Ce midi j'étais
complètement déconnectée
de la réalité. Je suis sortie de
chez moi en chaussons
Celle-là je
ne l'avais encore jamais faite. Mais j'étais
dans la lune, j'ai mis mon bonnet, j'ai fermé
la porte à clé derrière moi
et c'est en bas des marches de l'immeuble que
je me suis rendue compte de la méprise.
Pourtant d'habitude je suis plutôt méthodique
quand je fais quelque chose. Il se passe bien
cinq minutes entre le moment où je décide
de sortir et le moment où je sors effectivement.
Mais là je ne sais pas, j'ai remarqué
que depuis quelques temps j'avais tendance à
rêver à tout bout de champ, je deviens
incapable de me concentrer sur des choses matérielles.
En sortant de chez moi j'étais encore dans
l'URSS de Kroutchev ingurgitée le matin
même, il faut dire qu'en ce moment je me
passionne pour les relations internationales de
1945 à nos jours. C'est bizarre mais tous
ces rebondissements entre l'Est et l'Ouest je
trouve ça terrible. Au point même
de sortir de chez moi en chaussons.
C'est une fois dans le porche, face à une
flaque d'eau, que je me suis rendue compte de
l'erreur. Bon ben je n'avais plus qu'à
rebrousser chemin et remonter enfiler mes chaussures.
En plus je n'allais pas à la porte à
côté : j'avais rendez-vous à
Jussieu, l'Université, je devais retrouver
là-bas mon cousin Greg. Hélas, pas
question d'emmener mon chien avec moi. Il a fallu
que je lui explique que dans le métro les
animaux comme lui étaient interdits, même
les gentils, et puis pareil à l'Université,
sauf ceux qui servent pour les expériences.
Il n'a pas compris et en m'écoutant il
était collé devant la porte, prêt
à sortir le premier dés que je l'ouvrirais.
Une fois sur le pallier je lui ai montré
l'appartement du doigt : " tu rentres
" Ah la la il pleurait mon pauvre Adonis,
ça m'a fait mal au cur. Rien que
pour ça je n'irai pas manger à la
fac tous les jours.
Une fois dans le métro je suis entrée
en infraction. Décidément c'est
une habitude chez moi, dès que je prends
le métro à Paris je deviens hors-la-loi.
Un coup j'emmène mon chien, un coup je
m'allume une cigarette
Mais je n'y peux
rien, j'ai un vilain défaut, dès
que je me retrouve à devoir patienter quelque
part je me fume une clope pour tuer le temps.
De toutes façons il n'y a jamais de contrôleurs
là-dedans. Et puis le ticket est bien assez
cher comme ça.
Me voilà à Jussieu. Qu'est-ce que
c'est laid ! Un peu comme la Place des Vosges
que j'ai vue hier, sauf que cette fois-ci les
magnifiques bâtiments sont remplacés
par de sales immeubles tout gris, ils ont voulu
faire dans le futuriste apparemment, et ils ont
manqué leur coup. En plus il paraît
que certains étudiants qui avaient passé
plusieurs années là-dedans avaient
choppé un cancer de je-ne-sais-quoi à
cause de l'amiante dans les plafonds. Ca donne
envie d'étudier tout ça !
Si j'ai bien compris à Jussieu il y a deux
universités en une seule : il faut dire
que c'est aussi grand que moche. Et même
plus grand que moche encore, et pourtant il y
a de la marge. Ah oui, ça pourrait être
encore bien plus moche par rapport à ce
que c'est grand. En arrivant dans la cour, il
y avait un jeune étudiant motivé
qui distribuait des papelards sur la politique,
tout ça
Je n'y ai donc pas échappé.
J'ai lu le sous-titre : " Venez participé
etc ". Avec un " é " à
" participé ", vous avez bien
lu. Eh bien moi un papier avec une faute comme
ça dans le sous-titre, il part directement
à la poubelle, c'est à dire par
terre car Jussieu, en quelque sorte, est déjà
une poubelle en lui-même.
On avait convenu d'un lieu de rendez-vous facile
à retrouver avec mon cousin. Ce fut donc
sans problème et j'étais bien contente
de revoir David et Marine, eux aussi au rendez-vous.
Je m'imaginais débarquer en chaussons au
milieu du groupe, j'aurais eu l'air maligne !
On s'est dirigé vers le Restaurant Universitaire,
RU pour les intimes, et là une queue énorme
nous attendait. Encore une fois je m'apprête
à m'allumer une cigarette, c'est mon cousin
qui me retient. Mais on n'a le droit de fumer
nulle part dans cette ville !
Je passe les détails du repas, rien d'exceptionnel.
C'est après que ça devient palpitant
.
(suspense
.)
On s'est retrouvé dans un groupe avec tous
les collègues de Greg. Et puis j'ai vu
David s'en aller vers une machine à café
pas loin, et comme j'adore le café je l'ai
rejoint m'en payer un gobelet. Pendant que mon
café coulait il s'est assis, apparemment
il était un peu énervé, comme
souvent, mais énervé contre ces
personnes qu'on venait de quitter. Je me suis
assise à côté de lui et il
m'a dit " je me suis cassé parce que
Sophie je sens que je vais être méchant
avec elle ". Sophie c'était une fille
du groupe, qui ne m'avait pas vraiment marquée
mais qui semblait avoir pas mal de petites manières,
enfin rien de vraiment flagrant. Mais apparemment
elle et David avaient frisé l'engueulade
le matin même. Et c'était en rapport
avec le fameux papier qu'on m'avait distribué
à l'entrée de la fac. David me disait
" elle est communiste, elle milite et tout,
elle nous emmerde avec ses papelards mais l'autre
jour y avait une grève des trains elle
a passé la journée à râler
parce qu'elle pourrait pas rentrer chez elle ".
En l'écoutant je pensais à Socialiste,
la chanson de Renaud
Ceux qui militent pour
des idées mais qui dans la vie sont très
loin de ces idées. Et l'exemple de Sophie
était encore plus flagrant que celui de
la chanson. David était très nerveux,
mais il faut dire que c'est dans sa nature, je
commence à le connaître maintenant.
Le groupe qu'on avait quitté est parti
doucement dans une autre direction et David m'a
dit " Tiens tu vois ils ont même pas
vu qu'on avait foutu le camp. Tant mieux. "
Eh oui tant mieux, parce que moi je suis toujours
plus à l'aise seule avec quelqu'un, qu'au
milieu d'un groupe. Surtout tous ces étudiants
qui ont quatre ou cinq ans de plus que moi. Et
puis David je l'aime bien, il me fait bien rire
avec ces coups de gueule dès que quelque
chose ne tourne pas rond. On a bu notre café
tranquillement et ce fut le meilleur moment de
ma journée.
Ce soir j'étais encore au repas avec eux,
mais repas officiel cette fois-ci. Avec tous les
étudiants de leur promo. C'est pourquoi
je ne me suis mise à mon clavier qu'à
deux heures du matin. Mais je poursuivrai le récit
demain.
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