'ai rappelé Julie mais elle ne pouvait
pas me parler, j'entendais une voix crier chez
elle, j'étais inquiète mais elle
ne voulait absolument pas que je vienne la voir.
Bon...
Alors je suis ressortie, et j'ai décidé
d'aller chez Alain. Ben ouais, je n'avais rien
à faire, il faut bien que je m'occupe.
En chemin je me disais qu'à coup sûr
quand j'allais débarquer chez lui il y
aurait une femme avec lui, mais je m'en foutais,
je rentrerais quand même m'incruster dans
leur intimité, je m'asseoirais dans le
canapé et c'est tout ! Et je me disais
qu'il s'il n'était pas là je laisserais
un petit mot sous la porte lui demandant de m'appeler
de toute urgence, un bon petit mot bien stressant,
bien inquiétant, quelque chose qui lui
aurait fichu la trouille (enfin j'espère).
Malheureusement, ou heureusement, non seulement
il était chez lui, et en plus il était
tout seul. Quand je suis entrée il a fait
la gueule en voyant mon chien saloper toute sa
moquette. C'est vrai qu'il ne faisait pas beau
hier, et que pour une fois je n'avais pas pris
la peine de lui essuyer les pattes sur le paillasson.
Tant pis. J'ai fait comme chez moi, j'ai mangé
un peu car depuis le matin je commençais
à avoir faim, et je lui ai demandé
ce qu'il faisait le soir. Rien, il a dit. Pourtant
un peu après son téléphone
a sonné, et il n'arrêtait pas de
dire : " non ... non ça va être
dur... ouais crevé, beaucoup de boulot
!... " En gros, il refusait de sortir avec
la personne qui l'appelait. Je ne sais pas ce
qu'elle lui disait cette personne, j'ai cru comprendre
qu'elle voulait l'inviter, bah de toutes façons
c'était une voix de mec.
Bon ben voilà, j'ai passé la soirée
chez Alain, et pis toute la nuit, on a fait l'amour
et c'était chouette. Je ne vois pas pourquoi
y aurait que Noémie qui aurait le droit
de s'amuser un peu.
Au petit matin je me suis réveillée
la première, je me suis rhabillée
et suis partie sans rien dire, de toutes façons
je n'avais rien à lui dire, et de toutes
façons je n'ai jamais rien à dire
à personne le matin. Je suis rentrée
chez moi tranquille en passant par la petite plage
de la Concurrence, il n'y avait encore personne
si tôt le matin, j'étais bien, détendue,
pendant quelques minutes j'étais heureuse...
Aujourd'hui : rien. Mais alors rien du tout. Je
suis allée chez Julie : elle n'était
pas là et sa mère non plus. Alors
rien, que dalle. Ah si ! J'ai eu un éclair
de génie devant mes exercices de maths.
Comme quoi tout peut arriver. J'ai réussi
à faire ce fameux exercice qui m'avait
valu une heure de cours particulier mémorable.
Et de là j'ai réussi à faire
tous les autres. Je les enchaînais un par
un, je réfléchissais un peu, je
répondais, je regardais la solution : j'avais
bon ! C'est certain : je suis géniale.
Aucune personnalité, homosexuelle, mais
géniale.
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