Le Père
Noël n'existe pas. Le jour où on me
l'a appris, j'ai été abominablement
déçue. C'est mon grand-père
qui me l'a dit, alors j'ai couru retrouver ma
grand-mère : "Bouh
Papi il est
fou, il dit que le Père Noël il existe
pas
" Et ma grand-mère m'a appris
qu'il avait raison. Quel choc pour mon petit cur
Et du coup tous les mythes s'écroulaient
: la petite souris qui cache des cadeaux sous
l'oreiller quand on perd une dent de lait, les
cloches de Pâques qui distribuent des ufs
dans le jardin, le marchand de sable
tout
s'effondrait, le meilleur et le pire.
Faire croire au Père Noël à
un enfant, c'est un mensonge, une tromperie. Ben
oui, faire croire à l'existence de quelqu'un
qui n'existe pas, c'est mentir. Et c'est d'autant
plus grave quand on lui dit : "Si tu n'es
pas sage, le Père Noël ne viendra
pas", ou encore "Si tu ne dors pas,
le marchand de sable va venir te mettre du sable
dans les yeux".
Bien sûr c'est tout mignon, cette histoire
de Père Noël. Ca amuse les grands,
ça rend les petits joyeux et tout le monde
y gagne. Sauf le jour où l'enfant apprend
la sinistre vérité. Et pourtant,
de génération en génération,
les adultes continuent de mentir de la sorte.
Mince, ce n'est pas parce qu'un enfant c'est mignon,
naïf, gentil, qu'on peut lui faire croire
tout ce qu'on veut, qu'on a le droit de lui mentir.
Et ces adultes qui mentent ouvertement, s'insurgeraient
et crieraient à la trahison, si c'était
à eux qu'on leur faisait croire tout ça.
Ils n'accepteraient pas une seule seconde d'avoir
été trompés, d'avoir cru
en un personnage qui au fond n'était qu'un
mythe. Et pourtant
Moi, Aglaia, je pourrais par exemple tenir un
faux journal intime sur le web. Et j'aurais des
dizaines de lecteurs, puis des centaines, puis
des milliers. Et un jour, par exemple au bout
de dix ou onze mois, je révèlerais
la vérité. Je recevrais une quantité
industrielle de mails. Les plus intelligents me
diraient que ça ne change rien. D'autres
se comporteraient comme les enfants à qui
l'on apprend que le Père Noël n'existe
pas : "Quoi ? Mais non c'est pas vrai ! Dis
moi que tout ce que tu as écrit était
vrai !" Et d'autres encore : "Je t'ai
viré de mes favoris, je ne te lirai plus
jamais". M'insultant au passage, oubliant
que c'est tout de même moi qui ai écrit
ces textes qui les ont fait rire et pleurer au
fil des mois...
Hier, dimanche 13 juillet, j'ai assisté
au feu d'artifice. Beaucoup de communes le fêtent
un jour plus tôt. C'était le cas
dans le petit village où se trouve l'école
de ma mère. Une kermesse était organisée
pour l'occasion. Ma mère m'avait proposé
de tenir un stand, j'ai accepté à
condition que ce ne soit pas la buvette. Je me
suis ainsi retrouvée assignée au
stand du casse-briques. Vous savez, les boîtes
de conserve qu'on monte en petit château,
et que les participants doivent faire tomber à
l'aide de projectiles, qui le plus souvent sont
de vieilles paires de chaussettes très
lourdes et roulées en boule.
J'ai tenu le stand tout l'après midi. Mon
chien Adonis était avec moi, il faisait
si chaud encore une fois qu'il préférait
rester roupiller à l'ombre, au beau milieu
des récompenses. Les récompenses,
c'était des pochettes de petits bonbons,
des petits pots remplis de savon pour faire des
bulles, des petites peluches en forme de chats
ou de chiens, etc. J'avais parmi mes participants
des adultes, des hommes très forts qui
envoyaient les projectiles de toute leur force
et dégommaient tout d'un coup. A eux, je
leur offrais un petit ticket pour la buvette.
Et pas de pitié : trois projectiles et
pas un de plus. Avec les enfants j'étais
plus gentille, je ne pouvais pas m'empêcher
de les aider à gagner. Notamment une petite
fille venue me voir avec sa mère. Cette
dernière m'a donné un euro cinquante
et le jeu a commencé. La Maman m'a demandé
si elle pouvait asseoir sa fille sur la table.
Je lui ai répondu oui bien sûr, petite
comme elle était, la table lui arrivait
à hauteur des yeux. Et j'ai installé
les boîtes de façon à les
poser en équilibre, prêtes à
tomber au moindre choc. "Comme tu joues pour
la première fois, lui ai-je dit, tu as
droit à quatre projectiles au lieu de trois".
La partie a commencé. Premier tir. Hou
la
pour un peu c'est mon chien qu'elle aurait
dégommé. "Pas grave lui ai-je
dit, ça va venir" Et effectivement
c'est venu. Le coup suivant était déjà
un peu meilleur, mais toujours à côté.
Cette petite me faisait bien rire, elle y mettait
une concentration et une attention incroyable.
Et elle était chaque fois extrêmement
déçue de manquer son but. Ce n'est
qu'au quatrième projectile qu'elle a enfin
atteint la cible. Mais rien n'est tombé,
hélas. Alors elle a regardé sa mère
tristement pour redescendre de la table. Je l'ai
vite retenue : "Regarde ! Il te reste deux
projectiles !" Je venais juste de les remettre
en place
La petite n'a pas été
surprise de les retrouver ici sur la table, sans
doute avait-elle mal compté. Le petit manège
a recommencé encore deux fois, jusqu'à
ce qu'enfin l'une des boîtes se renverse.
Bravo !
Elle a eu un immense sourire, surtout quand je
lui ai montré tout l'étalage des
récompenses et lui ai demandé ce
qu'elle voulait. Elle a longuement hésité
en scrutant ces cadeaux dans leurs moindres détails.
Finalement elle a tendu le doigt vers Adonis en
disant : "Le chien !" Eh eh
Ah
ben désolée mais Adonis ne fait
pas partie des récompenses. "Par contre,
je peux t'offrir son petit frère. Tu veux
son petit frère ?" Elle a fait oui
de la tête. Je suis allée chercher
l'une des peluches en chien et lui ai donnée.
"Il s'appelle Max, il est très gentil.
Mais il faut le caresser souvent".
Elle est partie contente, croyant fermement à
mon mensonge comme quoi ce petit chien était
bien vivant, et bel et bien le petit frère
de mon Adonis. On leur fait croire tout ce qu'on
veut, aux enfants...
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