Je viens de passer
deux jours toute seule : mon cousin est rentré
et moi je suis restée. J'ai eu beaucoup
de mal à supporter cette solitude, même
pendant deux jours. L'appartement était
tellement silencieux que ça m'angoissait.
Mais j'ai refusé de rentrer, je me disais
que ce serait trop facile, et que je devais aller
au bout de mes décisions. J'ai l'impression
que c'est comme une épreuve, et que je
dois la surmonter. Je savais très bien
que ce serait difficile de venir m'installer ici,
dans cette ville immense habitée par des
fous. Là-bas à La Rochelle, si je
sortais promener mon chien pendant une heure,
j'étais certaine de rencontrer au moins
une personne avec qui faire la causette. Ici à
Paris, avec trois millions d'habitants, je peux
marcher des journées entières sans
rencontrer un seul visage connu ou agréable.
Hier j'avais envie de parler, même pour
dire n'importe quoi, rien qu'histoire de faire
sortir des sons de ma gorge et d'entendre quelqu'un
me répondre. Mais il n'y avait personne,
c'était désespérant à
quel point tout était vide. Il y a bien
mon chien, de temps en temps je lui dis trois
mots et il me répond avec les yeux, c'est
déjà énorme mais ce n'est
pas suffisant
J'en venais à regretter
toutes les rencontres que j'aurais pu faire depuis
que je suis ici mais que j'ai refusées.
Comme par exemple ces deux jeunes hommes qui fumaient
un pétard dans la rue samedi dernier et
m'avaient proposé de " tirer "
dessus. Si j'avais été moins timide
peut-être que je les aurais revus depuis,
et qu'hier je ne serais pas restée à
me morfondre.
Pourquoi aller chercher au bout du monde ce qui
est au pas de sa porte ? Je ne sais pas si ce
proverbe existe ou si c'est moi qui viens de l'inventer
mais c'est bien vrai. Je suis dans la plus belle
ville du monde, mais encore faut-il pouvoir apprécier
cette beauté. Et quand on a des idées
qui nous rongent la tête pendant des heures,
eh bien on ne voit rien du tout. Même Adonis
a dû mieux apprécier la ville que
moi. J'aurais pu me trouver à Santiago
del Chili que j'aurais eu les mêmes idées,
les mêmes soucis et les mêmes pensées.
En rentrant vers minuit, j'ai refusé d'aller
me coucher. L'impression que si j'allais dormir
j'aurais perdu une journée, puisque je
n'avais rien fait
Alors j'ai essayé
d'écrire un poème mais rien ne sortait,
c'était nul, pourtant je le sais que les
jolis mots sortent toujours au moment où
justement on ne cherche pas à les faire
sortir. J'ai laissé tomber, j'ai vaguement
parcouru un journal acheté le matin mais
c'était tellement déprimant que
j'ai fini par aller me mettre au lit. Bizarrement
j'ai fait des rêves magnifiques, je n'arrêtais
pas de me réveiller entre chacun d'eux,
j'ai l'impression que cette nuit a duré
une année entière.
Mais aujourd'hui, je me suis dit que je ne supporterais
pas une journée de plus a à me tourner
les pouces alors j'ai fait le compte des différentes
personnes à qui je pourrais rendre visite
: une
et c'est tout. Je parle de Marine.
Je commence à la connaître un petit
peu, je suis déjà allée chez
elle, alors je me suis dit que ma visite ne l'embêterait
peut-être pas trop
Me voilà donc sur le chemin. J'arrive là-bas,
dans l'arrière cour et au milieu de l'entrepôt.
C'était vide, pas un chat. Je regardais
derrière les vitres les rayons de vêtements
dans le noir, mais il n'y avait pas le moindre
mouvement. Les fenêtres étaient fermées,
et malgré qu'il fasse très sombre
dans cette arrière-cour je ne voyais pas
de lumière. Pour me faire remarquer j'ai
fait un pas sec vers mon chien en disant "
Hop ! ! ". Il m'a regardé tout content
en aboyant deux ou trois fois. J'ai regardé
les fenêtres : toujours rien, apparemment
il n'y avait personne. Je n'avais plus qu'à
m'en aller
Alors je suis allée chez David. Mais j'ai
eu beaucoup de mal à me décider
car je le connais moins bien, et surtout c'est
un gars et moi je suis plus timide avec les gars
qu'avec les filles. Mais tant pis, je l'aurais
regretté si je ne l'avais pas fait. Je
me disais " arrête tu vas l'embêter,
t'es qu'une gamine il n'a rien à faire
de toi ". J'espérais même, en
sonnant chez lui, qu'il ne serait pas là.
Mais il était là et heureusement
il n'était pas seul : il y avait deux copains
à lui. Je dis " heureusement "
car j'avais peur de m'introduire dans son intimité,
mais puisqu'il y avait du monde il n'était
pas tant dans l'intimité que ça
Il était bien sûr étonné
de me voir débarqué mais il a eu
l'air plutôt content et ça m'a rassurée.
Quand je lui ai appris que j'étais toute
seule depuis vendredi soir il m'a dit que j'aurais
dû venir bien plus tôt, et surtout
hier, très bien, c'est noté dans
ma tête eh eh
Moi je l'aime bien David. Il ressemble un peu
à mon cousin Greg que j'aime déjà
beaucoup. Ils sont un peu dans le même état
d'esprit. J'aimerais bien essayé de le
décrire, ce David, mais je me dis que les
mots que j'utiliserais pour le décrire
seraient très différents de ceux
que j'utilise pour raconter ma vie dans ce journal.
En plus, dans ma description il y aurait forcément
la moitié de vraie et l'autre d'imaginaire,
puisque je le connais assez peu en fait. Mais
je vais essayer quand même, si plus tard
je m'aperçois que j'ai dit des bêtises
eh bien je recommencerai.
David est quelqu'un d'assez rustre en apparence.
Je veux dire par-là qu'il n'a pas trop
de manières et que son langage est très
vulgaire. Remarquez pas plus que les Parisiens
en général, mais comme c'est un
des seuls Parisiens que je connaisse ce détail
mérite bien d'être mentionné.
Parfois j'aimerais bien entendre certaines personnes
parler dans certaines situations. Par exemple
David, je voudrais bien savoir comment il parle
des filles quand il n'y a pas de filles autour
de lui. Je connaissais un gars à La Rochelle
qui ne se gênait pas, quand il en voyait
une il disait souvent " je lui boufferais
bien la chatte à celle-là ".
Nous on se regardait étonnées, enfin
moi pas trop car je ne me fais pas vraiment d'illusions
et je sais bien ce qui intéresse la majorité
des gars. Je pense que David serait un peu comme
ça, mais peut-être je me trompe.
Mais je suis certaine qu'avec une fille il doit
être adorable. Je l'ai bien vu quand il
parlait l'autre jour de cette fameuse fille qui
n'avait pas voulu de lui. Il avait l'air honnête
et sincère, je pense qu'il l'aimait vraiment
telle qu'elle était et que ça allait
bien au-delà des pulsions sexuelles. Il
a dit des choses magnifiques sur elle. Je l'avais
trouvé trop mignon
Allez je vais m'arrêter là avant
de dire des choses qui dépasseraient mes
pensées. Mon cousin Greg ne devrait pas
tarder à rentrer, tant mieux, je vais avoir
des nouvelles de la magnifique ville de Poitiers
(ironique).
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