journal intime
88 _ Dimanche 26 janvier 2003

Solitude

Je viens de passer deux jours toute seule : mon cousin est rentré et moi je suis restée. J'ai eu beaucoup de mal à supporter cette solitude, même pendant deux jours. L'appartement était tellement silencieux que ça m'angoissait. Mais j'ai refusé de rentrer, je me disais que ce serait trop facile, et que je devais aller au bout de mes décisions. J'ai l'impression que c'est comme une épreuve, et que je dois la surmonter. Je savais très bien que ce serait difficile de venir m'installer ici, dans cette ville immense habitée par des fous. Là-bas à La Rochelle, si je sortais promener mon chien pendant une heure, j'étais certaine de rencontrer au moins une personne avec qui faire la causette. Ici à Paris, avec trois millions d'habitants, je peux marcher des journées entières sans rencontrer un seul visage connu ou agréable.
Hier j'avais envie de parler, même pour dire n'importe quoi, rien qu'histoire de faire sortir des sons de ma gorge et d'entendre quelqu'un me répondre. Mais il n'y avait personne, c'était désespérant à quel point tout était vide. Il y a bien mon chien, de temps en temps je lui dis trois mots et il me répond avec les yeux, c'est déjà énorme mais ce n'est pas suffisant… J'en venais à regretter toutes les rencontres que j'aurais pu faire depuis que je suis ici mais que j'ai refusées. Comme par exemple ces deux jeunes hommes qui fumaient un pétard dans la rue samedi dernier et m'avaient proposé de " tirer " dessus. Si j'avais été moins timide peut-être que je les aurais revus depuis, et qu'hier je ne serais pas restée à me morfondre.
Pourquoi aller chercher au bout du monde ce qui est au pas de sa porte ? Je ne sais pas si ce proverbe existe ou si c'est moi qui viens de l'inventer mais c'est bien vrai. Je suis dans la plus belle ville du monde, mais encore faut-il pouvoir apprécier cette beauté. Et quand on a des idées qui nous rongent la tête pendant des heures, eh bien on ne voit rien du tout. Même Adonis a dû mieux apprécier la ville que moi. J'aurais pu me trouver à Santiago del Chili que j'aurais eu les mêmes idées, les mêmes soucis et les mêmes pensées.
En rentrant vers minuit, j'ai refusé d'aller me coucher. L'impression que si j'allais dormir j'aurais perdu une journée, puisque je n'avais rien fait… Alors j'ai essayé d'écrire un poème mais rien ne sortait, c'était nul, pourtant je le sais que les jolis mots sortent toujours au moment où justement on ne cherche pas à les faire sortir. J'ai laissé tomber, j'ai vaguement parcouru un journal acheté le matin mais c'était tellement déprimant que j'ai fini par aller me mettre au lit. Bizarrement j'ai fait des rêves magnifiques, je n'arrêtais pas de me réveiller entre chacun d'eux, j'ai l'impression que cette nuit a duré une année entière.
Mais aujourd'hui, je me suis dit que je ne supporterais pas une journée de plus a à me tourner les pouces alors j'ai fait le compte des différentes personnes à qui je pourrais rendre visite : une… et c'est tout. Je parle de Marine. Je commence à la connaître un petit peu, je suis déjà allée chez elle, alors je me suis dit que ma visite ne l'embêterait peut-être pas trop…
Me voilà donc sur le chemin. J'arrive là-bas, dans l'arrière cour et au milieu de l'entrepôt. C'était vide, pas un chat. Je regardais derrière les vitres les rayons de vêtements dans le noir, mais il n'y avait pas le moindre mouvement. Les fenêtres étaient fermées, et malgré qu'il fasse très sombre dans cette arrière-cour je ne voyais pas de lumière. Pour me faire remarquer j'ai fait un pas sec vers mon chien en disant " Hop ! ! ". Il m'a regardé tout content en aboyant deux ou trois fois. J'ai regardé les fenêtres : toujours rien, apparemment il n'y avait personne. Je n'avais plus qu'à m'en aller…
Alors je suis allée chez David. Mais j'ai eu beaucoup de mal à me décider car je le connais moins bien, et surtout c'est un gars et moi je suis plus timide avec les gars qu'avec les filles. Mais tant pis, je l'aurais regretté si je ne l'avais pas fait. Je me disais " arrête tu vas l'embêter, t'es qu'une gamine il n'a rien à faire de toi ". J'espérais même, en sonnant chez lui, qu'il ne serait pas là. Mais il était là et heureusement il n'était pas seul : il y avait deux copains à lui. Je dis " heureusement " car j'avais peur de m'introduire dans son intimité, mais puisqu'il y avait du monde il n'était pas tant dans l'intimité que ça… Il était bien sûr étonné de me voir débarqué mais il a eu l'air plutôt content et ça m'a rassurée. Quand je lui ai appris que j'étais toute seule depuis vendredi soir il m'a dit que j'aurais dû venir bien plus tôt, et surtout hier, très bien, c'est noté dans ma tête eh eh…
Moi je l'aime bien David. Il ressemble un peu à mon cousin Greg que j'aime déjà beaucoup. Ils sont un peu dans le même état d'esprit. J'aimerais bien essayé de le décrire, ce David, mais je me dis que les mots que j'utiliserais pour le décrire seraient très différents de ceux que j'utilise pour raconter ma vie dans ce journal. En plus, dans ma description il y aurait forcément la moitié de vraie et l'autre d'imaginaire, puisque je le connais assez peu en fait. Mais je vais essayer quand même, si plus tard je m'aperçois que j'ai dit des bêtises eh bien je recommencerai.
David est quelqu'un d'assez rustre en apparence. Je veux dire par-là qu'il n'a pas trop de manières et que son langage est très vulgaire. Remarquez pas plus que les Parisiens en général, mais comme c'est un des seuls Parisiens que je connaisse ce détail mérite bien d'être mentionné. Parfois j'aimerais bien entendre certaines personnes parler dans certaines situations. Par exemple David, je voudrais bien savoir comment il parle des filles quand il n'y a pas de filles autour de lui. Je connaissais un gars à La Rochelle qui ne se gênait pas, quand il en voyait une il disait souvent " je lui boufferais bien la chatte à celle-là ". Nous on se regardait étonnées, enfin moi pas trop car je ne me fais pas vraiment d'illusions et je sais bien ce qui intéresse la majorité des gars. Je pense que David serait un peu comme ça, mais peut-être je me trompe. Mais je suis certaine qu'avec une fille il doit être adorable. Je l'ai bien vu quand il parlait l'autre jour de cette fameuse fille qui n'avait pas voulu de lui. Il avait l'air honnête et sincère, je pense qu'il l'aimait vraiment telle qu'elle était et que ça allait bien au-delà des pulsions sexuelles. Il a dit des choses magnifiques sur elle. Je l'avais trouvé trop mignon…
Allez je vais m'arrêter là avant de dire des choses qui dépasseraient mes pensées. Mon cousin Greg ne devrait pas tarder à rentrer, tant mieux, je vais avoir des nouvelles de la magnifique ville de Poitiers (ironique).

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