J'avais rendez-vous
avec Caroline devant l'entrée de la cafétaria
de sa faculté hier matin. J'arrive là-bas,
elle était là. Nous sommes alors
entrées dans ce lieu désagréable.
Oui, désagréable, mais je dois dire
que je n'étais pas très réveillée
et pas de très bonne humeur à cause
du métro. Les transports en commun à
huit heures du matin, ça me casse en deux.
En plus, la cafétaria n'était disponible
qu'au quart, le reste était réservé
pour accueillir une espèce de conférence-conseil,
un truc où des professionnels viennent
présenter leur travail, où les étudiants
motivés viennent poser leurs questions,
enfin pas un truc pour moi. Du moins pas hier
matin. Résultat : tout le monde était
confiné dans un petit espace.
On est allé demander un café puis
on s'est cherché une place tant bien que
mal. On en a trouvé deux à côté
d'un étudiant qui étalait ses cours
sur 1m50 de table. Ca c'est un truc que je n'ai
jamais compris. Le gars, la bibliothèque
est à cinquante mètres, il y serait
bien plus au calme pour étudier, il ne
consomme pas et il prend la place aux autres
Avant de nous asseoir Caroline lui a demandé
si on pouvait s'installer, il a vaguement fait
oui de la tête. J'avais envie de lui dire
"Y manquerait plus que tu veuilles pas !"
J'ai sorti mon article sur l'atelier théâtre
et l'ai fait lire à Caroline. Elle l'a
trouvé impeccable, rien à redire,
tant mieux. Il ne restait plus qu'à le
faire valider par le prof, qui devait arriver
d'un instant à l'autre. Une fille de la
table à côté est venue nous
demander si elle pouvait prendre la chaise libre
à côté de nous. J'avais envie
de lui dire "Du moment que je suis pas assise
dessus tu prends la chaise que tu veux !"
Voilà, on attendait
Heureusement
l'espace était fumeur.
Ah oui, il y avait aussi un piano, comme dans
beaucoup de cafets'. Un piano
et surtout
un pianiste, et c'est là que le bât
blessait. Quelle horreur ! Enfin lui il était
mignon, mais le genre de beauté que je
n'aime pas, la beauté de celui qui sait
qu'il est beau et qui se la joue un peu. Un petit
blondinet qui passait de temps en temps la main
dans ses cheveux. Beethoven a dû encore
une fois se retourner dans sa tombe : il a massacré
la Lettre à Elise. Ce morceau, sans doute
le plus joué au monde, est bâclé
neuf fois sur dix. Et en général
on n'en a que le début, la seconde partie
était légèrement plus difficile.
A chacun sa façon de jouer, à chacun
sa façon de bâcler. Lui c'était
la vitesse : à peine le temps de dire ouf
qu'il était rendu à la fin. Je sais
pas, peut-être qu'il faisait un concours
de rapidité, j'en sais rien, peut-être
qu'il se chronométrait. Il me semblait
que le piano sonnait faux ou mal. J'ai regardé
et j'ai mieux compris : le gars avait le pied
posé sur la pédale et ne le décollait
pas ! Toutes les notes se mélangeaient,
c'était un véritable fiasco. J'avais
envie de lui dire "Tu ferais mieux de poser
ton cartable sur la pédale, tu te fatiguerais
moins et ça aurait le même effet
!".
Seul point positif : la radio. Je n'ai pas réussi
à savoir quelle station c'était
mais c'était chouette, ils passaient de
l'ancien et du moderne. Quand le pianiste avait
la bonne idée de ne pas jouer je pouvais
écouter, et j'essayais d'imaginer tous
ces artistes, chanteurs et chanteuses, au milieu
de cette cafétaria. Parmi tous ces étudiants,
ceux qui parlent trop, ceux qui ne décrochent
pas un mot, ceux qui étalent leurs cours
sur 1m50 de table, ceux qui jouent du piano sans
aucun respect pour le morceau interprété
et sans aucune humilité devant leur instrument.
Jim Morrisson serait-il entré dans cette
cafétaria ? S'il y était entré,
y serait-il resté ? Je ne pense pas
J'aimerais bien recontrer, un jour, un vrai artiste.
Résumé de la suite : le prof est
arrivé, il a lu mon article, la trouvé
impeccable à une petite phrase près,
l'affaire est classée, je suis allée
en cours avec Caroline, j'avais emmené
du travail, ensuite on est monté en voiture,
on est passé prendre mon chien puis on
est allées chez elle, à Etampes,
dans l'Essonne, et c'est là que je reprends
mon récit.
Etampes n'est pas une ville fantastique, loin
de là, en revanche j'aime beaucoup la maison
de Caroline, où elle vit avec son père.
Elle est toute petite, c'est chouette. C'est exactement
dans une maison comme ça que je voudrais
vivre plus tard. Même si j'étais
pleine d'argent et que j'avais de quoi me payer
un palace, eh bien j'opterais pour une bicoque,
pour une cabane. Ouais
Je vais fermer les
yeux je vais rêver un peu. Ma maison, je
la voudrais vieille. J'aime pas les bâtiments
tout neufs et tout propres. Je préfère
quelque chose qui a du vécu, qui a une
histoire derrière lui. Je préfère
un mur fissuré sur lequel grimpe du lierre,
qu'un mur blanc recouvert de mastic. Je préfère
des tuiles brisées et crasseuses, que des
tuiles éclatantes. Un peu comme chez moi,
à La Rochelle, notre maison n'est pas toute
neuve, j'aime bien. Ensuite, je voudrais qu'elle
soit petite, comme je l'ai dit. Ce n'est quand
même pas très agréable ces
grandes salles spacieuses, ces chambres immenses
aucune intimité là-dedans. Par contre,
peu importe que ce soit à la ville ou à
la campagne. Aucune importance. Même un
petit appartement c'est très bien, du moment
que le quartier est vieux.
Quand j'étais petite j'avais un livre d'images
de maisons. L'une d'elles me faisait rêver
: tout en bois, au bord d'un lac, dans la forêt,
peut-être au Canada ? Je disais à
ma mère que c'est celle-là que je
voulais plus tard. Elle me répondait que
c'était possible si je travaillais bien,
qu'alors je pourrais me l'acheter. Quelle curieuse
réponse à un enfant
Ca cassait
tout le charme. Elle aurait quand même pu
attendre que je découvre par moi-même
que dans la vie il faut de l'argent pour réaliser
ses rêves.
Ah il était beau ce livre
Certaines
maisons étaient représentées
sans toit : tu voyais tout l'intérieur,
les meubles, les pièces, tout. Je trouvais
cette idée magnifique. On voyait tout le
petit cocon de l'intérieur. Et en plus,
ils avaient pensé à dessiner les
gens. Ils avaient l'air heureux et chacun à
leur place : le Papa qui réparait la tondeuse
dans le garage, la Maman qui faisait la cuisine
et les enfants qui jouaient. Oui je sais, le pur
cliché, mais moi c'est exactement ça
que je voulais pour mon avenir. Si j'avais su
que c'était n'importe quoi ! A l'époque,
on aurait pu faire la même chose avec ma
maison à moi. Enlever le toit et nous dessiner
: ma mère à la cuisine, mon père
au garage, moi qui regardais le livre de maisons,
ma sur pas très loin. Putain
C'est où tout ça ? Perdu à
jamais, sauf dans ma mémoire. Tout le monde
l'a oublié, tout le monde s'en fout sauf
moi. Ce n'était rien qu'un rêve irréalisable,
ces sales images de baraques sans toit. On ne
devrait pas laisser ça entre des mains
d'enfant. J'aurais mieux fait de parler d'Etampes
plutôt que de maisons moi tiens. Mais là
j'ai plus envie de parler.
Je vais retrouver David, il doit être rentré
chez lui à l'heure qu'il est.
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