journal intime
140 _ lundi 14 avril 2003

Monopoly

Vendredi soir j'ai joué au Monopoly en réel : la gare Montparnasse d'abord, la gare du Nord ensuite, et la gare Saint Lazare enfin. Passant d'une case à l'autre en métro, comme un pauvre petit pion qui a bien du mal à comprendre les règles du jeu. Quittant mon copain d'abord, accueillant mon amie Julie ensuite, rentrant chez moi enfin.
C'est vers 9H00 du soir que j'étais à la gare du Nord. C'est une bien jolie gare, plus que celle de Montparnasse parce que plus vieille et plus crasseuse. J'attendais Julie qui arrivait de Lille. Le voyage n'est pas bien long paraît-il : une heure pour joindre les deux villes. Et presque, elle a quitté Lille en même temps que j'ai quitté mon chez moi juste à côté. Je venais de quitter David et j'attendais Julie : j'étais en quelque sorte entre deux mondes.
Il a bien sûr fallu que le train ait dix minutes de retard. Heureusement j'avais de quoi patienter : du tabac. Le train a fini par entrer en gare, et j'ai jeté mon mégot sous les roues histoire de ne pas accueillir Julie la clope aux lèvres, ça ne se fait pas. Le train s'est immobilisé, les portes se sont ouvertes, et l'immense flot de voyageurs est sorti de là. Des qui prenaient tout leur temps, d'autres qui à peine arrivés étaient déjà pressés de repartir, des tout encombrés de valises, d'autres les mains dans les poches… mais pas de Julie. La connaissant, je savais qu'elle ne serait certainement pas dans les premières à sortir, elle est plutôt du genre à prendre son temps, comme moi d'ailleurs. Mais là quand même, la plupart des wagons devait déjà être vide. J'étais après me demander si j'avais eu une bonne idée en l'attendant au milieu du train, que j'aurais peut-être mieux fait de l'attendre en tête, que si ça se trouve je l'avais loupée. Ce serait quand même malheureux de s'impatienter pendant des mois, tout ça pour se perdre au point d'arrivée… J'ai aperçu au loin une fille qui parlait à un couple de personnes âgées : c'était elle ! J'y suis allée à grands pas, en comprenant ce qui se passait : les deux pauvres personnes semblaient perdues et demandaient des indications à Julie. Quand elle m'a vue elle a eu un grand sourire, on s'est serré dans les bras l'une de l'autre. Exactement comme quand on s'était séparées en décembre. A l'époque, c'était déjà sur un quai de gare. Mais plus petit, c'était à La Rochelle. Et ce qui se passait dans nos têtes était bien différent. Quelques heures avant j'avais pleuré en quittant David, à nouveau j'avais les larmes aux yeux en serrant son corps chaud contre moi. Elle m'a dévisagée en souriant, comme si j'avais changé. Peut-être que c'est le cas d'ailleurs, il s'est passé tant de temps et tant de choses depuis notre séparation, ça doit bien se sentir sur mon visage et le sien.
Puis Julie s'est rappelée tout à coup qu'il y avait un pauvre petit couple âgé qui était perdu derrière elle, alors elle s'est retournée pour leur demander si ça irait. Ils ont dit oui en souriant gentiment, et me disant " Bonjour Mademoiselle " à moi aussi.
Julie s'est assise sur le petit banc à côté pour refaire son lacet. Je me suis assise à côté d'elle et on est restées plantées là vingt minutes. Le quai était désert. Juste quelques contrôleurs, quelques chefs de gare, et quelque voyageurs étourdis qui n'avaient rien à faire ici. J'ai demandé à Julie si elle avait fait bon voyage. Question vide d'intérêt je le sais bien, mais c'était juste pour le plaisir de parler. Puis je lui ai demandé si ça lui faisait plaisir de retrouver Paris. Elle a souri en regardant le hall de la gare au-dessus de notre tête et en me répliquant que c'est pour moi qu'elle était là, pas pour Paris. Eh eh…
J'ai pris sa main et lui ai dit " On y va ? " Allez… Nous voilà dans le métro, puis à la gare Saint Lazare, qui est un peu ma case départ à moi dans ce Monopoly. Arrivées là-bas on sort dehors, on marche encore un peu jusqu'ici, à l'appartement. On monte les marches, nous sommes sur le pallier, j'ouvre la porte, Julie entre, j'entre et referme à clé derrière moi. Ca y est nous y sommes. Elle a lâché son sac en regardant autour d'elle, un peu comme elle l'avait fait en entrant dans sa chambre à La Rochelle. Mon chien est arrivé tout content, comme chaque fois que je rentre. Je pense qu'il a reconnu Julie, sa mémoire a dû lui rappeler qui elle était. Parce que d'habitude il se moque complètement de la personne qui m'accompagne. Tandis que là il a réclamé quelques caresses à Julie, qui ne s'est pas faite prier bien sûr. Elle l'aime bien, mon Adonis…
On s'est assises dans le canapé et je me suis allumée une cigarette. On a fait la causette pendant une bonne heure, on s'est raconté nos vies. Sans entrer dans les détails, le but n'était pas de raconter des choses, le but était d'entendre nos voix respectives. Elle était surtout très intéressée par tout ce que je lui racontais à propos de David. J'étais même étonnée qu'elle me pose toutes ces questions. Du genre : " il est sympa ? " Bin sûr qu'il est sympa, sinon qu'est ce que je ferais avec lui… Je lui ai montré sa photo, elle l'a regardée intriguée. Ce n'est pas vraiment David en lui-même qui l'intriguait, non, c'est plutôt le fait que ce soit mon copain. Ca aurait pu être n'importe qui d'autre sur la photo, je pense qu'elle l'aurait regardé aussi attentivement du moment que c'était mon ami. Elle l'a fixé une bonne minute en m'interrogeant dessus, j'étais presque gênée pour David, de le voir se faire scruter dans tous les détails pendant toute une minute. Puis elle m'a rendu la photo et on est passé à autre chose. La photo de mon cousin ne l'a absolument pas intéressée. Là aussi j'étais presque gênée pour lui, lui qui avait dit en voyant Julie qu'elle était mignonne, eh ben apparemment ce n'est pas réciproque (ça lui apprendra à lire mon journal).
Puis j'ai fait la cuisine. Julie voulait m'aider mais j'ai dit non pas question, chez moi l'invité est Roi. Du moins au début… J'aime bien que les gens, chez moi, se sentent bien accueillis. Puis on est allées balader mon chien.
Ca fait déjà trois jours qu'elle est là mine de rien. Et on ne s'est vraiment pas tourner les pouces de tout ce temps. Il faudrait que j'écrive des texte cinq fois plus longs pour tout raconter… Tout se passe merveilleusement bien. C'est ma petite sœur, Julie. Y a pas de doute, ma petite sœur spirituelle.

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